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Le baptême

Une histoire - qui reste de grande actualité - tirée du livre de Giovanni Guareschi "Le petit monde de don Camillo". (1/4/2014)

En 2002, à l'occasion de son 75e anniversaire, le Cardinal Ratzinger répondait aux questions de son compatriote Stefan Von Kempis sur Radio Vatican). Marie-Anne avait traduit la longue interviewe pour nous (on peut la lire ici: benoit-et-moi.fr/2010-III).

A la fin de l'interviewe, le journaliste lui demandait: "Jésus-Christ, qui est-il pour vous"?
Voici ce qu'il répondait:
– Il est pour moi la Référence selon laquelle j’essaie de vivre, en poursuivant un dialogue avec Lui. Il me relève chaque fois que j’avoue mon impuissance face à Lui. Il me remet sans cesse sur le bon chemin. Et je suis confus de constater combien Il me redonne confiance en m’acceptant tel que je suis de façon à continuer le chemin avec Lui. Cela me rappelle un film dans lequel j’ai vu le protagoniste en conversation avec le Crucifié. Pour moi cela se passe de façon moins spectaculaire, mais à un niveau non moins profond.

Il ne citait pas explicitement don Camillo, mais dans "Lumière du Monde", nous avons eu la confirmation qu'il s'agissait bien de lui.

L'épisode du baptême de l'enfant d'un couple de lesbiennes en Argentine (cf. Cela se passe en Argentine) m'a remis en mémoire un chapitre du livre de Giovanni Guareschi (auquel j'avais consacré un petit dossier l'été dernier (cf. "Lecture de vacances", benoit-et-moi.fr/2013-II/ ) "Le petit monde de don Camillo".
Comme d'habitude, chez Guarreschi, sous des aspects de farce, il y a une grande profondeur de réflexion, même théologique: on ne peut qu'être frappé, au delà du contingent (l'époque, le lieu), par la similitude de fond des situations.

Le Baptême
"Le petit monde de don Camillo", ed du Seuil, pages 50-54

Et voici qu'arrivèrent à l'église un homme et deux femmes, dont l'une était l'épouse de Peppone, le chef communiste.
Don Camillo était tout en haut d'une échelle et faisait reluire l'auréole de saint Joseph ; il se retourna et demanda aux nouveaux venus ce qu'ils voulaient.

- C'est pour un baptême, dit l'homme ; et l'une des femmes montra un paquet à l'intérieur duquel il y avait un enfant.
- Qui l'a fait ? demanda don Camillo en descendant son échelle.
- Moi, répondit la femme de Peppone.
- Avec votre mari? interrogea don Camillo.
- Naturellement! Avec qui voulez-vous que je l'aie fait? Avec vous ? répliqua sèchement la femme de Peppone.
- Il n'y a pas de quoi se mettre en colère, fit observer don Camillo en se dirigeant vers la sacristie. Je sais à quoi m'en tenir, moi. J'ai entendu dire assez souvent que dans votre parti on est pour l'amour libre.

En passant devant l'autel, don Camillo s'inclina et fit un clin d'œil à Jésus.
- Vous avez entendu? Cette fois, je ne les ai pas manqués, ces sans-Dieu!
- Ne dis pas de bêtises, don Camillo, répondit Dieu irrité. S'ils étaient sans-Dieu, ils ne viendraient pas faire baptiser leur enfant. Si la femme de Peppone t'avait appliqué sa main sur la figure, tu ne l'aurais pas volé.
- Si la femme de Peppone m'avait appliqué sa main sur la figure, je les aurais pris tous les trois ensemble par la peau du cou et...
- Et? interrogea sévèrement Jésus.
- Rien, histoire de parler, s'empressa de répondre don Camillo en se relevant.
- Don Camillo, prends garde à toi ! fit Jésus menaçant.

Don Camillo revêtit les ornements sacerdotaux et s'approcha des fonts baptismaux.
- Comment voulez-vous l'appeler ? demanda-t-il à la femme de Peppone.
- Lénine Libero Antonio, répondit-elle.
- Alors, allez le faire baptiser en Russie, répliqua calmement don Camillo en recouvrant le bassin.

