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Deux Papes dans la basilique St-Pierre

Réflexion sur la présence de Benoît XVI au Consistoire du 22 février (23/2/2013)

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Benoît à Saint-Pierre

     

Stupéfaction, et même pic d'adrénaline hier matin, en apprenant vers 11 heures, sur internet, que Benoît XVI assistait à la célébration présidée par François, dans la Basilique Vaticane.
ll y avait bien sûr l'immense joie de le revoir - et en bonne santé.

Mais on ne peut manquer de s'interroger, et quelques-uns ont commencé à le faire sur le ton du soupçon, voire de la critique - des deux côtés de l'échiquier ecclésial (ou politique?), pour des raisons opposées qu'il n'est pas utile de préciser.
La raison du geste d'hier, lui, Benoît XVI, la connaît... pas nous. Nous n'avons que des hypothèses, pas de certitude.
Je n'ai pour ma part aucun doute que des intérêts supérieurs sont en jeu, et qu'il agit uniquement pour le bien de l'Eglise.
Alors qu'il avait annoncé en février 2013 qu'il choisissait de vivre désormais caché au monde, son geste est à mettre en perspective avec ce que disait son secrétaire "quand il a pris une décision, on ne peut pas lui faire changer d'avis": je crois que tout se reconduit à cette phrase que je citais hier, par laquelle, au moment de prendre congé, il promettait obéissance inconditionnelle à son successeur..

S'agissait-il de faire taire une rumeur qui commence à prendre corps, sur la validité de sa renonciation (Antonio Socci)? Ou sur une éventuelle "dyarchie" qui exercerait chacun dans son domaine les deux aspects du ministère pétrinien: prière, et gouvernement de l'Eglise?
Le geste (assez inouï, en tout cas inédit) de se décoiffer devant le Pape Bergoglio est certainement chargé de signification. Tout comme le choix de s'asseoir dans un angle, sur une petit fauteuil inconfortable, à côté des cardinaux (mais imagine-t-on ce que ses ennemis, qui n'ont à l'évidence pas lâché prise, auraient dit, s'il s'était assis dans le choeur à côté du Pape François, comme on l'a par exemple déjà vu durant son Pontificat avec le Patriarche orthodoxe sur un trône à droite du Pape lors de la célébration des vêtres en la fête des SS Pierre et Paul?).
Un geste d'humilité (d'humiliation?) supplémentaire, de celui qui a choisi "de ne pas descendre de la Croix".

A cet égard, ces deux articles de Vatican Insider ("la salle de presse-bis du Saint Siège", dit mon amie Luisa), dont l'un, de l'attaché de presse officieux du Pape [(*)], offrent un angle de lecture intéressant, d'un évènement qui sera certainement approfondi par l'Histoire, alors qu'il a connu une très faible médiatisation, au point que les habitués français des ragots vaticans n'en ont même pas parlé, ou très peu. Sans doute parce que "ils visent juste, car ils visent bas", pour paraphraser Fabrice Luchini.

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Le reportage de Tornielli (*)

Le premier pas du Pape "caché" vers la normalité
L'étreinte avec François. Ratzinger a ôté sa calotte en signe de respect
Ratzinger, qui fait son entrée à Saint-Pierre, à la surprise des cardinaux, et assiste au consistoire, une image destinée à rester dans l'histoire

Andrea Tornielli
http://vaticaninsider.lastampa.it/vaticano/dettaglio-articolo/articolo/concsitoro-2014-32277/
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La participation du pape émérite Benoît XVI au consistoire pour la création de nouveaux cardinaux dans la basilique Saint-Pierre représente la nouveauté la plus significative après le renoncement à la papauté advenu il y a un an.
Ratzinger avait annoncé vouloir vivre «caché au monde», mais hier, il a accepté l'invitation de son successeur et a assisté à la création de nouveaux cardinaux, parmi lesquels se trouvait son ami, le théologien allemand Gerhard Ludwig Müller, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

La présence, inattendue et imprévue - on avait suggéré à plusieurs reprises que Benoît XVI assisterait à la prochaine canonisation de Jean-Paul II et de Jean XXIII, mais pas au consistoire - laisse désormais ouverte la possibilité qu'en d'autres occasions spéciales, le Pape émérite quittera la semi-clôture du couvent où il vit à quelques centaines de mètres de la résidence de son successeur François.

Ratzinger, qui fait son entrée à Saint-Pierre, à la surprise des cardinaux immédiatement accourus pour le saluer, et assiste au consistoire 15 mois après le dernier présidé par lui, c'est une image destinée à rester dans l'histoire de l'Église et de la papauté.
Au cours des dernières semaines, coïncidant avec le premier anniversaire de la renonciation, plusieurs commentateurs ont souligné l'importance de la présence de Benoît aux côtés de François. Certains d'entre eux ont même été jusqu'à émettre l'hypothèse que le fait inédit du pape démissionnaire «dans la cour de Pierre», en prière et vêtu de blanc, laissait entendre quelque chose de plus, un «secret». Quelqu'un a même parlé de «dyarchie».

