Accueil

Le coup de fil du Pape

Une analyse très lucide d'un éditorialiste du NYT, Ross Douthat, sur les scénarios à venir possibles. Comme quoi même sur le NYT, on peut lire des choses intéressantes (9/5/2014)

Voir aussi:
¤ Le Pape au bout du fil
¤ Le Pape au bout du fil (2)
¤ Le Pape au bout du fil (3)
¤ Le Pape au bout du fil (4)

     

The Pope’s Phone Call

http://www.nytimes.com
26 avril 2014
-----

Ce week-end à Rome, l'Église catholique célèbre une double canonisation - deux papes, deux saintetés, 2000 bus remplis de pèlerins - qui sert comme une sorte de couronnement à la première année de Pape François dans son office, et une illustration de son agenda pour l'Église.

Les deux papes sont Jean XXIII et Jean-Paul II, respectivement le pontife qui a convoqué le Concile Vatican II et le pontife qui a imprimé sa marque sur son interprétation. Dans les clichés partiellement exacts des experts catholiques, ils sont le libéral et le conservateur, l'icône des progressistes catholiques et le héros de la droite catholique. Et en les canonisant ensemble, François engage un symbolisme très délibéré - ce n'est pas la première fois qu'il signale un désir de pousser la gauche et la droite l'Église vers une sorte de synthèse, et de déplacer le catholicisme au-delà de sa guerre civile post-années 60.
Pour l'instant, cette poussée a eu un succès remarquable: dans une certaine mesure, cela semblait presque impossible avant son élévation, François a modifié l'image de l'Église parmi ses membres les plus rebelles (et dans la presse laïque) sans faire aucun des changements doctrinaux que les catholiques conservateurs croient que l'Église, par définition, ne peut pas faire.
Pour l'instant. Mais des ennuis sont peut-être à venir.

La source du problème potentiel se trouve là où François a sans doute été le plus efficace - dans la distinction qu'il a faite entre la doctrine et la pastorale, entre la façon dont l'Église expose ses règles morales, et la façon dont elle aborde les êtres humains, essayant de vivre auprès eux.
Cette distinction, qui a toujours fait partie de l'expérience vécue du catholicisme, a permis au pape de faire l'impasse sur des questions difficiles comme l'homosexualité et le divorce, et de tendre la main à des gens auxquels leur façon de vivre inspirait un sentiment d'aliénation de leur foi.
Aujourd'hui, toutefois, elle s'est manifestée dans un cas plus spécifique - un prétendu appel téléphonique du pape, rapporté de façon quelque peu confuse, la semaine dernière, à une femme argentine qui réclamait la permission de recevoir la communion bien qu'elle soit mariée à un homme divorcé, une situation que l'Église considère adultère, à moins que le mariage originel de l'homme n'ait été annulé.
Selon le mari, qui a raconté l'appel sur Facebook, le pape François a donné à la femme la permission de le faire. Selon le Vatican, ce que dit le pape François ne regarde personne, sauf la femme elle-même. De telles conversations, a déclaré un porte-parole du Vatican «ne font en aucun cas partie des activités publiques du pape» et «on ne doit pas en déduire de conséquences relatives à l'enseignement de l'Église».

Il se peut que cette formulation soit techniquement correcte, mais elle est aussi quelque peu absurde. Même dans une conversation «privée», le pape est bien le pape, et CE pontife en particulier n'est naïf ni sur les médias ni sur la nature humaine.
Quoi qu'il ait été réellement dit, l'idée que ne soit pas venu à l'esprit de François qu'un appel pastoral sur un sujet risqué pourrait attirer l'attention des médias semble ... peu probable.
Et quelles que soient ses intentions, l'appel téléphonique et la couverture qui en a été faite suggèrent deux périls évidents pour une papauté qui s'appuie trop lourdement sur la distinction entre la doctrine et la pastorale, entre l'enseignement officiel et ses applications.

L'un d'eux est ce qu'on pourrait appeler un scénario de fin d'ère soviètique, où la doctrine catholique est officiellement inchangée, mais où grandit l'impression que même le pape ne croit pas vraiment en ces choses , et que lorsque les dirigeants de l'Église affirment des positions controversées, ils expérimentent des motions idéologiques - comme les apparatchiks de l'époque Brejnev - et n'essaient pas vraiment d'enseigner une foi vivante.
L'autre est le scénario-espoirs-déçus, selon lequel l'hypothèse qu'un enseignement de l'Église est sur le point de changer crée une désaffection généralisée quand cela n'arrive pas. C'est ce qui s'est passé avec la contraception dans les années 1960, et cela pourrait facilement arriver avec le divorce et le remariage sous François.
Cela pourrait arriver, même si il y a des changements aux règles de l'Eglise. Le Vatican pourrait assouplir les procédures régissant les annulations, par exemple, d'une manière qui (selon ses circonstances) pourrait prendre en compte la situation de la femme argentine, et une presse qui s'attend à quelque chose de plus radical pourrait traiter la réforme de montagne accouchant d'une souris.

Il y a aussi un troisième scénario périlleux, même si mes propres hypothèses sur la nature de l'Église ont tendance à l'exclure. François pourrait effectivement envisager un changement vraiment majeur sur le remariage et la communion, dans lequel l'exigence de l'annulation serait supprimée et (peut-être) remplacée par une pénitence temporaire.
Un tel changement ne provoquerait pas seulement la grogne des conservateurs; il menacerait d'un schisme pur et simple. L'Église a des martyrs célèbres sur l'indissolubilité du mariage chrétien, et son enseignement sur le divorce et l'adultère est fondé non seulement sur la tradition ou la loi naturelle, mais dans les mots explicites de Jésus de Nazareth.
Cela signifie que l'admission à la communion de personnes que l'Église considère être dans une relation adultère permanente ne serait pas un développement doctrinal modeste. Elle ressemblerait à une volte-face majeure, une auto-contradiction doctrinale .
C'est pourquoi le pape François ne la prend pas vraiment en compte.

Mais de petits appels téléphoniques peuvent parfois faire grandir de grandes crises théologiques.