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L'héritage de Carlo Maria Martini

Le Père jésuite Georg Sporschill, dépositaire du testament posthume du Cardinal Martini et co-auteur des "Conversations nocturnes à Jérusalem", parle d'une "révolution aux portes" (4/1/2014)

     

Dans son dernier billet sur le site Corrispondenza Romana, le Pr Roberto de Mattei (que l'on peut trouver excessivement pessimiste) parle des nuages sombres pesant sur le monde en ce début de 2014, alors que nous vivons selon lui une situation bien plus dramatique qu'il y a un siècle, en 1914, à la veille de la grande guerre.

Il écrit (ma traduction, en attendant que l'article soit traduit en Français par le site "Correspondance européenne"):

Sur le Trône de Pierre, aujourd'hui, il n'y a plus Pie X, mais un Pape à qui on attribue l'intention de vouloir mettre en oeuvre ce programme des modernistes, contre lequel fulminait Pie X en 1907, dans l'Encyclique Pascendi.
N'est-ce pas l'Agenda moderniste, en effet, celui qu'attribue au pontife son confrère jésuite Georg Sporschill quand, dans Il Corriere della Sera du 31 décembre, il écrit: "Tant dans l'analyse de la situation ecclésiastique que dans les réponses qu'ils prononcent, les deux jésuites, le Pape François et le cardinal Martini, sont proches, comme s'ils s'était mis d'accord"?
...
L'Agenda du cardinal Martini, qui prévoyait la fin du célibat ecclésiastique, l'ouverture aux couples homosexuels, et la transformation de la papauté en une démocratie collégiale, est un programme d'indéniable empreinte moderniste. Est-il possible que le Pape François entende vraiment prendre ce chemin?

[Sincèrement, j'ai des doutes sur ce que va faire ce Pape; certains pensent qu'il ne fera rien, mais on peut aussi penser, comme Georg Gänswein, que certains de ses choix influenceront l'Eglise de demain: par exemple, ce qu'il n'aura pas pu, ou pas osé faire, son successeur immédiat ou plus lointain finira par le faire, parce qu'il aura ouvert une brèche.]

* * *


En effet, le 31 décembre dernier, Il Corriere della Sera publiait une tribune de ce jésuite autrichien rencontré à pusieurs reprises dans ces pages (tinyurl.com/qzgynp7).

Les entretiens qu'il avait eus en 2008 avec le cardinal Martini avaient donné lieu à un livre publié publié en français sous le titre "Le rêve de Jérusalem" (ou, en italien "Conversations nocturnes à Jérusalem"); et, surtout, il avait été le dépositaire des confidences ultimes du Cardinal Martini, un brûlot recueilli soi-disant peu de jours avant sa mort, et publié quelques jours après dans la grande presse mondiale, NYT, Le Monde, et bien sûr Il Corriere (traduction ici: benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/document-le-testament-du-cardinal-martini).

On observera que le texte qui suit est une accumulation des pires clichés lus dans la presse depuis l'élection. Ce qui amène forcément à se dire que ce ne sont pas les médias qui tracent un portrait déformé du pape. Enfin, ils ne sont pas les seuls. Il y en a qui les aident...

     
Georg Sporschill

Pauvreté, personnes, dialogue. Il y a une révolution aux portes
Georg Sporschill
Il Corriere della Sera
31 Décembre 2013
(www.finesettimana.org)
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Rappelons-nous les derniers mots que le cardinal Carlo Maria Martini nous a laissé : «L'Église est fatiguée dans l'Europe du bien-être et en Amérique ... Nos maisons religieuses sont vides et l'appareil bureaucratique de l'Église augmente, nos rites et nos habits sont pompeux ... Le bien-être pèse ...».

Comme le cardinal Martini , le pape François appelle les problèmes par leur nom : «Je vois l'Église comme un hôpital de campagne après une bataille ... Nous devons soigner les blessures. Ensuite, nous pourrons parler de tout le reste. Soigner les blessures, guérir les blessures ... Le peuple de Dieu veut des pasteurs et pas des fonctionnaires, un un clergé d'Etat».

Le pape appelle à une nouvelle relation aux hommes: «Les ministres de l' Église doivent être miséricordieux, prendre soin des personnes, les accompagnant comme le bon Samaritain qui lave, nettoie, porte son prochain».