La présence de Ratzinger hier à Saint-Pierre aurait pu renforcer ces spéculations infondées (ndt: ici, Tornielli n'informe pas, il décrète!). Et au contraire, c'est Benoît XVI lui-même qui dégagé le terrain des interprétations erronées.
Bien qu'on lui ait offert une place d'honneur, il a voulu s'asseoir dans un coin, dans la même rangée que les cardinaux évêques, et sur une chaise égale à la leur. Il portait sa soutane blanche et un manteau. Mais au début et la fin de la cérémonie, quand François s'est approché de lui pour l'embrasser, Ratzinger a ôté sa calotte en signe de respect. Il ne l'avait jamais fait auparavant: ni à la première accolade avec son successeur à Castel Gandolfo, ni quand il a assisté à l'inauguration d'une statue avec François devant le gouvernorat du Vatican, ni quand Bergoglio est allé lui rendre visite pour les vœux de Noël.

Ces signes concrets et bien visibles - la chaise comme celles des autres cardinaux, le fait qu'il se soit décoiffé - apparaissent donc très éloquents.
L'humilité de Benoît XVI laisse imaginer que cela ne lui a pas coûté de renoncer à une place particulière, se mêlant au contraire aux autres cardinaux.
François considère son prédécesseur une source de sagesse (ndt: "un grand-père sage", c'est quand même un peu réducteur pour l'un des plus grands théologiens de la charnière XXe-XXIe siècle!!!), il l'invite à ne pas vivre toujours retiré. La présence exceptionnelle d'hier au consistoire est une autre étape vers la normalité: il y a un Pape régnant qui guide l'Eglise et il y a un évêque émérite de Rome, qui habite à côté de son successeur et prie pour lui.

     

Entretien avec le cardinal Lajolo

«Ratzinger a ôté sa calotte et voulu une simple chaise»
Entretien avec le cardinal Lajolo: «Sodano s'est battu pour lui assigner une place digne, mais Benoît XVI s'était déjà entendu avec François pour se mettre dans un coin»
Domenico Agasso Jr
http://vaticaninsider.lastampa.it/inchieste-ed-interviste/dettaglio-articolo/articolo/concistoro-2014-32270/
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Giovanni Lajolo, piémontais (il est né à Novare en 1935), a été de 2006 à 2011 président du Gouvernorat de la Cité du Vatican, le corps qui exerce le pouvoir exécutif de l'autre côté du Tibre. Lajolo avait été nommé par le pape Benoît XVI, qui en 2007 l'a également créé cardinal.

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- Eminence, quel effet cela vous a-t-il fait de voir le pape émérite Benoît XVI au milieu de vous?
« Ce fut un moment de commotion, pas seulement d'émotion. Aussi parce qu'il a voulu s'asseoir sur une simple chaise à côté des cardinaux, et qu'il n'y a pas eu moyen de lui faire changer d'avis. Le Doyen Angelo Sodano m'a dit qu'il s'est «battu» pour lui assigner une place digne, comme c'était logique. Mais il a perdu cette «bataille»: Benoît XVI avait déjà fait un accord avec le pape François pour s'asseoir simplement dans un coin. Et en effet, il était dans un coin, devant, mais dans un coin».

- Comment avez-vous réagi quand vous l'avez rencontré?
«Tous les cardinaux se sont immédiatement portés vers lui pour pouvoir le saluer, et c'était amusant de voir qu'ils se poussaient l'un l'autre comme des enfants, pour atteindre Benoît XVI. C'était une nouvelle vague d'amour pour le pape émérite» (???).

- Quand Bergoglio est allé le saluer, Ratzinger a ôté sa calotte (zucchetto): que signifie ce geste?
« C'est un signe de respect et d'humilité. Zucchetto en espagnol se dit "Solideo", c'est à dire "au seul Dieu": on l'enlève seulement devant Dieu ou son représentant. Celle-la aussi fut une scène touchante».

- Comment avez-vous trouvé Ratzinger? (ndt: apprécions la désinvolture du journaliste!!)
«En bonne santé, avec un visage reposé, serein, et comme toujours amical, ouvert: à tous, il demandait "comment vas-tu?", toujours avec sa douceur et sa simplicité».

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- Comment définiriez-vous cette première année du Pape Bergoglio?
« François est pour moi le "curé du monde". Il se rend proche des gens avec ses sermons et ses questions qui provoquent la réaction des gens. Je me souviens de Jean-Paul II qui à table - il nous recevait souvent à dîner - nous dit un jour: "Le vrai Pape est le curé", parce que c'est de lui que les fidèles reçoivent directement la doctrine morale. Et c'est le cas de François, qui n'a pas besoin d'aller en chaire pour être entendu, car il parvient tellement à être "au milieu" des hommes, qu'il est considéré comme "le curé de tous".»

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Note

(*) Andrea Tornielli ne fait plus vraiment de journalisme, depuis un an, et je le regrette, car il m'avait semblé être, pendant huit ans, un bon "vaticaniste".
Le hasard a voulu que le 19 mars 2013, j'allume ma télévsion (Telepace) au moment précis où il saluait le nouveau Pape à la sortie de l'Eglise Sainte Anne où celui-ci venait de célébrer la messe.
Les images m'avaient frappée. A l'évidence, tous deux se connaissaient bien, et le coup de foudre du vaticaniste ne date certes pas de l'élection.
Voir video ici, vers 3'33: http://youtu.be/qMbviZuhiPQ?t=3m33s