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Mario Palmaro, un témoin

Un entretien inédit avec Mario Palmaro, datant de 2012 et publié aujourd'hui sur la Bussola (16/3/2014)

Souvent, le Pape (Benoît XVI, bien sûr, mais sans doute aussi François) nous rappelle que ce qui compte avant tout, pour un chrétien, c'est le témoignage.
Mais qu'est-ce que cela signifie, concrètement? Quels exemples avons-nous?

Mario Palmaro, disparu cette semaine, est un témoin authentique, une personnalité sublime et hors-norme. Son témoignage ne s'arrêtera pas avec la mort.
Il ne me revient évidemment pas de le canoniser... mais si je pouvais...

Cette interviewe date de 2012, j'imagine qu'à ce moment, il n'avait pas encore été frappé par la maladie.

     

Palmaro: les choses importantes dans ma vie

Irene Bertoglio
16/03/2014
http://www.lanuovabq.it/
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En souvenir de lui, voici un entretien inédit avec Mario Palmaro, contenu dans le livre "Entretien avec les maîtres - volume II" d'Irene Bertoglio, à paraître (le thème du livre est l'engagement pour la vie ). L'interview a été réalisée en 2012.

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- Cher Mario, qu'est-ce qui t'a motivé, quand tu as décidé en 2004 de fonder l'Association “Verità e Vita”?

- A l'origine de “Verità e Vita”, il y a un groupe de personnes, provenant toutes de l'expérience du Mouvement pro-vie. Et même, pour être plus précis, je dirais que les pères fondateurs de cette association sont quelques-uns des représentants les plus importants du monde pro-vie italien... Nous parlons ici de gens préparés, enseignants, médecins, avocats, membres de l'Académie pontificale pour la vie, hommes et femmes qui ont en commun un engagement dans les centres de soutien de la vie, le sauvetage d'enfants de l'avortement, l'assistance aux mères en difficulté. Mais ils sont également liés par une forte «orthodoxie pro-vie» c'est-à-dire l'idée qu'il faut une formation rigoureuse et une adhésion indéfectible au principe de l'inviolabilité de la vie humaine innocente. Des personnes qui incarnent un antiabortisme pacifique mais inflexible, qui ne souffre aucune exception, qui ne tolère pas les changements de jugement sur les lois injustes, comme la loi 194 de 1978, ou la Loi 40 de 2004 sur l'insémination artificielle. Voilà, “Verità e Vita” a été fondée par ces personnes, et à cause du «malaise» que tous ont ressenti en réalisant que le mouvement pro-vie s'amollissait progressivement, et glissait, sur le terrain de l'affirmation des principes non négociables. J'ai moi-meme partagé ce malaise, et j'ai donné ma contribution à la création de “Verità e Vita” . J'ai été élu président, et je l'ai accepté, mais je pense que d'autres pourraient remplir ce rôle bien mieux que moi. Personnellement, j'ai quitté le mouvement pro-vie en 2004, démissionnant de la charge de Conseiller national. D'autres amis de “Verità e Vita”, cependant, je dirais la plupart, continuent d'opérer dans les mouvements pro vie locaux, et de conserver des responsabilités au niveau national. Entre nous, il y a un climat fantastique, d'affection personnelle, de partage des principes et des jugements de valeur sur les événements qui se produisent. Dans nos directives , ou dans nos assemblées, nous ne discutons pas à chaque fois pour savoir si l'avortement légal est acceptable, ou si le testament biologique, tout compte fait, va bien, ou si l'euthanasie dans certains cas, on peut l'accepter. Je dis cela parce que je sais que dans d'autres milieux «catholiques» (et je ne parle pas ici du mouvement pro-vie ) qui traitent de bioéthique, c'est exactement ce qui se passe, et je trouve que c'est très triste. Lorsque nous avons fondé “Verità e Vita”, nous savions dès le départ être une très petite réalité, ne profitant d'aucun financement, et aussi aller au devant d'une censure très lourde et d'ostracisme dans le monde catholique lui-même. Mais nous savions aussi que la vérité devait être réaffirmée, et la flamme, bien que petite, doit être maintenue allumée. Nous avons cherché, dans notre indignité et en pauvres pécheurs, à nourrir ce feu. Et il est arrivé un petit miracle: “Verità e Vita” a fait beaucoup de bruit, je dirais un grand bruit, et a attiré la sympathie et le soutien de nombreuses personnes, et l'adhésion des personnages que je considère comme extraordinaire, comme le magistrat Giacomo Rocchi ou gynécologue Pino Noia. Nous savons aussi être très apprécié par le cardinal Carlo Caffara.