Martini a laissé dans nos cœurs une simple question pour la réforme de l'Église : «Où sont les individus pleins de générosité comme le Bon Samaritain ... Qui osent la nouveauté, comme Paul?».
Tant dans l'analyse de la situation ecclésiastique que dans les réponses qu'ils prononcent, les deux jésuites, le Pape François et le cardinal Martini, sont proches, comme s'ils s'était mis d'accord. Ils mettent l'accent sur les hommes et leurs besoins, ils sont attristés par la lassitude de l'Eglise.
Le Pape arrive à une conclusion logique : «Un chrétien, s'il n'est pas révolutionnaire, en ce moment, n'est pas un chrétien».
Martini demande: «Où sont-ils, chez nous, les héros qui peuvent nous inspirer?».
L'un de ces héros, l'Eglise l'a trouvé en 2013 dans le pape François. Time Magazine l'a désigné comme «homme de l'année».
Mais François a également été appelé «le pape des annonces», ce qui implique la question cruciale, s'il réussira vraiment à réaliser ses annonces.

En fait de réforme, le pape François est le premier à donner un exemple personnel. Comme Jésus, il pose des signes. Ce pontificat rappelle comment Jésus a exercé son office royal .
Il est entré dans la cité non pas sur la selle d'un destrier, mais sur un âne, animal de paix. Il a gagné le monde non par la force des armes, mais par la puissance de la parole. A cause de ses signes, il est devenu dangereux pour les puissants d'Israël et de l'Empire romain. Sur le parvis du Temple, où des milliers de personnes se pressaient alors, il a renversé les tables et a chassé les vendeurs de colombes. C'était un signal que le temple devait être un espace ouvert pour tous les hommes en recherche .

Les puissants ont compris ce geste apparemment petit de Jésus. Ils ont perçu l'avancée de la nouveauté. Leurs limites allaient sauter. François fait quelque chose de semblable quand il célèbre le Jeudi Saint non pas à Saint-Pierre, mais dans une prison et lave les pieds de détenus, hommes et femmes, chrétiens et musulmans .

Le fait qu'il ait lavé les pieds d'une jeune fille musulmane et a été perçu comme ouverture aux autres religions, aux femmes et aux jeunes.
Un évêque m'a raconté que le Pape s'est fait conduire dans le garage du Vatican. Son regard est tombé sur une petite utilitaire, et il a décidé que ce serait sa voiture .
Depuis lors, chaque évêque se demande s'il peut continuer à utiliser sa propre «charrette» (ndt: Sporechill raconte n'importe quoi, et j'aimerais que le cardinal Barbarin, par exemple, lui réponde!!).
La même chose est vraie pour le simple habit blanc avec lequel le Pape s'est présenté après son élection, et pour les chaussures noires.
«Je souhaite une Eglise pauvre pour les pauvres », dit le message du pape. Les dignitaires de l'Église doivent se demander si leur habit correspond encore à la situation de l'Eglise aujourd'hui.

François n'habite pas dans le Palais apostolique parce qu'il trouve l'entrée trop étroite. «On y entre au compte-gouttes, et moi, non, je ne peux pas vivre sans les gens». L'hospitalité dans la vie de l'Église , comme au temps de Jésus, a pris une nouvelle valeur. Qui sont nos hôtes? Si nous accueillons les prisonniers, les réfugiés, les enfants des rues, les personnes en recherche, l'Eglise va enrichir de grands maîtres. Le cardinal Martini a créé à Milan la chaire des non-croyants (ndt: selon son propre aveu en s'inspirant d'une idée de Joseph Ratzinger, qui mettra plus tard, comme Pape, son idée en oeuvre avec le Parvis des Gentils!!). Afin d'apprendre d'eux. Ils ont quelque chose à nous dire. Avec le même respect et la même attente, le pape rencontre les pauvres.

En cette année, François a rendu l'Église à nouveau enthousiasmante, la libérant de nombreuses chaînes: de l'administration du Vaticanr, de la tentation de la sclérose.
«Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l'avortement, au mariage homosexuel, et à l'utilisation des méthodes contraceptives».
Les gens l'émeuvent, et puis vient tout le reste. Son unique sécurité est la confiance en Dieu qui lui parle.

