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Benoît XVI par lui-même

Extrait du livre "La gloire de Dieu aujourd'hui": "Wolfang Von Regensburg, un saint européen" (reprise) (26/1/2014)

     

Un autoportrait

C'est bien sûr moi qui vois un autoportrait dans ce chapitre consacré à "Wolfang Von Regensburg, un saint européen" (qui est aussi une critique sans complaisance des hommes politiques et des pasteurs de l'Eglise), car il me paraît évident que c'en est un, et non moins évident que sa modestie ne supporterait pas qu'il soit perçu comme tel. Saint-Augustin qui pleure en silence parce qu'il a perdu "la belle liberté du philosophe" et craint de ne pas être à la hauteur de sa tâche, comment ne pas voir que c'est lui, et plus encore depuis qu'il est devenu Pape?
Comment ne pas comprendre, aussi, que la bonté qui " ne recouvre pas la lumière de Dieu de son propre moi... mais laisse transparaître Sa lumière en faisant un pas de côté", c'est le modèle qu'il s'est donné?

Et nul doute, enfin que la belle figure de Wolfang Von Regensburg qu'il évoque ici est un autre modèle auquel il se réfère et s'identifie, dans l'exercice de sa charge pastorale. L'histoire est d'ailleurs une parfaite illustration des propos tenus par lui devant les journalistes allemands qui l'ont interrogé en août 2006, sur le rôle "exemplaire" des saints, et la "décentralisation" des béatifications...

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Wolfang Von Regensburg, un saint européen

L a sainteté aujourd'hui semble ne plus intéresser personne.
Nous cherchons aujourd'hui quelque chose de beaucoup plus sobre et modeste: la crédibilité.
À maintes reprises, on a assisté au XXème siècle à la chute des puissants. Installés sur leur piédestal, ils semblaient encore intouchables peu de temps avant de se retrouver soudainement sur le banc des accusés de l'histoire. La confiance des gens s'est érodée et menace maintenant de disparaître totalement. Les usurpateurs ont à la fois trompé les hommes et Dieu. Ils ont vu large mais derrière la façade de leurs apparences vertueuses se cache toujours la même pitoyable misère morale.
L'autorité s'est déconsidérée au point de devenir impossible à exercer et l'on a pris cela pour la victoire de la liberté. En réalité, le monde s'assombrit et s'appauvrit lorsqu'il n'est plus possible de faire confiance. C'est pourquoi l'on se tourne de plus en plus vers des personnes crédibles qui sont au plus profond d'elles ce qu'elles manifestent à l'extérieur. C'est seulement si nous parvenons à les trouver que nous pourrons en finir avec ce phénomène de désenchantement généralisé qui conduit à rejeter la politique et les Églises.

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Un pasteur crédible
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Mais à quoi devraient ressembler de nos jours un homme politique ou un pasteur crédible?
Dans un contexte de crise de société comparable, Platon avait dit que l'aveuglement du monde politique tenait au fait que ses représentants luttaient pour le pouvoir « comme s'il s'agissait d'un grand bien ». Selon lui, le véritable homme politique ne doit pas être dupe de cette course aux apparences. Il devrait s'agir d'un homme pour qui la politique consisterait à servir et qui la considérerait comme une charge, comme un renoncement à quelque chose de plus grand auquel il a goûté : la beauté du savoir, l'état de liberté intérieure au profit de la vérité.
Les critères concernant le bon pasteur au sein de l'Église ne sont pas foncièrement différents. Considérer la prêtrise ou la charge épiscopale comme un moyen d'avoir plus de pouvoir et de bâtir sa réputation, c'est ne rien comprendre à cette vocation. Vouloir s'accomplir soi-même dans le cadre de telles fonctions, c'est se condamner à devenir l'esclave de l'opinion publique, s'obliger à devoir flatter les gens pour continuer à faire valoir son autorité. C'est devoir s'adapter aux différents courants d'opinion et dire aux gens ce qu'ils veulent entendre. C'est devoir condamner demain ce dont on aura fait l'éloge hier. C'est finalement ne plus vraiment aimer ses interlocuteurs, mais seulement soi-même tout en finissant par se perdre au profit de l'opinion momentanément dominante.
Je ne crois pas devoir m'étendre ici davantage. La vie publique nous en fournit suffisamment d'exemples.

