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Une Eglise "obsédée" par le mariage et la famille?

Une nouvelle réflexion de François H à propos des divorcés remariés (1er/7/2014)

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POURQUOI L’EGLISE EST « OBSÉDÉE » PAR LE MARIAGE ET LA FAMILLE
François H.
30 juin 2014
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L’on entend parfois dire, ici ou là, que l’Eglise serait « obsédée » par les questions de morale familiale, qu’elle leur accorderait trop d’importance, en sorte qu’il lui faudrait adapter son discours, ou du moins ne pas le prononcer trop haut. De ce point de vue, la question des divorcés-remariés, dont on devine qu’elle se trouvera au cœur du prochain synode, serait somme toute très secondaire, et ne mériterait pas les difficultés qu’elle vaut à l’Eglise dans ses rapports au monde contemporain. Ce point de vue, cependant, résulte d’une double erreur : en effet, enfermé dans un pragmatisme étroit, il manque entièrement d’esprit surnaturel, et, pour cette raison même, du réalisme qu’il prétend précisément promouvoir.

Il suffit, pour s’en apercevoir, de revenir au début de la sainte Ecriture et de l’histoire du salut.

A peine nos premiers parents ont-ils été chassés du jardin d’Eden, qu’Eve, ayant conçu et enfanté Caïn, s’écrie : « J’ai acquis un homme avec le secours de Dieu » (Gen IV, 1). Adam et Eve ont désobéi à Dieu et perdu les dons préternaturels ; désormais le genre humain, séparé de Dieu, est livré à l’empire du péché et de la mort. Et pourtant, Dieu manifeste déjà à nos premiers parents sa miséricorde et ne leur refuse pas son secours : déjà se présente à Eve, par l’enfantement de Caïn, comme un avant-goût de la rédemption : « J’ai acquis un homme avec le secours de Dieu. » Cet épisode de la Genèse suffit à expliquer l’importance que l’Eglise accorde à la famille, lieu aussi bien naturel que surnaturel de la transmission de la vie, de la procréation, c’est-à-dire de la participation de l’homme à l’œuvre créatrice de Dieu. Alors même que l’homme est livré à ses turpitudes et à ses vices, Dieu met à sa portée, par la famille, le bien dont il s’est détourné. Avant même le salut proprement dit, le mariage apparaît ainsi comme une manifestation de la miséricorde que Dieu ne cesse de montrer à l’endroit de sa créature, et ce n’est probablement pas un hasard si le Christ dans l’Evangile compare ses disciples à une femme qui est dans la tristesse parce qu’elle doit enfanter, puis se réjouit parce qu’un homme est venu au monde (Jo XVI, 21).

Si la famille et le mariage peuvent être désignés comme l’image dans l’ordre naturel de la bonté de Dieu, ils le sont plus encore dans l’ordre surnaturel. C’est lors de la fondation d’une famille que le Christ a voulu accomplir son premier miracle et révéler sa gloire (Jo II, 11), comme pour mieux montrer à ses disciples la manière dont il a voulu que sa gloire rayonne sur l’humanité et que sa grâce vienne perfectionner et surélever la nature. Or la lumière du Verbe incarné, nous dit saint Jean, éclaire « tout homme venant dans le monde » (Jo I, 9).

En effet, il a plu à Dieu d’appeler tous les hommes à une fin infiniment plus haute qu’une fin simplement naturelle : Dieu nous appelle à le voir immédiatement, à l’aimer comme il s’aime, à nous faire participer à sa vie intime, et ce dès ici-bas par la grâce sanctifiante, qui est la vie éternelle commencée, le germe de la gloire. Par suite de cette élévation de notre fin dernière à l’ordre surnaturel, aucun de nos actes délibérés ne peut être indifférent sous le rapport de la participation à la vie intime de Dieu ; tous doivent être ordonnés, au moins virtuellement, à notre fin dernière surnaturelle, qui est la vision de Dieu face à face [1]. Comme le rappelle saint Irénée, la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu [2]. Par conséquent, tout acte délibéré prend soit la direction de Dieu, soit celle du mal, et il est nécessaire d’être soit en état de grâce, soit en état de péché mortel. C’est l’enseignement même de l’Evangile, confirmé par toute la Tradition de l’Eglise : « Qui n’est pas avec moi et contre moi », dit le Christ (Mt XII, 30) : qui n’est pas avec Dieu par la vie de la grâce est contre Dieu du fait de ses péchés. Du fait de l’élévation de l’homme à l’ordre surnaturel, il ne peut exister d’état intermédiaire [3]. Après le Jugement dernier, il ne restera plus que des sauvés et des damnés [4].

