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La pensée de Joseph Ratzinger a-t-elle évolué?

"Immobile ou en marche?", telle est la question que se pose Hans Küng à propos de Joseph Ratzinger dans un chapitre de son livre: "Mémoires. Une vérité contestée". (11/4/2014)

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La pensée de Joseph Ratzinger a-t-elle évolué?
Extrait de "Mémoires II. Une vérité contestée" (Novalis/cerf, 2007, p. 186, 187)

Quand il se penche sur l'histoire postmédiévale, Joseph Ratzinger s'intéresse beaucoup moins à ses heureuses innovations qu'à ses rejets fanés et à ses aspects négatifs dans lesquels il diagnostique le déclin de l'Occident. Pour lui, la Réforme protestante marque le début de la pente descendante du vrai "christianisme des Pères", et, en 2006, dans sa conférence de Ratisbonne (1), il qualifie élégamment de "déshellénisation" ce qui était à la fois une réforme rendue nécessaire par la décadence de l'Eglise médiévale papale et un retour à l'Evangile (2)
Et son attitude vis-à-vis de la philosophie actuelle, de la conception séculière de l'Etat et de la société est particulièrement significative de sa vision du monde: elle est foncièrement polémique. Pour lui, la seule "lumière" acceptable, c'est celle de la pensée grecque. Il voit une disposition divine toute spéciale dans le fait que le message biblique, né dans un espace sémitique, se soit coulé dans un vêtement grec, et il pense donc qu'il n'en faut pas d'autre, qu'un autre serait même illégitime.
Les lumières séculières des XVIIe et XVIIIe siècles, que l'immobilisme des Eglises a en partie lui-même provoquées, sont pour lui inacceptables, et dans sa conférence de Ratisbonne, il les a critiquées en les qualifiant de "déshellénisation". Même pape, il reste pour l'essentiel le théologien de l'Eglise ancienne qui considère avec effroi une modernité née après la soi-disant Réforme de l'Eglise. Selon lui, c'est celle-ci qui a conduit au rejet du Christ, et même de Dieu, et finalement au déclin de l'homme, ce dont il pense trouver la preuve dans les catastrophes de notre temps.
C'est aussi avec effroi qu'il considère pour ainsi dire comme une conséquence de cette évolution la révolte des étudiants de Tübingen à laquelle il s'est heurté: elle ne fait que confirmer sa vision pessimiste du monde. Ainsi qu'il l'a écrit en février 1977 (on peut trouver le texte dans la documentation de la faculté catholique de Ratisbonne disponible sur internet), il a vécu aux premières loges cet effondrement de la vie sociale avec tout ce que cela a entraîné dans l'Eglise.
Non,en ce sens, Joseph Ratzinger n'a pas changé. On a parfaitement raison de déclarer qu'il est tout simplement resté immobile. Il voulait en rester là, à l'Eglise et à la théologie du Moyen Age latin telles qu'il les avait découvertes à travers son étude d'Augustin et de Bonaventure, celles dont les hiérarques tirent leur pouvoir, celles qu'ils ont appris à aimer. Même dans son livre sur Jésus, Ratzinger, le théologien, n'a guère fourni d'apports nouveaux au développement de la théologie. Ce n'était d'ailleurs pas sa prétention. Dans cette mesure, il a naturellement raison quand il déclare que ce n'est pas lui, mais moi qui ai changé. Je n'entendais effectivement pas rester immobile, mais aller de l'avant.(3)

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Notes:
(1) Malgré ses critiques, il est heureux que Hans Küng, qui est un homme intelligent et très cultivé, présente la conférence de Ratisbonne autrement que comme une charge contre l'islam!
(2)Cette expression est particulièrement à la mode aujourd'hui! On la lit tous les jours. Il y a des éclipses de l'Evangile dans l'histoire de l'Eglise...
(3) A la page 188, Hans Küng dit que lui, réformateur conciliaire (sic), a continué le concile dans une perspective critique et constructive. Il est tellement allé de l'avant qu'il s'est éloigné de la lettre du concile... se plaignant ensuite de sa marginalisation par la hiérarchie de l'Eglise, à laquelle il réserve couramment ses flèches.

     

Commentaire (Monique T)

Cet extrait est certainement une caricature de la pensée de Joseph Ratzinger. Küng essaie de ridiculiser une pensée qui n'est pas la sienne et de minimiser l'envergure intellectuelle du Pape qui fut son collègue.
Ce n'est peut-être pas digne d'un grand théologien à l'esprit ouvert!
Ce qui sépare les deux hommes c'est peut-être leur conception du progrès. Hans Küng a l'air de considérer que l'avancement du temps porte en soi une amélioration pour la civilisation, l'Eglise etc... . Il s'agit d'une idée marxiste qui anime encore (!!!) une frange de l'Eglise. Un Pape n'est acceptable que s'il est un pape de changement, que s'il va de l'avant, même si on ne sait pas très bien vers quoi.
Küng, bien que prêtre catholique, regarde très favorablement la Réforme protestante qui était une nouveauté hardie pour l'époque et qu'il voit comme un moteur de l'histoire de l'Europe et non comme un malheur qui a déchiré la chrétienté. Idem pour les Lumières. Pour lui, toute nouveauté, y compris la révolte de 1968, est porteuse de progrès. En adoptant une nouveauté, il est impossible de régresser, il est impossible de susciter un désastre.
Joseph Ratzinger n'a pour critère que la recherche de la vérité, celle-ci pouvant émerger indifféremment du passé, du présent ou dans l'avenir. Il exerce son discernement (ce que Küng et les catholique "adultes" appellent du pessimisme) et se méfie des engouements passagers liés aux phénomènes de mode, aux idéologies, aux apparences flatteuses, au "christianisme sans peine" qu'il entrevoyait dans les écrits de Küng (cf. benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/correction-fraternelle).
Küng ne juge son ex-collègue qu'à l'aune de cette fameuse notion de progrès. Un homme (un pape) qui ne va pas de l'avant n'est pas digne de sa haute considération.
Küng n'est pas le seul à juger ainsi d'autres membres de l'Eglise.
Monique T.