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Le Pape m'a dit que...

La prolifération de gens qui se répandent dans les médias pour se prétendre le réceptacle des confidences papales agace Riccardo Cascioli.. Mais ne serait-ce pas le symptôme d'un vrai problème? (13/5/2014)

Un Pape clivant

Dans un article récent, une pasionaria ex-papophobe devenue papophile le 13 mars 2013 accusait Benoît XVI d'avoir été un «Pape clivant» (cf. Critique d'une critique).
Je serais mal placée pour délivrer des brevets de catholicité, mais si Benoît XVI était effectivement clivant, c'était pour les gens qui étaient hors de l'Eglise (notamment le monde des médias), ou qui se mettaient d'eux-mêmes en marge de l'Eglise, par leurs positions sur les questions morales, ou de discipline ecclésiale.

François lui aussi est "clivant", mais il y a une grosse différence: les réactions d'opposition viennent de gens qui sont DANS l'Eglise, et fidèles aux enseignements de l'Eglise, ceux qu'il qualifie régulèrement de pharisiens, de pélagiens, et autres "insultes" répertoriées dans un petit livre: Les "insultes" du Pape François .

Certains de mes lecteurs pensent peut-être que je suis trop critique avec le pape.
En réalité, j'essaie seulement de comprendre ce qui se déroule sous nos yeux. Peu de gens osent le faire. C'est comme si la parole était interdite, et sortir du troupeau, c'est prendre le risque d'être traité en renégat.
Il y a effectivement dans la blogosphère catholique des sites au ton plutôt violent, que j'évite de citer, car leurs excès verbaux risquent de les discréditer (même s'ils disent des choses intéressantes).
Les sites plus modérés suffisent largement pour illustrer les doutes qui commencent à se faire jour, comme ceux des blogueurs américains catholiques que j'ai traduits récemment - qui s'interrogent, sans indulgence mais sans parti-pris négatif : Michael Dougherty Brendan (Et si le Pape se trompe ), Ross Douthat (Le coup de fil du Pape), Dwight Longenecker (Le Pape au bout du fil(4) )
Côté opposé, ceux qu'on a appelés les normalistes et qui veulent croire qu'aucune révolution ne se profile, on trouve des gens que j'apprécie: Andrea Gagliarducci (François au défi des médias séculiers) et le directeur de la Bussola, Riccardo Cascioli, qui explique ici pourquoi il veut rester fidèle au Pape.

Le fait qu'il ait cru devoir écrire ce plaidoyer prouve de toute façon que le problème existe...
Jamais il n'a eu besoin de faire la même chose sous Benoît XVI. Jamais il n'aurait eu à écrire «le pape ne nous intéresse pas parce qu'il est sympathique [il me plaît de rappeler que Riccardo Cascioli a témoigné une vraie affection à Benoît XVI, en particulier au moment de son départ, comme le montre ce magnifique article du 18 février 2013: benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/les-cent-mille-de-la-place-saint-pierre], parce qu'il est un fin théologien ou parce qu'il est d'accord avec nous».
Par une loyauté qui l'honore, il refuse d'admettre que c'est l'attitude du Pape qui contribue à créer autour de lui, au moins dans certains milieux, ce climat, peut-être injustifié, de doute, d'incertitude, d'inquiétude, voire de rejet.
Peut-être est-ce lui qui a raison, au nom d'intérêts supérieurs qui échappent à presque tout le monde, y compris les FFF (fans furieux de François).
L'avenir seul pourra nous le confirmer - ou pas.

     

Le pape m'a dit que ...

Riccardo Cascioli
12/05/2014
www.lanuovabq.it/it/articoli-il-papami-ha-detto-che-9190.htm
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«Le pape m'a dit que ...» est devenu le slogan de l'année: pas une semaine ne passe sans que quelqu'un - des cardinaux au dernier des fidèles - ne se sente le devoir de communiquer au monde une phrase que le pape François lui aurait dite au cours d'une audience privée ou d'un appel téléphonique.
Parfois, cependant, ce sont des phrases de sens opposés: à un évêque, il aurait recommandé de lutter dans son pays contre ceux qui veulent détruire la famille, et à un autre de considérer toute forme d'union comme normale. Toutefois, la plupart, du temps, ce sont des citations qui vont - dirons-nous - dans le sens «progressiste».

Le dernier dans l'ordre chronologique est le cardinal Walter Kasper, qui a été jusqu'à présenter un pape qui se moque d'autres cardinaux et de leur fixation sur l'orthodoxie (ndt: je n'ai pas envie de me plonger dans des archives, mais il est un fait qu'il s'agit d'une "dénonciation" récurrente de François). Et puis, il y a le groupe de ceux à qui le pape François aurait confié des missions particulières, et qui, bien sûr, s'en vantent. En particulier, se sont déjà signalés au moins deux prélats qui disent qu'ils ont été appelés à travailler sur une encyclique à venir sur l'environnement et la pauvreté (voir ici et ici), et ils en suggèrent même le contenu révolutionnaire, affirmant qu'elle «fera beaucoup de bruit».