Cette doctrine, qui n’est rien d’autre que l’enseignement de l’Eglise elle-même sur la grâce [5], a avec la question de la famille, et par suite des divorcés-remariés, un rapport plus étroit qu’il ne semble au premier abord. En effet, d’une part, c’est par la famille que Dieu met sa bonté à la portée de tous les hommes ; d’autre part, tout acte de l’homme tend nécessairement soit vers Dieu, soit vers le mal, si bien que le mariage, élevé par le Christ à la dignité d’un sacrement, apparaît également comme le moyen que la miséricorde de Dieu a donné au genre humain en vue du salut du plus grand nombre.
Par le mariage chrétien indissoluble, sacrement de l’union du Christ et de l’Eglise (Eph V, 32), c’est la sainteté, c’est l’héroïsme des vertus chrétiennes qui sont mis, avec les secours de la grâce, à la portée de tous les hommes, y compris de ceux qui ne sont pas appelés, par la vocation sacerdotale ou religieuse, à un état de vie en lui-même plus parfait et plus élevé. Mais il existe un corollaire : l’homme peut rejeter la miséricorde divine, il peut rejeter la sainteté à laquelle Dieu l’appelle, en sorte qu’il peut changer cette merveilleuse occasion de sanctification en une occasion de péché, voire de damnation.
Si le mariage chrétien met à la portée de tout homme la vie de la grâce, son rejet ou sa perversion mettent à la portée de tous le rejet du Christ et de son Evangile : Corruptio optimi pessima, comme le disait saint Grégoire le Grand ; la corruption du mariage – mais l’on pourrait évidemment en dire autant du sacerdoce ou de la vie religieuse – est d’autant plus funeste que la vérité de son institution est digne et sainte.

Ainsi, le mariage chrétien permet aux époux de pratiquer quotidiennement, mais de manière éminente, la charité par l’esprit de service, de sacrifice, de don et d’oubli complet de soi-même pour le bien commun de la famille, par la sanctification mutuelle de ses membres, à l’imitation de la sainte famille de Nazareth. Mais inversement, c’est dans le cadre de la famille ou de sa négation que bien des péchés très graves deviennent pour ainsi dire accessibles à tout homme, qu’il s’agisse des mauvais traitements, des abus en tous genres ou encore de l’avortement.
De même que c’est à tort que l’on réserve la vie de la grâce à une petite élite, c’est à tort que l’on réserve le péché mortel aux grands blasphémateurs ou aux persécuteurs de l’Eglise, ou, pour reprendre des exemples très actuels dans certain discours ecclésiastique, aux mafieux, aux narcotrafiquants ou aux génocidaires, qui, il faut le dire, ne représentent pas l’immense majorité de la population [6]. Il n’est pas à la portée de tout le monde d’envoyer quelques millions de personnes dans des chambres à gaz ou même de se rendre directement responsable de l’exploitation économique des pays pauvres. Il est en revanche à la portée de tout le monde de se rendre complice d’un avortement, de pécher contre la fin et la sainteté du mariage en se fermant par la contraception à l’accueil de la vie, de manquer à la fidélité par l’adultère etc.

Il ne s’agit pas, bien évidemment, de dire que ces péchés sont d’une égale gravité, ce qui serait monstrueux et tout simplement faux ; il s’agit de rappeler que s’il existe une dignité, une sainteté du mariage, qui en tant que sacrement est un mode d’union à Dieu, les manquements à cette dignité et à cette sainteté du mariage ont leur gravité, et qu’ils sont une cause de mort spirituelle : car manquer à la sainteté du mariage, c’est manquer à l’union de Jésus-Christ et de son Eglise, c’est prostituer les membres du Corps du Christ et profaner le temple du Saint-Esprit (I Co VI, 15 et 19). Et, contrairement au narcotrafic, aux activités mafieuses ou à l’exploitation économique de masse, ces péchés graves, causes eux aussi de perte de l’amitié divine et de mort spirituelle, peuvent concerner tout baptisé catholique.

Telle est la raison pour laquelle l’Eglise, selon la recommandation de saint Paul, et parce qu’elle a le souci d’instruire l’homme pour le rendre apte à toute bonne œuvre, prêche sur le mariage et sur son indissolubilité la parole du Christ, insiste à temps et à contretemps, reprend, menace et exhorte (II Tim IV, 2), contre toutes les fables répandus par une foule d’étranges docteurs : tout simplement parce qu’il s’agit d’une question grave, qui concerne le bien aussi bien terrestre qu’éternel de ses enfants, un bien sur lequel il ne lui est pas permis, sous peine de manquer à sa mission, de se taire, de mentir ou de se contenter de demi-vérités.

Et ce serait certainement un bien grand scandale, si au nom d’une prétendue miséricorde, l’Eglise mentait à la grande masse des hommes sur le moyen précis que Dieu leur a donné pour les sauver et se les unir, dans le temps et dans l’éternité.

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[1] Sur ce sujet, on peut lire par exemple L’éternelle vie et la profondeur de l’âme, du P. Garrigou-Lagrange O.P., première partie, chap. IV.

[2] Saint Irénée, Contre les hérésies, IV, 20, 7

[3] Réginald Garrigou-Lagrange O.P., La synthèse thomiste, sixième partie, chap. IV

[4 ]Saint Augustin, Traité de la foi, de l’espérance et de la charité, chap. CLI

[5] Par exemple : CEC §1861 et §2000 ; Compendium du CEC §395 ; sainte Catherine de Sienne, Traité de la Providence, CXLIII, 1. On pourrait certainement multiplier les références.

[6] Et l’on ne voit pas du reste, puisque saint Paul, qui ne respirait avant sa conversion que haine et meurtre contre l’Eglise de Dieu, fut désigné par le Christ comme le vase d’élection destiné à porter l’Evangile aux Gentils, au nom de quelle logique ces criminels devraient être, plus que les homosexuels ou les divorcés-remariés, exclus de la miséricorde de Dieu qui peut convertir jusqu’au pécheur le plus endurci. L’on a vu ainsi récemment comment le général Jaruzelski a quitté ce monde après avoir reçu en fils de l’Eglise les derniers sacrements.