Accueil

Benoît XVI raconte son voyage en Terre Sainte

... lors de la catéchèse du 20 mai 2009 (27/5/2014)

Comme je l'ai rappelé ici, à chacun de ses voyages internationaux, Benoît XVI exposait les buts du voyage en répondant aux questions des journalistes dans le vol-aller, puis en récapitulait toutes les étapes lors de la première catèchèse suivant son retour.
Pour le pélerinage en Terre Sainte, l'échange avec les journalistes est à lire sur le site du Saint-Siège: www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi...

A la première question "Pensez-vous pouvoir apporter une contribution au processus de paix qui semble actuellement s’enliser ?", le Pape répondait:

Pélerin de paix

Je cherche certainement à contribuer à la paix non en tant qu’individu mais au nom de l’Église catholique, du Saint-Siège. Nous ne sommes pas un pouvoir politique, mais une force spirituelle et cette force spirituelle est une réalité qui peut contribuer aux progrès du processus de paix.
Je vois trois niveaux.
Le premier : comme croyants, nous sommes convaincus que la prière est une vraie force : elle ouvre le monde à Dieu. Nous sommes convaincus que Dieu écoute et qu’il peut agir dans l’histoire. Je pense que si des millions de personnes, de croyants, prient, c’est réellement une force qui influence et qui peut contribuer à faire progresser la paix.
Le deuxième niveau : nous cherchons à aider à la formation des consciences. La conscience est la capacité de l’homme à percevoir la vérité, mais cette capacité est souvent entravée par des intérêts particuliers. Et libérer de ces intérêts, ouvrir le plus possible à la vérité, aux vraies valeurs est un grand engagement : c’est une tâche de l’Église d’aider à connaître les vrais critères, les vraies valeurs, et à nous libérer des intérêts particuliers.
Et ainsi – le troisième niveau – nous nous adressons également – c’est ainsi ! – à la raison : justement parce que nous ne sommes pas un parti politique, nous pouvons peut-être plus facilement, aussi à la lumière de la foi, discerner les vrais critères, aider à comprendre ce qui contribue à la paix et parler à la raison, appuyer les positions réellement raisonnables.
Et cela nous l’avons déjà fait et nous voulons le faire aussi maintenant et à l’avenir.

     

La catéchèse de mercredi suivant, le 20 mai, s'était déroulée dans une ambiance festive, et malgré les fatigues d'un voyage épuisant de huit jours, le Saint-Père paraissait détendu et en bonne forme.
Voici ma traduction d'alors.

Il m'avait paru très significatif que la lecture introduisant la catéchèse était cet extrait de la lettre de Saint-Paul aux Ephésiens:

Un en Jésus-Christ
--------------
"Rappelez-vous ce que vous étiez autrefois ! Vous n'êtes pas juifs de naissance; les juifs vous traitent d'incirconcis alors qu'ils s'appellent circoncis en raison d'une opération pratiquée dans leur chair. Eh bien, en ce temps-là, vous étiez loin du Christ; vous étiez étrangers, vous n'apparteniez pas au peuple de Dieu; vous étiez exclus des alliances fondées sur la promesse divine; vous viviez dans le monde sans espérance et sans Dieu.
Mais maintenant, dans l'union avec Jésus-Christ, vous qui étiez alors bien loin, vous avez été rapprochés par son sacrifice. Car c'est le Christ lui-même qui nous a apporté la paix, en faisant des juifs et des non-Juifs un seul peuple.
En donnant son corps, il a abattu le mur qui les séparait et en faisait des ennemis. Il a annulé la loi juive avec ses commandements et ses règlements, pour former avec les uns et les autres un seul peuple nouveau dans l'union avec lui; c'est ainsi qu'il a établi la paix. Par sa mort sur la croix, le Christ les a tous réunis en un seul corps et les a réconciliés avec Dieu; par la croix, il a détruit la haine.