Cela aussi est un fait sans précédent: chaque pape, pour écrire une encyclique, fait appel à l'aide de personnes considérées comme des experts, mais jusqu'à présent, ceux qui collaboraient le faisaient dans la plus grande discrétion, sans se vanter en public, surtout avant que l'encyclique ne soit publiée (ndt: ce qui n'est pas tout à fait vrai: avant la publication de Caritas in Veritate, on avait cité l'expertise du cardinal Marx, et celle d'ettore Gotti Tedeschi). Aujourd'hui, au contraire, il semble que ce soit la course pour voir qui a une plus grande proximité et le plus d'influence sur le pape

Il ne devrait pas y avoir besoin d'un ordre du Vatican pour conseiller le silence et la discrétion, mais peut-être faudrait-il commencer à réfléchir à ce sujet. Parce que ce sont ces phrases citées hors contexte, et pour des raisons à vérifier, qui font l'information et créent l'opinion.

[Ici, Riccardo Cascioli revient sur un article qu'il avait écrit le 24 avril dernier, en commentaire du fameux coup de fil à la femme argentine, et que j'avais traduit partiellement ici: Le Pape au bout du fil.
Son article lui avait valu la critique acerbe d'un prêtre, don Ariel Levi di Gualdo, intervenant sur le site de tendance tradi, "Riscossa Cristiana", qui lui reprochait, selon une expression imagée, de «s'intéresser à l'écorce sans aller au noyau». Le Pape, disait ce prêtre, est souvent ambigu. Et le noyau, ce serait que le Pape lui-même crée la confusion et est source de malentendus par ses sorties ambigües et vagues. Riccardo Cascioli pense au contraire que l'écorce, c'est de répandre des flots d'encre pour de telles banalités, citant la mise au point du Père Lombardi, en substance «il s'agit des relations personnelles du Saint-Père, il n'y a pas lieu d'en tirer des conséquences pour le magistère» - autrement dit (de moi) «circulez, y'a rien à voir»]

La question est alors: puis-je porter des jugements et construire des théories sur une phrase attribuée au pape et que son porte-parole non seulement ne confirme pas, mais dont la source ne lui inspire pas confiance? Et cela s'applique à tous les «le Pape m'a dit que ...». La semaine dernière, par exemple, l'ancien secrétaire d'Etat lui-même, le cardinal Tarcisio Bertone, à propos d'attaques sur l'appartement de 700 mètres carrés qu'il occupe, a affirmé que le pape François non seulement n'est pas furieux contre lui - comme l'ont dit les journaux et la télévision des jours durant - mais lui a même donné un coup de fil en signe de solidarité pour les attaques reçues. Si nous utilisons le même "mètre" que celui utilisé pour la femme mariée à un divorcé, nous devons conclure que le pape "couvre" Bertone, et même soutenir qu'il prêche une chose (la pauvreté), mais en fait une autre (en soutenant les cardinaux qui vivent dans le luxe) [là, j'avoue que je ne suis pas bien la comparaison, d'autant plus que le cardinal Bertone s'est justifié de cette accusation mensongère].

Peut-on vraiment perdre du temps ainsi? Courir derrière les «il m'a dit que...», et ignorer ce que le pape a vraiment dit en public ou dans l'exercice de son magistère? Pensons seulement à ces jours derniers: le Pape a parlé aux agences de l'ONU, il a parlé aux prêtres, il a parlé au monde des écoles. Discours importants, où il a également affirmé des principes importants tels que la centralité de la famille et la valeur de la vocation sacerdotale. Pourtant, nous voyons certains catholiques s'agiter pour des appels téléphoniques rapportés par d'autres. Pour moi, c'est cela «parler de l'écorce».

Il est vrai que c'est la grande presse laïque qui saisit à chaque fois l'occasion de donner l'impression que l'Eglise est sur le point de changer la doctrine, et il est juste que le Saint-Siège tienne également compte de cela, mais au moins les prêtres et les journalistes catholiques devraient chercher à établir la vérité au lieu de courir derrière La Repubblica et le Corriere.

Nous avons souligné à plusieurs reprises qu'il y a une différence entre ce qui est Magistère - et donc engage tous les fidèles à le suivre - et opinions personnelles ou interviewes, ou même conversations rapportées, sur lesquelles on peut légitimement avoir des idées différentes, ou qui peuvent être facilement manipulées. Nous entendons suivre le Magistère, rendre compte de ce que le pape dit et fait réellement, sans pour autant fermer les yeux sur les aspects qui peuvent être controversés. Le reste, nous le laissons volontiers aux autres.

Mais là, nous arrivons au véritable nœud de la question: le pape ne nous intéresse pas parce qu'il est sympathique, parce qu'il est un fin théologien ou parce qu'il est d'accord avec nous. Le Pape nous intéresse parce qu'il est le point d'unité de l'Eglise, parce qu'on est catholique seulement si on est en union avec le Pape parce qu'il est la garantie d'être dans la Tradition. Nous ne pouvons pas avoir envers le pape - envers tout Pape - l'attitude que nous avons envers le Premier ministre ou le Président de la République. Je le répète: on peut très bien critiquer ou exprimer des préoccupations, par exemple sur la manière dont se fait la réforme de la Curie ou sur certaines nominations (mais ce fut aussi le cas pour les prédécesseurs), mais la tendance à examiner chaque parole qu'il dit pour le piéger est absurde.

Le noyau, c'est alors que nous devons avant tout décider ce que le Pape est pour nous, et si nous croyons vraiment que Celui qui dirige l'Église, c'est le Christ, comme le répétait Benoît XVI.