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Dernier concert pour Benoît XVI pape

C'était celui offert par le Président Napolitano le 4 février 2013. Au programme, Verdi et Beethoven. Le discours du Pape, et celui, prophétique, du Président. (5/2/2014)

On se rapproche du premier anniversaire de ce 11 février 2013, de l'annonce inouïe de Benoît XVI.
Si on relit les derniers discours qu'il a prononcés en tant que Pape, surtout ceux du début février 2013, on ne peut s'empêcher de relire et revoir ce qui était pour nous presque de la routine (même sublime), en se disant: il savait, et nous pas. Il nous envoyait peut-être des signaux, et nous n'avons rien vu.

C'est le cas pour ce concert, a priori en l'honneur du 84e anniversaire des accords du Latran, offert le 4 février 2013 par le Président Napolitano, avec au programme, Verdi et Beethoven, sous la direction du Maestro indien Zubin Mehta.
Teresa attire mon attention sur la portée de cet évènement, et publie sur son site les images, très émouvantes, de la rencontre avec le Président italien: il vient du communisme, et je sais qu'il n'est pas apprécié par les mouvements conservateurs transalpins, notamment catholiques, mais peu importe ici, l'affection réciproque est évidente. Et quand on compare son élégance à la triste "dégaine" de notre propre président, on se surprend à éprouver - même pour un ex-communiste!! - une certaine indulgence.

Voici d'abord le discours de bienvenue de Giorgio Napolitano.
C'est un discours d'adieu, et le Président était si ému que, selon le récit du Corriere della Sera, sa voix s'est brisée en prononçant les premières phrases...
Mais, ironie de l'histoire (et c'est ce qui donne à ce discours la valeur d'un témoignage exceptionnel), le Pape s'apprêtait à quitter sa charge, juste une semaine plus tard. Tandis que le Président, né en 1925, précédemment élu à la sienne en mai 2006, et qui ne souhaitait pas se représenter, était réélu président de la République le 20 avril 2013, en pleine crise politique, deux mois après l'élection d'un Parlement sans majorité, devenant le premier président de la République reconduit pour un second mandat (d'après Wikipedia)

Discours de Giorgio Napolitano

Sainteté

les rendez-vous , rendus propices par un amour commun pour la musique, qui se sont succédé d'année en année dans l'atmosphère recueillie et en même temps chorale, de la Salle Paul VI, s'achèvent pour moi avec ce concert , qui coïncide avec la phase finale de mon mandat de président de la République italienne. Vous ne serez donc pas surpris si dans mes paroles affleurent des accents d'émotion particulière .

Parce que ce n'est pas là seulement l'occasion de vous adresser, comme les années précédentes, l'hommage le plus sincère et les voeux pour l'anniversaire de votre élection au Siège Pontifical, et en même temps pour donner le coup d'envoi de la célébration du 84e anniversaire des Accords du Latran , mais c'est aussi une forme d'adieu public symbolique .

La référence au traité de Latran nous permet de mesurer le long chemin parcouru - aussi au cours des dernières années, par l'engagement convergent - vers une coopération sereine et confiante entre l'État et l'Église au service du bien commun, "dans le plein respect" - ce sont vos paroles - "de la distinction entre la sphère politique et la sphère religieuse".

Mais le souvenir de nos rencontres et de nos discussions, à de multiples occasions, au cours de ces sept années, difficiles non seulement pour mon pays dans un monde toujours plus interdépendant, me dit aussi autre chose, et bien plus. Le souvenir de notre mutuelle écoute me dit beaucoup. Le dialogue que nous avons pu entretenir m'a beaucoup enrichi: sur l'Italie, sur l'Europe, sur la paix et sur la politique elle-même, entendue comme une dimension essentielle de l'agir humain, sur les racines idéales et morales de l'engagement politique.

Nous allons continuer, Sainteté, comme Italiens, dans quelque position que ce soit, à porter attention à vos messages, à en tirer matière à réflexion et confiance .

Et maintenant, merci à tous ceux qui ont rendu ce concert possible. ...

     

Discours du Pape

(ma traduction d'alors)
Monsieur le Président de la République,
Messieurs les Cardinaux,
Messieurs les Ministres et Distinguées Autorités
Vénérés Frères,
Mesdames et Messieurs!