     

Chers frères et soeurs,

Je reviens aujourd'hui sur le voyage apostolique que j'ai accompli du 8 au 15 mai en Terre Sainte, et pour lequel je ne cesse de remercier le Seigneur, parce qu’il s'est révélé un grand don pour le Successeur de Pierre et pour toute l'Église. Je désire renouveler mes remerciements à Sa Béatitude le Patriarche Fouad Twal, aux Évêques des divers rites, aux Prêtres, aux Franciscains de la Custodie de Terre Sainte. Je remercie le Roi et la Reine de Jordanie, le Président d'Israël et le Président de l'Autorité Nationale Palestinienne, avec leurs Gouvernements respectifs, toutes les Autorités et tous ceux qui de différentes manières ont collaboré à la préparation et au bon déroulement de la visite. Il s'est agi d'abord d'un pèlerinage, et même, du pèlerinage par excellence aux sources de la foi ; et en même temps d'une visite pastorale à l'Église qui vit en Terre Sainte: une Communauté de singulière importance, parce qu'elle représente une présence vivante là où elle a eu son origine.

La première étape, du 8 au matin jusqu'au 11 mai, a été en Jordanie, sur le territoire de laquelle se trouvent deux des principaux lieux saints : le Mont Nebo, d'où Moïse contempla la Terre Promise et où il mourut sans y entrer ; et ensuite Béthanie « au-delà du Jourdain », où, selon le quatrième Évangile, Saint Jean baptisait initialement. Le Mémorial de Moïse sur le Mont Nebo est un site de forte valeur symbolique : il parle de notre condition de pèlerins, entre le « déjà » et le « pas encore », entre une promesse si grande et si belle qu'elle nous soutient dans notre chemin, et un accomplissement qui nous dépasse, et qui dépasse même ce monde.
L'Église vit en elle-même cette « nature eschatologique » et « en pélerinage » : elle est déjà unie au Christ son époux, mais on n'a pour l'instant qu'un avant-goût de la fête des noces , dans l'attente de son retour glorieux à la fin des temps.

À Béthanie, j'ai eu la joie de bénir les premières pierres de deux églises à édifier dans le site où Saint-Jean baptisait.
Ce fait marque l'ouverture et le respect en vigueur dans le Royaume Hachémite pour la liberté religieuse et pour la tradition chrétienne, et cela mérite un grande appréciation. J'ai eu l'occasion de manifester cette juste reconnaissance, unie au profond respect pour la communauté musulmane, aux Chefs religieux, au Corps Diplomatique et aux Recteurs des Universités, réunis à la Mosquée al-Hussein bin-Talal, construite par le Roi Abdallah II en mémoire de son père, le célèbre Roi Hussein, qui accueillit le Pape Paul VI lors de son pèlerinage historique de 1964. Combien il est important que chrétiens et musulmans cohabitent pacifiquement dans le respect mutuel! Grâce à Dieu, et à l'engagement des gouvernants, cela se produit en Jordanie. C'est pourquoi j'ai prié pour qu'il en soit ainsi ailleurs aussi, pensant particulièrement aux chrétiens qui vivent au contraire des réalités difficiles dans l'Irak voisin.

En Jordanie vit une importante communauté chrétienne, enrichie de réfugiés palestiniens et irakiens. Il s'agit d'une présence significative et appréciée dans la société, y compris pour ses oeuvres d'éducation et d'assistance, attentive à la personne humaine indépendamment de toute appartenance ethnique ou religieuse. Un bel exemple est le Centre de réhabilitation Regina Pacis à Amman, qui accueille de nombreuses personnes atteintes d'invalidité. En le visitant, j'ai pu apporter une parole d'espoir, mais j'en ai à mon tour reçu une, comme témoignage confirmé de la souffrance et du partage humain. En signe de l'engagement de l'Église dans le domaine de la culture, j'ai en outre bénit la première pierre de l'Université de Madaba, du Patriarcat Latin de Jérusalem. J'ai éprouvé une grande joie en donnant l'envoi à cette nouvelle institution scientifique et culturelle, afin qu'elle manifeste de manière tangible que l'Église promeut la recherche de la vérité et du bien commun, et offre un espace ouvert et qualifié à tous qui veulent s'engager dans cette recherche, prémisse indispensable pour un dialogue vrai et fructueux entre les civilisations. Toujours à Amman, deux célébrations liturgiques solennelles se sont déroulées : les Vêpres dans la Cathédrale grecque-melchite de Saint-Georges, et la sainte Messe dans le Stade International, qui nous ont donné l'occasion de goûter ensemble la beauté de nous retrouver comme peuple pèlerin de Dieu, riche de ses différentes traditions et uni dans l'unique foi.

