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Benoît XVI, le pape de la modernité

Le magnifique hommage au Pape incompris, par Andrea Gagliarducci (14/2/2014


Des sites italiens "amis" de grande qualité (Il Papa emerito, Papale papale, Le blog de Raffaella) ont noté avec consternation que les prétendus hommages à Benoît XVI à l'occasion du premier anniversaire de sa renonciation s'étaient trop souvent transformés en péans à son successeur. Déplacés, même si ce dernier n'y est - bien sûr - pour rien.
Je résume - sans caricaturer, hélas, ce n'est même pas nécessaire: le départ de Benoît XVI a été un geste de grand courage (les gens qui écrivent cela ont-ils la moindre idée de ce qu'est le courage, eux qui sautent à la première occasion dans le train du politiquement et religieusement correct dans le seul but de ne pas déplaire aux médias?) parce que son humilité - bien réelle!! - a permis l'avènement de François, et la grande nouveauté, voire la révolution, qu'il amène avec lui!!
C'est brader Benoît XVI pour encenser François, mais surtout pour dénigrer subrepticement l'Eglise de "l'Ancien Régime". C'est-à-dire pour diviser les catholiques.

Le plus triste, c'est que même des prélats (en fait tous ceux qui se sont exprimés, j'imagine que les autres n'avaient rien à dire... ou n'étaient pas d'accord) ont joint leur voix à cette pathétique chorale de courtisans.

L'analyse d'Andrea Gagliarducci, ici dans sa rubrique de korazym.org, apparaît donc comme une divine surprise.
Il a choisi de se situer au-delà des ragots de la Curie, des bassesses des journalistes, à l'écart aussi des conjectures sur les raisons de la renonciation, pour reparcourir avec sérieux et objectivité le Pontificat, rendant justice à son esprit résolument moderne mais malheureusement incompris dès le début.

     

Benoît XVI, le pape de la modernité

11 février 2014
Andrea Gagliarducci
http://www.korazym.org/12859/benedetto-xvi-il-papa-della-modernita/
(ma traduction)
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A une année de distance, on peut le dire: nous étions tous effarés. Le monde entier l'était. Mais les journalistes qui avaient pendant des années suivi Benoît XVI, qui depuis des décennies écrivaient sur le Vatican, une chose comme celle-la, ils ne l'avaient jamais vue.
Benoît XVI avait renoncé au ministère pétrinien. Une annonce dite en latin, de manière calme et sereine, dans un jour férié (anniversaire de la signature des accords du Latran) au Vatican, alors que personne ne pensait qu'il pouvait se passer quelque chose. Il était serein. Nous étions effarés. A revoir les visages de chacun, personne ne savait donner d'explication. Parce qu'au fond, il n'y avait qu'une seule explication logique. Et c'est que Benoît XVI n'avait pas été compris. Pendant des années, on avait raconté un autre Pape. Un Pape conservateur, traditionaliste, resté coincé à un vieux modèle de l'Église. Ce n'était pas vrai, et pour beaucoup, c'était difficile de l'admettre. Benoît XVI, d'un seul coup, a effacé tous les préjugés (malheureusement, est-ce si vrai que cela?). Avec le geste le plus moderne dont l'Eglise moderne se souvienne.

Cela vaut la peine de revoir le film de la mémoire, maintenant que, la tête froide, on peut reparcourir l'ensemble du pontificat de Benoît XVI. Il n'y a pas l'émotion de ces jours, pas même l'enthousiasme pour le début d'un nouveau pontificat. Il faut se souvenir et raconter. Et en se souvenant et en racontant, il devient évident que Benoît XVI a été l'un des papes les plus modernes que l'histoire ait jamais eus.

Vous dites: c'était un professeur, un homme qui avait une seule expérience comme un évêque, à Munich, considérée par certains critiques comme désastreuse.
Vous dites: c'était un homme qui avait seulement été vicaire de paroisse, qui s'était consacré à l'étude et qui voulait retourner aux études.
Pourtant, l'ampleur de la pensée, la compréhension des choses, ne vient que si l'on est habitué à raisonner, à comprendre et à expliquer.
Benoît XVI a été un Pape moderne parce que sa pensée était moderne. Il n'y avait pas de fidéisme dans sa manière de vivre la foi. Il y avait de la joie. La joie de celui qui avait compris. La joie de la foi qui avait compris la foi avec l'utilisation de la raison. Il n'y avait pas une foi aveugle, il y avait une foi sûre. C'est cela qui rend un homme détaché des traditions, des superstition, du moralisme. La joie d'une foi vivante et rationnelle.