- Sur quelle conviction se fonde ton engagement?

- J'aime l'Eglise, j'aime le Pape. J'aimerais être capable de donner ma vie pour celui que Sainte Catherine appelait «le doux Christ en terre». Je suis catholique, et donc ma vie est soutenue par une vision surnaturelle et la présence constante de Jésus, qui est proche de moi, même si je l'oublie. A la fin de nos vies, Dieu nous jugera, et il est donc bon de s'habituer à orienter chaque décision que nous prenons dans cette perspective, même si ce n'est pas facile. Les «fins dernières» devraient être le pain quotidien du catholique, même si nous avons tendance à l'oublier. Et pense que la vie passe très vite, et que dans un instant nous serons devant Lui. Je m'efforce de me rappeler que nous sommes dans ce monde pour accomplir chaque jour la volonté de Dieu et espèrer sauver notre âme, sachant que nous sommes constamment très insuffisants, et que nous sommes constamment tentés de trahir Jésus, d'agir comme Pierre la nuit de son arrestation, et de dire, par commodité,«je ne le connais pas». Nous sommes pécheurs, et donc traîtres. Mais nous sommes aussi continuellement pardonnés, et dans l'Église, nous trouvons les moyens, les sacrements pour recommencer à chaque fois, sans nous décourager. Le centre de tout est la Sainte Messe. Et puis la confession. Le pardon de Dieu embrasse chaque pécheur, même la femme qui a avorté, même le médecin qui a donné l'euthanasie, même le pro-vie paresseux qui ne fait pas tout ce qu'il devrait. Je pense que la vie est une chose très sérieuse, souvent dramatique, mais toujours merveilleuse et en même temps mystérieuse, c'est-à-dire enveloppée d'une signification qui la dépasse. Dans ce chemin difficile, chaque jour, nous avons l'arme de la prière et la présence maternelle de Marie. La vision chrétienne remplit la vie de sens, et rend l'homme pleinement compréhensible à l'homme. Chaque enfant à naître est l'image de Dieu, créé intentionnellement pour un destin d'éternité. Ayant dit tout cela, il est juste de rappeler que l'engagement pour la défense de la vie, et contre toute loi injuste, a de solides motifs rationnels, qui sont potentiellement compréhensibles par tous les hommes, même par ceux qui ne sont pas catholiques. Gandhi, Pier Paolo Pasolini, Norberto Bobbio, n'ont eu aucune difficulté à reconnaître dans l'avortement un crime, une façon de tuer des innocents. La raison, avant la foi, condamne la culture de mort. En conséquence, nous avons décidé à l'unanimité et sans hésitation que “Verità e Vita” serait créée comme une association non confessionnelle. Nous voulions éviter le cléricalisme, et jusqu'à présent, je pense que nous avons très bien réussi.


- Qui sont tes «maîtres» personnels?

