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Socci, les Papes, et les temps apocalyptiques

Antonio Socci commente l'interviewe de François au Corriere della Sera (8/3/2014).

>>> Dossier: "L'affaire" Antonio Socci

Antonio Socci trouve dans l'interviewe du Pape au Corriere une nouvelle confirmation de son intuition-idée-fixe des « deux papes » (sans remettre en cause la légitimité de François). On n'est pas obligé d'être d'accord sur tout. Mais sa réflexion sur un Pape François « ménageant la chèvre et le chou » est nouvelle (chez lui!), et indique une certaine évolution de perspective, sans doute imposée par les récents évènements.

Quant à la fin prochaine de la françoismania, annoncée dès le 14 mars 2013 par ceux qui étaient soucieux de justifier la continuité (on voit qu'au contraire, elle a été crescendo, jusqu'à atteindre aujourd'hui un véritable culte de la personnalité)... eh bien... qui vivra verra. Comme je n'aime pas jouer, je ne parie pas.

     

François appelle Benoît auprès de lui.
Les tempêtes se rapprochent

6 mars 2014
www.antoniosocci.com/2014/03/francesco-chiama-benedetto-accanto-a-se-le-tempeste-si-avvicinano

Dans l'entretien avec le pape Bergoglio, publié hier par Ferruccio De Bortoli dans le "Corriere della Sera", il y a des informations surprenantes sur ce qui se passe dans l'Eglise et sur le tournant devant lequel se trouve ce pontificat. Qui s'annonce dramatique.

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Les deux Papes
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Tout d'abord, nous constatons que le pape François descend lui aussi sur le terrain, à propos de Benoît XVI et de sa «papauté émérite» et ce fait à lui seul, impose le silence aux nombreux «pierini» cléricaux (ndt: Pierino est le protagoniste de nombreuses blagues italiennes, l'équivalent de Toto chez nous) qui ont soutenu au cours des dernières semaines que nos articles posaient une question inexistante et même néfaste (ndt: les 'pierini', s'ils se reconnaissent, ne vont peut-être pas apprécier).

A travers les mots de François, nous découvrons la dureté de la bataille qui se livre, autour de Benoît XVI, de l'autre côté du Tibre («certains auraient voulu qu'il se retire dans une abbaye bénédictine loin du Vatican»).
Et puis il y a une nouvelle: Benoît et François ont décidé que le pape émérite ne sera plus «caché au monde», comme il l'avait annoncé initialement: «nous en avons parlé et nous avons décidé ensemble qu'il serait mieux qu'il voit des gens, qu'il sorte et prenne part à la la vie de l'Eglise».
Nouvelle d'une grande importance. Ceux qui, pendant des années, ont voulu couler le pontificat de Benoît (à commencer par les cardinaux parjures en 2005) et qui ont chanté victoire quand Benoît a renoncé, se retrouvent à présent avec Ratzinger, qui est resté «pape émérite» et qui- par la volonté de François -sort même de l'enceinte de Pierre et participe à la vie de l'Eglise, parce que - dit François - «sa sagesse est un don de Dieu» [(1)].
Ce que cela signifiera, on ne le sait pas encore, mais on peut penser que le désir de Bergoglio d'avoir Ratzinger à ses côtés annonce l'arrivée de temps très dramatiques.