Ayant quitté la Jordanie, lundi 11, en fin de matinée, j'ai rejoint Israël où, dès mon arrivée, je me suis présenté comme pèlerin de foi dans la Terre où Jésus est né, a vécu, est mort et est ressuscité, et, en même temps, comme pèlerin de paix pour implorer de Dieu que là où Il a voulu se faire homme, tous les hommes puissent vivre comme ses enfants, c'est-à-dire en frères.
Ce second aspect de mon voyage a naturellement émergé dans les rencontres avec les Autorités civiles : dans la visite au Président israélien et au Président de l'Autorité palestinienne. Dans cette Terre bénie de Dieu il semble parfois impossible de sortir de la spirale de la violence.
Mais rien n'est impossible à Dieu et à ceux qui Lui font confiance! C'est pourquoi la foi dans l'unique Dieu juste et miséricordieux, qui est la plus précieuse ressource de ces peuples, doit pouvoir dégager toute sa charge de respect, de réconciliation et de collaboration. Ce souhait, j'ai voulu l'exprimer en rendant visite au Grand Mufti et aux chefs de la communauté islamique de Jérusalem, et au Grand Rabbinat d'Israël, ainsi que dans la rencontre avec les Organisations engagées dans le dialogue interreligieux, puis, dans celui avec les Chefs religieux de Galilée.

Jérusalem est le carrefour des trois grandes religions monothéistes, et son nom même - « ville de la paix » - exprime le dessein de Dieu sur l'humanité : former avec elle une grande famille. Ce dessein, pré-annoncé à Abraham, s'est pleinement réalisé en Jésus Christ, que Saint-Paul appelle « notre paix », parce qu'il a abattu avec la force de son Sacrifice les murs de l'inimitié. Tous les croyants doivent par conséquent tourner le dos aux préjugés et à la volonté de domination, et pratiquer unanimement le commandement fondamental : aimer Dieu de tout son être et aimer son prochain comme soi-même. C'est de cela que juifs, chrétiens et musulmans sont appelés à témoigner, pour honorer dans les faits ce Dieu qu'ils prient avec les lèvres.
Et c'est exactement cela que je portais dans le coeur, en prière, en visitant, à Jérusalem, le Mur Occidental - ou Mur des lamentations - et la Coupole du Rocher, lieux symboliques respectivement du Judaïsme et de l'Islam.
Un instant d'intense recueillement a été en outre la visite au Mausolée de Yad Vashem, érigé à Jérusalem en l'honneur des victimes de la Shoah. Là nous nous sommes arrêtés en silence, priant et méditant sur le mystère du « nom » : chaque personne humaine est sacrée, et son nom est écrit dans le coeur du Dieu éternel. Jamais la terrible tragédie du Shoah ne doit être oubliée ! Il faut au contraire que soit toujours dans notre mémoire cet avertissement universel au respect sacré de la vie humaine, qui revêt toujours une valeur infinie.

Comme je l'ai déjà évoqué, mon voyage avait comme but prioritaire la visite aux Communautés catholiques de la Terre Sainte, et cela s'est produit à différents moments, à Jérusalem, à Bethléem et à Nazareth. Au Cénacle, l'esprit tourné vers le Christ qui lave les pieds des Apôtres et institue l'Eucharistie, et le don de l'Eprit Saint à l'Église le jour de Pentecôte, j'ai pu rencontrer, entre autre, le Custode de Terre Sainte et méditer en même temps sur notre vocation à être une seule chose, à former un seul corps et un seul esprit, à transformer le monde avec la douce puissance de l'amour. Certes, en Terre Sainte, cet appel rencontre des difficultés particulières, c'est pourquoi, avec le coeur du Christ, j'ai répété à mes frères Évêques ses paroles mêmes: « N'ayez pas peur, petit troupeau, parce qu'à votre Père il a plu de vous donner le Règne » (Luc 12.32). J'ai ensuite salué brièvement les religieuses et religieux de vie contemplative, en les remerciant pour le service qu'avec leur prière, ils offrent à l'Église et à la cause de la paix.

