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Le Pape jésuite

Introduction d'une conférence tenue pour présenter le dernier livre de Mario Palmaro et Alessandro Gnocchi. (21/4/2014)

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(Riscossa cristiana)

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Le Bienheureux cardinal JH Newman dans son livre écrit en 1858 «La mission de Saint-Benoît», observe, probablement à la suite d'une indication du philosophe positiviste Auguste Comte, qu'aux trois grands ordres de l'histoire chrétienne - les bénédictins, les dominicains et les jésuites - correspondent trois prévalences qui à leur tour caractérisent les trois âges: antiquité, moyen âge et ère moderne.

Chez les bénédictin prévaut la «poésie» (la prière, la liturgie et une vie ordonnée par le divin); chez les dominicains prévaut la «métaphysique» (la spéculation rationnelle des choses de la foi qui, selon la formule de saint Thomas d'Aquin, requièrent l'intellect); chez les jésuites la «pratique» («la connaissance de l'humanité qui - écrit Newman - ne peut pas être apprise dans les cloîtres»).

Dans ces observations, Newman, à la différence du positiviste Comte, est bien conscient du fait que, dans chaque cas, il s'agit simplement de prévalences. La prévalence d'un ordre religieux est, pour ainsi dire, contrebalancée par d'autres facteurs: le bénédictin aussi envisage intellectuellement les vérités divines et exerce son sens pratique; les mêmes considérations s'appliquent également aux dominicains et aux jésuites.

Le danger du jésuite (je pourrais aussi m'attarder sur le danger du bénédictin ou sur celui du dominicain, mais ce n'est pas ici le propos) réside justement dans sa tentation constante de basculer de la prévalence du sens pratique à son absolutisation. Si on y regarde de près, on se rend compte que l'évolutionisme de Theilard de Chardin, l'exégèse historique du cardinal Bea (1881-1968; l'un des artisans de Nostra Aetate) , le «tournant anthropologique» de Rahner, la morale du cas concret de Josef Fuchs (1912-2005), qui semble aujourd'hui reprendre vigueur dans les aberrations du fameux «teologo in gamba» (citation du premier angélus du pape François à propos du cardinal Kasper) sont autant de cas de l'exercice exclusif du «sens pratique» par les jésuites modernes.
(...)

La «pratique», privée de la métaphysique et de la poésie (prière, liturgie), peut se présenter comme «miséricorde», «pastorale» ou même «charité», mais en réalité, dans son immanence, elle tend à s'identifier avec la volonté qui est la substance même des constructions (ou déconstruction) de chaque rationalisme, ou irrationalisme moderne.

Lisant alors les articles d'Alexandro Gnocchi et Mario Palmaro et, ces jours-ci, la préface de Ferrara - qui, en se concentrant intelligemment sur des figures comme celle de Pierre Favre (le jésuite co-fondateur de la Compagnie, canonisé par François en décembre dernier), saisit parfaitement la «modernité» des Jésuites - il m'a semblé voir dans ce «Pape qui plaît trop» l'image réfléchie - je ne saurais dire si elle est plus grande ou plus petite - du jésuite «comtien» qui ne peut pas juger, car il peut seulement vouloir et résoudre. Et je crois que c'est là le problème.