Que doit être un pasteur crédible? À quoi doit-il ressembler? Être crédible suppose en tout cas une harmonie entre l'extérieur et l'intérieur, entre l'image qu'on offre à voir et la réalité des qualités personnelles. Mais cela ne suffit pas. Un être méchant qui le revendique est lui aussi crédible.
La vraie crédibilité suppose que l'intériorité d'une personne corresponde à ce qu'est un être humain au sens profond. On pourrait donc dire que vouloir afficher à l'extérieur de soi une image de bonté suppose que l'on soit bon au fond de soi. Et quelqu'un de bon, c'est quelqu'un qui est à l'image de ce que Dieu a voulu. Quelqu'un de bon, c'est quelqu'un qui est conforme à Dieu, quelqu'un chez qui brille la lumière de Dieu.
Quelqu'un de bon ne recouvre pas la lumière de Dieu de son propre moi, il ne se met pas devant mais laisse transparaître Sa lumière en faisant un pas de côté.
Cette quête nous ramène ainsi d'une exigence de crédibilité à la notion de sainteté dès lors que nous la comprenons comme il se doit, dans sa simplicité originelle.
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Pour celui qui veut servir le troupeau du Christ, toutes ces généralités doivent revêtir une forme particulière conforme à cette mission.
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Saint Augustin a raconté un jour qu'il avait pleuré en silence après avoir été consacré prêtre, non seulement parce qu'il venait ainsi de perdre la belle liberté du philosophe mais aussi parce qu'il était préoccupé par son devoir: «Maintenant, tu ne portes pas seulement ta charge mais tu dois aussi porter les autres. Maintenant, non seulement tu dois répondre de ta propre vie mais on va aussi te demander de rendre des comptes pour les personnes qui te seront confiées. Serai-je à la hauteur? Vais-je pouvoir les servir comme ils le méritent? »

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Suit alors la très belle histoire de Saint-Wolfang Von Regensburg, qui fut évêque de Ratisbonne "bien qu'il n'ait jamais cherché à devenir évêque" et mourut en 994. Les similitudes avec son propre parcours, tel qu'il l'a évoqué dans son livre de souvenirs Ma Vie, sont suffisamment troublantes pour être soulignées.

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Il décline l'offre qui lui est faite par l'archevêque Bruno de devenir évêque de Cologne. Il n'avait pas encore suffisamment fait le point en lui et ne voulait pas intégrer de cette façon le système clérical impérial. Il voulait trouver sa voie. Wolfgang venait d'avoir quarante ans lorsqu'il a pris la décision qui allait engager sa vie. Il devint moine, non pas dans le prestigieux monastère de Reichenau qu'il connaissait depuis sa jeunesse mais à Einsiedeln qu'il avait choisi pour sa stricte observance. Nous avons devant nous un homme profond qui lutte avec lui-même.

... il lui faut à un moment partir dans le monde avant de devenir évêque. Il doit alors renoncer en quelque sorte à sa propre vie et prendre en charge celle d'autrui parce que le Seigneur l'a voulu ainsi.
Est-il donc passé à côté du bonheur? Est-il passé à côté de sa vie? Bien au contraire. Se chercher, c'est se perdre. Celui qui regarde tout le temps derrière lui subit le même sort que la femme de Lot : il devient mauvais et se transforme en sel.
La décision prise par Wolfgang, qui engageait sa vie, consistait à marcher sous la conduite de l'Évangile sur les chemins que nous montre le Seigneur. Et c'est parce qu'il n'a jamais regardé derrière lui qu'il est entré dans la promesse du Psaume. C'est parce qu'il a beaucoup donné, c'est parce qu'il s'est donné qu'il a été un être humain riche intérieurement et heureux. Un être humain dont émanait et émane toujours, une grande lumière intérieure. Wolfgang est bien plus qu'un pasteur crédible : c'est un saint homme. Nous pouvons lui accorder notre confiance. Il nous montre le chemin.


>>> La gloire de Dieu aujourd'hui, éd. Parole et silence, page 179 et suivantes