Des instants culminants de communion avec les fidèles catholiques ont été surtout les célébrations eucharistiques.
Dans la Vallée de Joséphat, à Jérusalem, nous avons médité sur la Résurrection du Christ comme force d'espérance et de paix pour cette Ville et pour le monde entier.
À Bethléem, dans les Territoires Palestiniens, la sainte Messe a été célébrée devant la Basilique de la Nativité avec la participation de fidèles provenant de Gaza, que j'ai eu la joie de réconforter en personne en les assurant de ma proximité spéciale. Bethléem, le lieu où a résonné le chant céleste de paix pour tous les hommes, est le symbole de la distance qui nous sépare encore de l'accomplissement de cette annonce : précarité, isolement, incertitude, pauvreté. Tout cela a amené beaucoup de chrétiens à partir loin. Mais l'Église continue son chemin, soutenue par la force de la foi et faisant témoignage d'amour par des oeuvres concrètes de service aux frères, comme, par exemple, le Caritas Baby Hospital de Bethléem, soutenu par des Diocèses d'Allemagne et de Suisse, et l'action humanitaire dans les camps de réfugiés.
Dans celui que j'ai visité, j'ai voulu assurer les familles qui y sont reçues, de la proximité et de l'encouragement de l'Église universelle, invitant chacun à rechercher la paix avec des méthodes non violentes, suivant l'exemple de Saint François d'Assise.
La troisième et dernière Messe avec le peuple, je l'ai célébrée jeudi dernier à Nazareth, la ville de la sainte Famille. Nous avons prié pour toutes les familles, pour que soient redécouvertes la beauté du mariage et de la vie familiale, la valeur de la spiritualité domestique et de l'éducation, l'attention aux enfants, qui ont droit à grandir dans la paix et la sérénité. En outre, dans la Basilique de l'Annonciation, avec tous les Pasteurs, les personnes consacrées, les mouvements ecclésiaux et les laïques engagés de la Galilée, nous avons chanté notre foi dans la puissance créatrice et transformante de Dieu. Là, où le Verbe s'est fait chair dans le sein de la Vierge Marie, jaillit une source inépuisable d'espoir et de joie, qui ne cesse d'animer le coeur de l'Église, en pèlerinage dans l'histoire.

Mon pèlerinage s'est terminé, vendredi dernier, avec une pause au Saint-Sépulcre, et avec deux importantes rencontres oecuméniques à Jérusalem : au Patriarcat grec-Orthodoxe, où étaient réunie toutes les représentations ecclésiales de Terre Sainte, et enfin à l'Église Patriarcale Arménienne Apostolique.
Il me plaît de récapituler l'itinéraire entier qu'il m'a été donné d'effectuer en signe de la Résurrection du Christ : malgré les vicissitudes, qui tout au long des siècles ont marqué les Lieux saints, malgré les guerres, les destructions, et malheureusement même les conflits entre chrétiens, l'Église a poursuivi sa mission, poussée par l'Esprit du Seigneur ressuscité. Elle est en chemin vers la pleine unité, afin que le monde croie dans l'amour de Dieu et expérimente la joie de sa paix.
A genoux sur le Calvaire et dans le Sépulcre de Jésus, j'ai invoqué la force de l'amour qui jaillit du Mystère pascal, la seule force qui peut rénover les hommes et orienter à cette fin l'histoire et le cosmos. Je vous demande aussi à vous de prier pour ce but, tandis que nous nous préparons à la fête de l'Ascension que nous célébrerons demain Vatican.