Tout homme peut apprendre à écouter cette voix. Où le pape conduira-t-il l'Église en cette nouvelle année? Il n'amènera pas les gens dans l'église, mais l'Eglise parmi les gens. Pour cela, il a besoin de personnel nouveau. Dans le langage du football, il ne cherche pas des défenseurs, mais des attaquants.

De l'Agenda Martini, il a pris le conseil de confier le comité de direction à des hommes insolites. Il a commencé avec le conseil pour la réforme, pour lequel il a choisi des évêques du monde entier, et un seul homme du Vatican , parce que le Vatican devait être réformé. Martini, toutefois, serait allé au-delà de la nomination de la commission. En ce qui concerne le choix des évêques, il avait conseillé de chercher «des hommes qui brûlent. Des hommes qui soient proches des plus pauvres et qui soient entourés par des jeunes et qui découvrent des choses nouvelles». Des personnes comme le Pape François .

Trouvera-t-il des gens semblables à lui ? Gagnera-t-il la bataille avec l'administration du Vatican? Il a également posé la question de savoir si le Vatican a besoin d'une banque.
Le courage avec lequel le Pape actuel abat quelques vaches sacrées en amène certains à craindre pour sa vie.

Les trois instruments recommandés par Martini à l'Église contre la fatigue ont eux aussi été accueillis par le Pape.
Avant tout, il reconnaît ses propres erreurs . «Je suis un pécheur vers qui le Seigneur a regardé». Il cherche le dialogue avec les gens qui ont quelque chose à lui reprocher.
En second lieu, il vit la Bible à la première personne, et peut ainsi réformer l'ensemble des règles, des lois et autres dogmes de l'Eglise.
Enfin, il apporte les sacrements aux personnes. Il a envoyé un questionnaire pour comprendre la situation des familles. Là encore, il partage la préoccupation de Martini: «Comment l'Église peut-elle arriver en aider avec la force des sacrements à ceux qui ont des situations familiales complexes?» .

Dans l'année qui vient, le Pape se laissera aussi inspirer par l'urgence. Il laissera surprendre, y compris par lui-même. La foi chrétienne n'offre aucune autre certitude. J'ai en main un portrait de François et j'observe son visage. Comme l'a dépeint un évêque après avoir été assis pendant un long moment face au pape. Il a le regard malicieux. Il surmonte les obstacles avec le sens de l'humour. Le menton est fort et exprime autorité. Peut-être plus que son prédécesseur, qui en dernier souffrait de voir l'administration du Vatican lui échapper.

L'Agenda Martini se conclut de manière personnelle. «J'ai encore une question à te poser: que peux-tu faire pour l'Église?». Un ami qui a abandonné l'Eglise m'a dit: «Si le pape continue comme ça, je vais devoir rentrer dans l'Eglise».

     

Addenda

1. Un autre jésuite, le Père Madelin (co-auteur d'un livre sur François avec Madame Pigozzi) accordait le 22 décembre une interviewe au JDD (journal du groupe Lagardère associé à Europe 1 et Paris Match).

Je recopie les deux derniers échanges:


- Jusqu’où va-t-il aller?
Réponse: Il n’autorisera jamais le mariage des prêtres, mais il autorisera que des gens mariés soient prêtres, en cela c’est un pape révolutionnaire, il sait que les Églises européennes ne peuvent pas se passer de cela pour leur dynamisme. Il avancera sur le problème des divorcés remariés, car ce sont des problèmes de conscience, en revanche il ne se prononcera pas en faveur du mariage gay même s’il n’en fera pas un cheval de bataille. Il se tait là-dessus, c’est selon moi une bonne cure de silence. Il ne focalise pas en permanence sur les questions de morale, de l’avortement, du préservatif.

- On le compare à Jean XXIII , qui a impulsé le concile Vatican II . Fera-t-il Vatican III?
Réponse: Il n’en a pas besoin, il a son mode de fonctionnement bien à lui. Son but est de faire appliquer Vatican II avec plus de collégialité et puis il veut donner plus de responsabilité aux évêques. Prenez son questionnaire sur la famille, directement placé sous la responsabilité des évêques. Il dit : "Ce n’est pas le pape qui va tout régler, je ne suis pas venu pour régler vos questions irrésolues!"

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2. A propos du cardinal Martini... et des jésuites, je retrouve cet excellent billet du Père Scalese: http://benoit-et-moi.fr/2009-II/0455009beb0f1c20e/0455009c2a0d7b807.html