- Avant tout mes parents. De façon particulière, mon père, qui maintenant est au ciel. Je lui dois ma formation humaine et chrétienne, ainsi bien sûr, qu'à toute ma famille. Aujourd'hui encore, quand je tente de comprendre quelle est la chose juste à faire, je demande: «Papa que me diriez-vous?». Ensuite, je me souviens de tous les prêtres que j'ai rencontrés et qui m'ont aimé. La personne la plus spéciale dans ma vie est ma femme Annamaria, qui pour moi est un maître patient, mais aussi très intransigeant, qui me corrige quand je tends à me ramollir et à fuir quelque bonne bataille. Contrairement à ce que pensent beaucoup de lecteurs, et même certains détracteurs, je ne suis pas un esprit polémique, et j'aime la vie tranquille. Je suis comme un hobbit qui resterait volontiers dans le comté, entraîné dans la lutte par la nécessité et par les événements. Donc, Annamaria est un très bon entraîneur, qui m'encourage et est à mes côtés dans les moments difficiles. Mais - chose plus importante encore - ma femme se consacre totalement à sa famille: malgré un diplôme en littérature classique, de bonnes perspectives d'enseignement et de recherche, elle fait la maman et l'épouse à temps plein, vivant chaque jour avec nos quatre enfants, qui par choix ne vont pas à la garderie et vont à l'école le matin seulement. Pour moi, c'est chaque jour un spectacle qui a quelque chose de miraculeux. Je voudrais que ce soit Annamaria qui reçoive les applaudissements aux conférences et les compliments des lecteurs, pas moi. Ensuite, il y a Sandro, Alessandro Gnocchi, auquel me lie désormais un amitié fraternelle, et avec lequel j'écris en continu depuis 1999. Notre entente est absolue. Sandro est pour moi un modèle de foi, un exemple pour savoir comment prier et comment vivre la messe de saint Pie V. Comme beaucoup le savent, mon maître de vie est Guareschi: un grand écrivain, un catholique sérieux, et aussi un grand italien, prêt à payer avec courage le prix de son désir irrépressible de vérité. Parmi les écrivains aussi, je mets GK Chesterton, Alessandro Manzoni, Eugenio Corti. Mes films préférés sont dans l'ordre Wonderful Life de Frank Capra, L'Homme qui tua Liberty Valance de John Ford et La Passion de Mel Gibson. Mes saints préférés sont Joseph, Pierre, Paul, Thomas d'Aquin, le Pape Pie IX, Pie X et Escriva de Balaguer.


- Quelles sont les principales batailles du Comité?

- "Verità e Vita" essaie d'intervenir dans le débat public, principalement avec l'instrument des communiqués de presse, quand un événement ou une nouvelle mettent en évidence le thème de la vie humaine innocente et menacée. Ce qui nous tient le plus à coeur n'est pas tant l'ambition de «renverser» une situation culturelle, morale et juridique brutalement compromise par des pouvoirs forts aguerris. Plutôt, nous espérons offrir un jugement selon la vérité, réaffirmant des principes qui sinon ne seraient confirmés par personne. Ainsi, en 2004, nous avons publié un manifeste contre la fécondation artificielle et contre la loi qui la régit (en Italie) surtout pour mettre en garde ceux qui la définissaient comme «une bonne loi». Puis nous avons été parmi les premiers en Italie à prendre position en faveur de l'abstention lors du référendum de 2005, croyant que c'était la meilleure façon d'éviter une aggravation de la loi, mais sans la défendre ni l'appuyer. En 2008, nous avons dénoncé la dérive abortiste en cours dans le monde catholique quand, à l'occasion du 30e anniversaire de la loi 194, nous avons constaté que sur des journaux catholiques, des signatures catholique qualifiait la loi sur l'avortement de «bonne», et «l'une des meilleures au monde, qui ne demande qu'à être appliqué mieux». Ont suivi des polémiques plutôt dures, qui malheureusement ont confirmé notre diagnostic. En 2009, nous avons suivi avec beaucoup de décision l'histoire tragique d'Eluana Englaro, demandant à la magistrature d'enquêter sur ce qui s'était passé à Udine. En 2010, nous avons publié un nouveau manifeste contre le testament biologique, et contre le projet de loi Calabro, qui l'introduit dans notre système.

- Y a-t-il un événement particulier qui t'est arrivé et qui a donné un tournant décisif dans ta lutte pour la vie?