Le curé avait des mains comme des battoirs : nos trois amis s'en allèrent sans dire ouf. Don Camillo essaya alors de se défiler du côté de la sacristie, mais la voix de Jésus l'arrêta net.
- Don Camillo, tu as fait une très vilaine chose. Rappelle ces gens et baptise l'enfant.
- Jésus, répondit don Camillo, il faut vous mettre dans la tête que le baptême n'est pas une plaisanterie; le baptême est une chose sacrée; le baptême...
- Don Camillo, tu ne vas tout de même pas m'apprendre à moi ce qu'est le baptême, à moi qui l'ai inventé? Je te répète que tu as commis une faute grave, parce que, cet enfant, admets qu'il meure à l'instant, c'est de ta faute s'il ne va pas au paradis.
- Seigneur, ne dramatisons pas ! Pourquoi voulez-vous qu'il meure ? Il est tout rose et frais comme une fleur.
- Ça ne veut rien dire, gronda le Christ; il peut lui tomber une tuile sur la tête; il peut avoir brusquement des convulsions. C'était ton devoir de le baptiser.
- Mais, Jésus, réfléchissez un instant. Si nous étions sûrs que cet enfant aille en enfer, nous pourrions le laisser passer; mais il peut vous tomber dessus en paradis, tout fils de vilain drôle qu'il soit; et alors, dites-moi, comment voulez-vous que je me mette dans le cas de vous envoyer quelqu'un qui s'appelle Lénine ? Je pense au bon renom du paradis.
- Le bon renom du paradis, c'est mon affaire, s'écria sèchement Jésus. Ce qui m'intéresse, c'est qu'on soit honnête homme; après quoi, on peut s'appeler Lénine ou Bottone, peu m'importe. Tout au plus pouvais-tu faire remarquer à ces gens que donner à un enfant un nom aussi saugrenu, ça peut lui attirer des ennuis plus tard.
- Ca va! répondit don Camillo. J'ai toujours tort. J'essaierai d'arranger la chose.

Au même instant quelqu'un entra dans l'église ; c'était Peppone seul avec son enfant. Il ferma la porte derrière lui et poussa le verrou.
- Je ne sors pas d'ici, dit-il, avant que mon fils soit baptisé avec le nom que je lui ai choisi.
- Vous voyez, murmura don Camillo en se retournant vers le Christ. On est plein de saintes intentions et voilà comme ils vous traitent !
- Mets-toi à sa place, répondit le Christ; on ne peut approuver son attitude, mais on peut la comprendre.

Don Camillo secoua la tête.
- J'ai dit que je ne quitterai pas les lieux tant que vous n'aurez pas baptisé mon fils comme je veux, moi, répéta Peppone.

Et ayant déposé le paquet de bébé sur un banc, il ôta sa veste, retroussa ses manches et s'avança d'un air menaçant.
- Jésus, implora don Camillo, je m'en remets à vous; si vous trouvez juste que des individus m'imposent leur volonté, je cède. Mais n'allez pas vous lamenter si demain on m'apporte un veau et si on m'oblige à le baptiser. Vous savez qu'il est dangereux de créer des précédents.
- Bien sûr ! mais en l'occurrence, tu dois essayer de lui faire comprendre...
- Et s'il attaque ?
- Reçois les coups, don Camillo. Supporte, souffre comme moi.

Don Camillo se retourna vers Peppone
- D'accord, dit-il; l'enfant sortira d'ici baptisé, mais pas avec ce nom de malheur, toutefois.
- Don Camillo, grogna Peppone, rappelez-vous que j'ai le ventre délicat depuis que j'ai attrapé cette balle au maquis; pas de coups bas ou je prends un banc, moi.
- Sois tranquille, Peppone, je les logerai tous à l'étage supérieur, répondit don Camillo. Et il lui allongea un direct sur l'oreille.

C'étaient deux gros costauds, avec des bras de fer, et les coups pleuvaient, qui faisaient siffler l'air. Après vingt minutes de lutte furieuse et silencieuse, don Camillo entendit distinctement une voix qui lui disait
- Vas-y, don Camillo ! Un gauche à la mâchoire !

C'était le Christ du haut de l'autel. Don Camillo frappa et Peppone s'écroula sur le sol.
Il resta à terre une dizaine de minutes ; puis il se releva, se frotta le menton, remit sa veste, refit le nœud de son foulard rouge et reprit l'enfant. Don Camillo l'attendait, déjà en tenue et ferme comme un roc devant les fonts baptismaux. Peppone s'approcha lentement.
- Comment l'appelons-nous ? demanda don Camillo.
- Camillo Libero Antonio, murmura Peppone.

Don Camillo secoua la tête
- Mais non ! Appelons-le Libero Camillo Lénine, dit-il. Oui, Lénine aussi : avec un Camillo à côté, ces gens-là n'existent plus.
- Amen ! grogna Peppone en se frottant toujours la mâchoire.

Quand, la cérémonie terminée, don Camillo repassa devant l'autel, le Christ lui dit en souriant
- Il n'y a pas à dire, don Camillo, en politique, tu t'y entends mieux que moi.
- En coups de poing aussi, repartit don Camillo dignement.

Et, avec indifférence, il palpa une grosse bosse sur son front.