Tout d'abord, je salue le Président de la République italienne, l'Honorable Giorgio Napolitano, et le remercie pour les expressions intenses qu'il m'a adressées: durant ces sept ans - comme il l'a rappelé - nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises et nous avons partagé des expériences et des réflexions. Je salue sa charmante épouse, les autorités italiennes, ainsi que les ambassadeurs et les nombreuses personnalités présentes. Merci de tout cœur aux promoteurs et organisateurs de cette soirée, en particulier à la «Flying Angels Foundation», engagée dans le domaine de la solidarité
L'«Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino» et son directeur, le Maestro Zubin Mehta, n'ont pas besoin de présentation: l'un et l'autre occupent une place importante sur la scène musicale internationale et ce soir, ils l'ont prouvé en nous donnant un moment d'élévation profonde de l'esprit avec la remarquable exécution de la Symphonie de Verdi et de la Troisième de Beethoven.

Giuseppe Verdi, La Forza del Destino: un hommage dû au grand musicien italien dans l'année où nous célébrons le 200e anniversaire de sa naissance. Dans ses œuvres, on est toujours touché par la façon dont il a réussi capturer et traiter musicalement les situations de la vie, surtout les drames de l'âme humaine, d'une manière si immédiate, incisive et essentielle que l'on trouve rarement dans le panorama musical. C'est un destin toujours tragique que celui des personnages de Verdi, auquel n'échappent pas les protagonistes de La Forza del Destino: la Symphonie nous avons entendue, dès les premières mesures, nous le fait percevoir. Mais en affrontant le thème du destin, Verdi se retrouve à affronter directement le thème religieux, à se confronter avec Dieu, avec la foi, avec l'Église; et à nouveau émerge l'âme du musicien, son inquiètude, sa quête religieuse. Dans La Forza del Destino, non seulement l'un des airs les plus célèbres, «La Vergine degli Angeli» est une prière intense, mais on trouve aussi deux histoires de conversion et de rapprochement avec Dieu: celle de Leonora, qui reconnaît ses fautes de façon dramatique et décide de se retirer dans une vie d'ermite, et celle de Don Alvaro, qui se débat entre le monde et une vie dans la solitude avec Dieu.

Il est intéressant de noter que dans les deux versions de cet opéra, celle de 1862 à Saint-Pétersbourg et celle "La Scala" de Milan en 1869, le final change: dans la première, Don Alvaro termine sa vie par le suicide, rejetant l'habit religieux et invoquant l'enfer; dans la seconde, en revanche, il accepte les paroles du Frère Gardien de faire confiance dans le pardon de Dieu, et l'opéra se termine par les mots «Montée à Dieu». Ici est dessiné le drame de l'existence humaine marquée par un destin tragique et la nostalgie de Dieu, sa miséricorde et son amour, qui offrent la lumière, le sens et l'espoir, même dans l'obscurité. La foi nous offre cette perspective qui n'est pas illusoire, mais réelle comme le dit saint Paul, «ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer l'amour de Dieu qui est en Jésus-Christ notre Seigneur » (Rm 8,38 à 39). C'est la force du chrétien, qui naît de la mort et de la résurrection du Christ, de l'acte suprême d'un Dieu qui est venu dans l'histoire humaine, non seulement en paroles, mais en s'incarnant.

Un mot aussi sur la Troisième Symphonie de Beethoven, une oeuvre complexe qui marque une rupture claire avec la musique symphonique classique de Haydn et de Mozart. Comme cela est bien connu, elle était dédiée à Napoléon, mais le grand compositeur allemand a changé d'avis après que Bonaparte se soit proclamé empereur, changeant le titre en «Composée pour célébrer le souvenir d'un grand homme».
Beethoven exprime musicalement l'idéal du héros porteur de liberté et d'égalité, qui est confronté au choix de la démission ou de la lutte, de la mort ou de la vie, de la reddition ou de la victoire; et la Symphonie décrit ces états d'âme avec une richesse des couleurs et des thème inconnue jusqu'ici. Je ne rentre pas dans la lecture des quatre mouvements, mais je cite seulement le second, la célèbre Marche funèbre, une méditation mélancolique sur la mort, qui commence par une première section aux tons dramatiques et désolés, mais qui contient, dans la partie centrale, un épisode serein entonné au hautbois et puis la double fugue et la sonnerie de la trompette: la pensée sur la mort nous invite à réfléchir à l'au-delà, à l'infini. En ces années, Beethoven, dans le testament d'Heiligenstadt d'Octobre 1802, écrivait: «O Dieu, d'en haut, tu regardes le fond de mon coeur, tu le connais et tu sais qu'il est plein d'amour pour l'humanité et le désir de faire le bien». La recherche de sens qui ouvre à une solide espérance pour l'avenir fait partie du parcours de l'humanité.
Je vous remercie, Monsieur le Président, pour votre présence. Merci au directeur et aux professeurs de l'Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino Merci aux promoteurs et organisateurs, et à vous tous!
Bonsoir!