- Quand j'étais président de la branche locale du Mouvement pour la vie, j'avais environ 25 ans, nous avons tapissé les murs de notre ville avec des affiches pour protester contre la paroisse, qui avait invité Lella Costa (féministe et pro-avortement) à tenir un spectacle-monologue dans le théâtre de l'oratoire. Nous avons subi de sévères représailles, et finalement décidé de quitter le local que nous occupions dans un bâtiment appartenant à la paroisse. Quelques années plus tard, une journaliste du Corriere della Sera qui avait suivi l'histoire m'a appelé, la portant sur les pages nationales. «Tu sais, Mario - m'a-t-elle dit - je me suis retrouvée enceinte et le médecin m'a dit après les examens que c'était une grossesse à haut risque. Alors vous m'êtes venu à l'esprit, vous, qui vous êtes retrouvés sans local à cause de vos convictions, et j'ai pensé: cette enfant doit naître. Et c'est ce qui s'est passé, et maintenant elle va très bien». Je pense que très souvent, nous n'avons pas confiance dans la fécondité mystérieuse de la vérité, témoignée en en payant le prix.


- Quelles sont les grandes passions de ta vie?

- En plus de ma femme et de nos enfants, l'enseignement à l'Université et l'écriture. La rencontre avec les étudiants est toujours passionnante, parce que je me rends compte qu'ils ont faim de la vérité, et le monde ne veut pas qu'ils la trouvent.
Heureusement, l'Université européenne de Rome est une tentative providentielle d'Université catholique fidèle au pape et à l'Église. Quant à l'écriture, j'ai été chroniqueur pour «Il Giornale», maintenant j'écris avec Sandro Gnocchi pour «Il Foglio» - où j'ai trouvé en Giuliano Ferrara un ami et un homme d'une intelligence extraordinaire - et pour «Libero». Mais le journal qui me tient le plus à coeur est «Il Timone», le miracle éditorial dirigé par mon ami Gianpaolo Barra qui, en dehors du football (il est pour Milan) est vraiment un grand.


- Un appel à ceux qui veulent s'engager dans la diffusion de la culture de la vie...

- Le divorce, l'avortement, l'euthanasie, l'insémination artificielle, l'eugénisme, sont maintenant affirmés comme des conduits bonnes et légitimes, autorisés par la loi. Le crime est devenu loi, et donc nos enfants grandissent dans une atmosphère viciée, à l'envers, où le bien est appelé mal, et le mal, bien. Comme l'a écrit Jean-Paul II dans Evangelium Vitae, nous sommes au milieu d'une guerre, qui voit s'opposer la culture de vie et la culture de mort. Il dit que nous sommes au milieu: donc, nous ne pouvons pas être spectateurs. Quiconque décide de ne pas se battre, a déjà pris position, et du mauvais côté. Donc, nous devons combattre le bon combat sans trop nous soucier de la possibilité de succès. Au-delà du plan humain - défendre la vie innocente est chose très humaine - il y a le plan surnaturel: ce que nous faisons à «ces petits» à naître, nous le faisons à Jésus.


- Sur la base de ton expérience en tant que père, quelles sont les principales préoccupations à l'égard des enfants et quelles sont les principales responsabilités?

- Pour moi, le plus grand souci est qu'un jour Giacomo, Giuseppe Maria, Giovanna et Benedetto Maria puissent perdre les critères de jugement selon la vérité, et se conformer à la mentalité du monde. Et qu'ils soient tentés d'abandonner l'Eglise, la messe, les sacrements. Et que quelqu'un les convainque d'oublier la tradition, le Trésor reçu de ceux qui les ont précédés. Concrètement, ma femme et moi espèrons pour eux une vie dans laquelle il y aura toujours la prière et la certitude chrétienne de la résurrection. Et dans laquelle il n'y a pas de cohabitation avant le mariage, de superficialité, de désastres matrimoniaux, d'endurcissement du cœur. Tout le reste - le travail, l'école, la richesse, le succès - importe vraiment peu.