L'avenir le dira
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François, peut-être pour faire digérer la pilule aux nombreux ennemis du Pape Benoît, a cherché à motiver cette décision par le recours à une coutume déjà mise en place après le Concile Vatican II, autrement dit «l'institution» de l'évêque émérite. Afin de mettre un terme aux objections.
Mais lui-même, vraisemblablement, sait que cette comparaison ne tient pas et que la question tôt ou tard, devra être vraiment encadrée et motivée dans sa nouveauté.
Parce que l'institution de l'évêque émérite est dûe à la règle sur la limite d'âge pour les évêques, règle qui n'existe pas pour le pape. Et surtout parce que la papauté ne peut pas être réduite à un épiscopat quelconque, sous peine de perdre la colonne de l'Eglise catholique, apostolique et romaine (par-dessus tout, l'ordination épiscopale est un sacrement, alors que la papauté est quelque chose de différent et de supérieur, de sorte qu'elle a juridiction immédiate et universelle sur tous les évêques de la Terre).
Ce n'est pas un hasard si, il y a un an, le canoniste Ghirlanda, sur «La Civiltà Cattolica», reflétant l'orientation générale des canonistes, a proposé pour Benoît, le titre d'«évêque émérite de Rome», mais le Pape a rejeté l'idée, considérant que le titre qui correspondait à la réalité était au contraire celui de «Pape émérite».
Le fait que Benoît XVI lui-même ait décrit sa démission comme un acte «grave» montre que ce n'est absolument pas une décision «normale», encore moins liée à une présumée volonté de sa part de «normalisation épiscopale» de la papauté.
Et le mystère concerne aussi le choix - unique dans l'histoire de l'Eglise - de rester «Pape émérite».
L'invitation au Consistoire public faite par François semble inaugurer le «retour» de Benoît dans la vie publique de l'Église, mais ce n'est pas du tout un «retour à la normale», comme certains «pompiers» des journaux se sont empressés d'affirmer (ndt: suivez mon regard... Socci a la rancune tenace), mais - au contraire - le début d'une situation entièrement nouvelle, comme le Pape François l'a bien fait comprendre.
En outre, dans ce cas spécifique, cette accolade publique à Saint-Pierre a servi à calmer un peu les eaux, étant donné que le lancement du Synode sur la Famille a été incandescent en raison de la relation du cardinal Kasper, ouvertement contestée par plusieurs cardinaux éminents pour son contenu hors des rails catholiques.

"Cerchiobottismo"? [(2)].
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Du reste, le pape François, qui a demandé à Kasper cet exposé sur les divorcés remariés, et qui en a fait l'éloge (il s'agit peut-être d'un péage pour le Conclave), est le même Pape François qui a approuvé (et probablement demandé) les interventions répétées, en sens opposé, du cardinal Muller, préfet de l'ex-Saint-Office.
Dans l'interview, le pape explique que sur les thèmes du Synode, il n'a absolument pas peur du débat, et même qu'il «recherche» la confrontation la plus vive et la plus libre. Mais il fait aussi savoir qu'à la fin, «quand il s'agit de décider de mettre une signature ... (le pape) est seul avec son sens de responsabilité».
Le Synode sera le moment de vérité. Il y en a beaucoup, à l'intérieur et hors de l'Eglise, qui attendent de François la révolution et peut-être même qu'il autodémolisse l'Eglise (la forte pression des médias et des pouvoirs de ce monde va dans ce sens). D'autres au sein de l'Église (et sans pouvoir dans le monde), redoudent profondément que cette tragédie se produise et espérent que le Pape ne cédera pas, qu'il défendra la foi catholique dans son intégralité, en continuité avec le Magistère de tous les temps.

Cette interview permet-elle de comprendre ce qui se passera?
Certains pensent que François ménage la chèvre et le chou [(2)] .
Donnons quelques exemples.
Il est clair que le pape ne veut pas lancer de croisades, comme il le dit, ni rappeler au monde la loi naturelle.
Cependant, il reçoit l'appel lancé par Giuliano Ferrara et d'autres intellectuels sur Il Foglio, après l'attaque à l'Église venant du récent document de l'ONU.
Certains ont prétendu liquider l'appel de Ferrara comme s'il voulait faire la leçon au Pape, mais François a fait sienne l'inquiètude de Il Foglio. Certains encore, «superficiels» ont liquidé l'appel comme s'il s'agissait des «valeurs non négociables», alors qu'il concerne la dignité de l'Eglise et sa liberté.
Le Pape le fait bien comprendre, en disant que, sur la défense de l'enfance «Benoît XVI a été très courageux ... personne n'a fait plus que l'Église. Pourtant, l'Église est la seule à être attaquée».
Un autre problème. Dans l'interviewe, la priorité des «valeurs non négociables» qui a caractérisé les deux derniers pontificats est pratiquement balayée. Non pas parce que François nie ces valeurs, mais plutôt parce qu'il les identifie avec la morale catholique qui aujourd'hui doit être subordonnée à l'évangélisation.
La primauté du message évangélique est sacro-sainte et partagée aussi par ses prédécesseurs. Mais peut-être que le Pape Bergoglio n'a pas approfondi la grande «question anthropologique» dénoncée par Jean-Paul II et Benoît XVI: elle témoigne d'une véritable urgence qui menace la survie même de l'humanité. Et c'est quelque chose de totalement différent que la priorité de la foi sur la morale.