Benoît XVI l'a dit aux évêques de Suisse, parlant a braccio, un an après son élection (cf. Morale du monde, morale de l'Eglise): il n'y a pas besoin de préceptes, on ne peut pas enseigner le moralisme, il faut témoigner la joie de la vérité de la foi. La joie est un mot qui revient souventdans ses discours. Surtout au début, quand le professeur l'emportait encore un peu sur le Pape

Mais c'est face à cette largeur de pensée que toutes les perspectives sont modifiées, dans tous les domaines. Benoît XVI gouverne avec l'air de celui qui sait où sont les problèmes et avec l'équilibre de ceux qui savent qu'on ne peut pas tout changer avec le décisionisme. Il a sa propre idée de l'Église, il connaît les gens qui peuvent l'aider à la réaliser. Mais il attend que ceux qui étaient en place arrivent à l'expiration naturelle de leur mandat. Il n'y a pas de grands "limogeages", sous le pontificat de Benoît XVI (1). Il y a plutôt une gestion collégiale du pouvoir. S'adresser à tous, l'ennemi de toujours ou l'ami fidèle, pour comprendre les questions les plus importantes, pour trouver les solutions. Dans le choix des personnes, le pape va au-delà des intérêts de "cordées". Au fond, il le dit depuis le début: on doit rester à l'écart de la tentation du carriérisme.

C'est une méthode d'une modernité tellement grande qu'elle est difficile à comprendre. Il y aurait beaucoup d'épisodes à raconter.
Un premier exemple: la réponse au scandale de pédophilie dans le clergé d'Irlande. Il s'agit d'un problème connu, les évêques irlandais ont déjà été à Rome. Benoît XVI les a écoutés, a mis les problèmes en ordre, s'est fait une idée des responsables. Mais sa réponse déconcerte tout le monde. Il écrit une lettre aux catholiques d'Irlande. Il l'adresse aux évêques, prêtres et simples fidèles. Il y a les excuses pour ce qui s'est passé. Il y a le soin des victimes, l'annonce d'une visite apostolique. Et il y a la demande à l'Eglise d'Irlande de se mettre en pénitence pour le Carême, d'interroger sa propre conscience. Il n'y a aucune destitution forcée, parce qu'un Pape ne gouverne pas et basta. Un Pape fait en sorte que chacun soit conscient de ses propres erreurs. Un Pape est un pasteur parmi les pasteurs, et il donne aux pasteurs la possibilité de se racheter.

C'est choquant, si on le lit avec des critères séculiers. Mais c'est profondément chrétien.

Tout comme était profondément chrétienne son approche du vulnus avec le monde traditionaliste. On a accusé le Pape d'avoir ouvert la porte aux lefebvristes parce qu'il était au fond un traditionaliste. N'était-ce pas témoigné par ses vêtements recherchés, ses liturgies difficiles? Mais l'explication était en réalité plus simple. Benoît XVI visait à une Église unie, il charchait à guérir les blessures. Un pape est un pasteur qui n'enferme pas les brebis dans l'enclos. C'est plutôt un pasteur qui éduque les brebis, et les ramène, par la raison, dans le pré. Ce n'est pas un hasard que l'instruction relative à l'application du Motu Proprio Summorum Pontificum qui libéralisait le rite ancien, s'appelle "Universae Ecclesiae", l'Eglise universelle

Avec Benoît XVI, il n'y a pas de sanction, il y a le dialogue. La méthode est celle de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, que Joseph Ratzinger avait perfectionnée quand il en était préfet. Un dialogue constant avec les auteurs sous examen, la recherche d'une dialectique qui fasse comprendre aux «présumés hérétiques» quelles étaient les limites chrétiennnes de leur raisonnement. Et, en cas de condamnation, la production de deux documents, l'un 'pars destruens' et l'autre 'pars costruens' d'un processus dialectique.

Ce n'est pas un hasard si le cardinal Tarcisio Bertone a rappelé ce modèle lors d'une réunion avec les chefs des dicastères de la Curie romaine, le 25 Janvier 2012, alors qu'étaient déjà sortis les premiers sympômes du modèle Vatileaks. Il n'a pas été entendu. La collégialité est difficile à réaliser, si tout le monde ne rame pas dans la même direction.

