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Benoît XVI, Pape des derniers temps

Reprise. Un splendide texte du Père Joël Guibert, prêtre du diocèse de Nantes et prédicateur de retraites, qui m'avait été transmis en mars 2013 par une lectrice. Il prend aujourd'hui un sens encore plus fort... (18/2/2014)

     

Benoît XVI, Pape des derniers temps

Comme pour un grand nombre de prêtres, le départ du pape Benoït XVI a provoqué en moi un sentiment de trouble. J’ai l’impression de perdre, non pas un « boss » mais bien plutôt celui qui mérite le nom de « doux Christ sur la Terre », selon l’expression de sainte Catherine de Sienne. Ma consolation, c’est qu’il nous laisse un somptueux héritage que nous n’avons pas fini d’explorer. Même ses détracteurs ont souligné qu’il était un immense maître spirituel. Il l’est, à mon avis, pour cinq raisons essentielles.

1ère raison: Benoît XVI est un maître en raison de son enseignement. Tout y est spirituel! Livres, prédications, encycliques, audiences du mercredi, qui synthétisent avec une pédagogie merveilleuse la richesse de l’enseignement de l’Eglise, profondément enracinée dans la théologie des Pères et des saints. Lire son Jésus de Nazareth est une véritable retraite vécue aux côtés de Jésus: n’y a-t-il pas de meilleure école?

2ème raison: Benoît XVI ne fut pas « un pape de transition », comme on l’a dit, mais un pape de refondation. A l’orée du IIIè millénaire, cet homme « doux et humble de coeur » a refondé l’Eglise sur son axe principal et son socle essentiel, le Christ, vers lequel il recentre nos regards et nos vies. C’est un pape eschatologique. Et le contraire d’un gourou, puisque ce n’est jamais lui qu’il met en avant, mais Celui dont il est le serviteur.

J’en viens précisément à la 3ème raison - selon moi, elle n’est pas la moindre -: son humilité. Elle donne le vertige! Son exquise timidité le rendait désarmant. Il suffit d’entendre sa douce voix, de le revoir avec sa manière presque gauche de saluer les foules de jeunes des JMJ qui l’ovationnaient… Où est le portrait du « berger allemand » qu’une certaine presse tenait de nous imposer.
Il en fallait par ailleurs de l’humilité pour succéder à ce géant de la mission et titan de la communication que fut Jean-Paul II. Benoît XVI n’a pas cherché à copier un modèle médiatique, à jouer un rôle, mais à être simplement lui-même sous le regard de Dieu.
Il en fallait aussi de l’humilité, à l’aube de son pontificat, pour confier ses peurs devant la dureté de la tâche: « priez pour moi, afin que je ne me dérobe pas, par peur, devant les loups ».
Il en fallait enfin pour partir ainsi. Nous ne pouvons pénétrer le secret de sa renonciation. Il y a dans ce retirement une participation à l’abaissement du Christ. Un abaissement incompréhensible dans une société de la toute puissance. Benoît XVI a choisi de ne plus faire mais d’être - un simple prêtre, plongé dans l’Etre de ce Christ qui est son Amour. Jean-Paul II nous a offert l’humilité du visage du serviteur souffrant, jusque dans l’agonie; Benoît XVI nous offre l’humiliation d’une décision incomprise, et l’humilité du retirement au désert. Ce Benoît mérite bien son prénom: comme saint Benoît, on a tenté de le tuer - non avec des balles comme Jean-Paul II, mais avec des mots. Comme son saint patron, il se retire dans un endroit désert - au cœur du monde - pour prier et se préparer à la Rencontre, caché au pied de la Croix.
Non, Benoît XVI n’est pas un capitaine lâche qui aurait quitté le navire au moment où il prenait l’eau, laissant les passagers livrés à eux-mêmes; sa démission elle-même participe à un mystérieux martyr intérieur. Dans le sillage de ce pape, l’Eglise Catholique, surtout dans nos pays sécularisés, doit se préparer pour un temps, non seulement à être minoritaire mais à être raillée à cause de son attachement à la vérité. Rien de plus subtil et terrible que la persécutiuon médiatique - nous la vivons intensément actuellement. Loin de nous complaire dans un certain pessimisme, c’est encouragés par ce pape visionnaire, que nous voulons faire preuve de lucidité face aux subtiles dérives totalitaires de la démocratie qui risquent de s’amplifier.

Face à la menace spirituelle du relativisme Benoît XVI est également maître, car il est prophète. Son pontificat se présente comme une « prophétie » de ce que l’Eglise catholique est amenée à vivre. J’ose le dire: ce pape est la première grande « victime » de la dictature du relativisme, son « cheval de bataille ». C’est ce poison qui consiste à penser que tout se vaut et que l’homme est l’étalon du vrai comme du bien et du mal. Unissons-nous dans un syncrétisme light où chacun remplit son caddie selon ses envies…Contre cette menace spirituelle, Benoît XVI nous a replacés face à la vérité du Christ. Pour un intellectuel comme lui- incisif dans sa pensée aussi profonde que sa prière -, je pense que l’attaque du relativisme a contribué pour une large part, à l’érosion de ses forces.
Ce combat pour la vérité -là encore, il s’est montré un maître-, il l’a mené dans la charité. Il a réussi à conjuguer douceur et fermeté. Benoît XVI, c’est vraiment « le choix de la vérité » sur les péchés des membres de l’Eglise, mais aussi sur les grands ressorts de nos sociétés-ceci afin de mieux servir l’homme moderne fortement tenté par l’errance et la fuite. Il ne pouvait puiser cette liberté vis-à-vis des modes et des pressions que dans un esprit d’enfance et une disponibilité totale à l’Esprit. Une telle liberté intérieure - qu’il manifeste jusque dans une décision souveraine de retirement -, n’est-ce pas la marque ultime et sublime d’un immense maître spirituel?