En tout cas, cette position, qui sera utilisée par les progressistes, s'accompagne d'une défense fait et cause de l'encyclique Humanae Vitae de Paul VI, qui est la «bête noire» du progressisme.
François dit que «son caractère génial a été prophétique, il a eu le courage de s'opposer à la majorité, pour défendre la discipline morale, d'exercer un frein culturel, de s'opposer au néo-malthusianisme présent et futur».
Une telle défense d'Humanae Vitae est surprenante et place François dans le sillage de ses prédécesseurs.
Également importante est la référence au «courage» du pape Paul VI pour «s'opposer à la majorité».
Cela pourrait préfigurer l'épreuve qui attend François.

Françoismania
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C'est peut-être pour cela qu'il dit aujourd'hui que la «françoismania» ne durera pas longtemps. Et il a ajouté undésaveu décidé de ses nombreux «interprètes» autoproclamés, en particulier ceux qui le mythifient pour le bousculer vers la révolution de l'Église: «Je n'aime pas les interprétations idéologiques, une certaine mythologie du pape François ... Sigmund Freud a dit, si je ne me trompe pas, que dans toute idéalisation, il y a une agression».
Il semble ainsi déjà préfigurer ce qu'il aura à subir. Récemment, Mgr Georg Gaenswein a déclaré: «Le Pape Benoît a dû affronter des problèmes difficiles, pour le pape François, les véritables épreuves sont encore à venir."

Antonio Socci

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Notes de traduction

(1) Sur ce point, je ne partage pas l’interprétation « optimiste » d’Antonio Socci: dans l'interviewe, parlant du Pape émérite, François dit en effet, textuellement :
« Sa sagesse est un don de Dieu. Certains auraient voulu qu'il se retire dans une abbaye bénédictine loin du Vatican. J'ai pensé aux grands-parents qui avec leur sagesse, leurs conseils donnent de la force à la famille et ne méritent pas de finir dans une maison de retraite».

Mais Benoît XVI (qui, soit dit en passant, a seulement 9 ans de plus que son « petit-fils » putatif), avant d’être « le grand-père sage à la maison », comme François l’a déjà qualifié, est son prédécesseur sur le Trône de Pierre, et surtout, une immense ressource intellectuelle et spirituelle, et le plus grand théologien vivant. Je n'aime pas cette banalisation, que je trouve limite irrespectueuse. Et je compare à l'attitude de Benoît XVI qui au cours de son Pontificat, ne perdait pas une occasion d'évoquer son "grand prédécesseur", ou son "bien-aimé prédécesseur", s'amusant des applaudissements de la foule qu'il suscitait immanquablement.

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(2) Cerchiobottismo: substantif dérivé de l'expression "Dare un colpo al cerchio e uno alla botte".
Au figuré, se dit de quelqu'un qui par opportunisme ne prend pas une position nette dans une dispute, donnant raison à la fois à l'un et à l'autre.
L'expression français qui se rapproche est «ménager la chèvre et le chou».

Selon un forum de discussion, l'expression trouverait son origine dans une analogie avec la fabrication d'un tonneau (en italien: botte): au moment de placer le cerclage (cerchio) de fer qui maintiendra en place les douves (les lattes bombées), il faut taper avec un marteau sur le cerclage, donc inévitablement sur le tonneau afin d'ajuster ces douves de manière optimale.

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