Mais Benoît XVI poursuivait, imperturbable, ses réformes. Tandis que ses discours expliquaient l'Evangile avec des mots simples, et le projetaient vers des cimes extrêmement hautes et inattendues, l'Etat qu'il gouvernait se modernisait. Sous lui commençait le parcours européen du Saint-Siège vers la transparence financière, réalisée non pas avec l'idée d'être proche de l'Italie, mais d'être un État au cœur de l'Europe. Sous lui se réforma la Préfecture pour les affaires économiques, à présent avec les compétences d'un ministère des Finances. Sous lui commence le processus de modernisation de l'État de la Cité du Vatican.

Surtout, Benoît XVI donne une nouvelle impulsion à la diplomatie pontificale. Il l'enracine dans le concept de vérité, et non dans les relations entre les Etats. Le multilatéralisme se développe, tout simplement parce qu'il n'y a pas de relations privilégiées à resserrer avec les États. La vérité est super partes, le témoignage de la foi vient avant les voisins, confortables ou inconfortables. Les discours des diplomates du Saint-Siège changent, et on commence à revivre les grandes luttes sur les principes qui avaient caractérisé une partie du pontificat de Jean-Paul II.

Luttes sur les principes qui sont nécessaires encore plus aujourd'hui, quand même un comité de l'ONU prétend qu'il faut changer le droit canon.

Quoi qu'il en soit, Benoît XVI est un homme moderne et de bon sens. Il sait que le droit canon est une base fondamentale pour renforcer le Saint-Siège et mener à bien les réformes nécessaires des structures. Mais il sait aussi que l'annonce vient avant tout. Et même avant la structure qui rend possible l'Evangile. Et il le dit dans son Allemagne, face à une Église riche, mais qui au fond a perdu de vue le sens primaire de la structure, qui a perdu de vue l'Évangile. La demondanisation est nécessaire, les vagues de sécularisation sont positives car elles permettent à l'Eglise de garder ses vraies racines.

Mais ce qu'il y a de beau, c'est que cette prise de conscience, Benoît XVI a été en mesure de la définir et de l'expliquer avec la passion du savant, mais il l'a mûrie en paroisse, dans l'Église du Précieux-Sang, où, prêtre à peine ordonné, il fut envoyé comme vicaire. Des heures à confesser, pour comprendre. Il s'est rendu compte que ce n'était plus une Eglise de païens devenus chrétiens, mais une Église de chrétiens qui se disaient encore chrétiens et qui pourtant sont des païens. C'est à partir de là qu'il élargit sa pensée, qu'il arrive à comprendre la crise de l'homme contemporain.

Cela semble un paradoxe, mais Benoît XVI est le Pape de la modernité parce que c'est un Pape qui a su se mettre à l'écoute de Dieu, et qui ensuite a tenté d'expliquer cette écoute. Un Pape moderne au point d'écrire des livres comme le Jésus de Nazareth et les détacher du ministère pétrinien, conscient que la théologie, au fond, est un moyen toujours perfectible de raconter Dieu. Un Pape également moderne, car un Pape qui s'est nourri de la joie de la foi.

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(1) Monique précise à juste titre:
L'auteur dit que Benoît XVI n'a limogé personne. Je ne suis pas tout à fait d'accord. Il n'a limogé aucun cardinal de la Curie, pas même ceux qui lui faisaient du tort (je pense à Kasper, à Re etc...). Je crois qu'il ne voulait pas constituer autour de lui une camarilla de courtisans.
On reconnaît là aussi l'universitaire respectueux d'une certaine pluralité d'opinions et habitué à la confrontation des idées.
Par contre, il a été intransigeant avec ceux qui avaient commis des fautes graves. D'après mes calculs et selon les données qui ont été divulguées,de 2008 à 2012 inclus, il a réduit à l'état laïc 571 prêtres dans le monde. J'ai lu qu'il avait destitué 70 (chiffre à vérifier) évêques dans le monde au cours de son pontificat.
Sa lettre aux catholiques d'Irlande , pleine de compassion pour les victimes, est terrible envers les coupables.
Ne faisons pas passer Benoît XVI pour un faible!