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L'attention de Benoît XVI aux pauvres

Relisons le document de 1986 de la CDF, à propos de la théologie de la libération (4/5/2014)

>>> Cf
Jon Sobrino parle de Benoît XVI

Dans l'article Jon Sobrino parle de Benoît XVI , le Père jésuite faisait au Pape émérite le reproche de ne pas s'être suffisamment intéressé aux pauvres, au sens matériel du terme. Ne voulant pas déformer ses propos, je recopie le passage "incriminé":

Ratzinger, ni comme théologien ni comme pape, n’a cessé de scruter la profondeur du Theos, de Dieu, mais il semble que quelque chose n’a pas atteint les profondeurs de sa théologie : les pauvres et les opprimés, la grande majorité de ce monde.
...
Benoît est donc très sensible à la déshumanisation qui est le résultat de la disparition de « Dieu ». Mais il ne s’est pas montré aussi sensible à l’absolument inhumain et déshumanisant qu’est la faim : la majorité des pauvres, opprimés, esclaves, marginalisés, exclus, assassinés, massacrés, la grande majorité de l’humanité.

Monique T. a relevé l'injustice de cette remarque, et m'a rappelé un document de la CDF de 1986, justement sur la théologie de la libération, sous la signature du préfet Joseph Ratzinger: LIBERTATIS CONSCIENTA (spécialement les n. 57, 67 et 68)

Je recopie ce que j'écrivais à ce sujet il y a presque deux ans, en juillet 2012 (benoit-et-moi.fr/2012(III)):

En 1984, la Congrégation pour la Doctrine de la foi publiait, sous la signature du préfet, le cardinal Ratzinger, l'Instruction Libertatis Nuntius sur quelques aspects de la « Théologie de la Libération » .
Elle sera complétée en 1986 par un second document, l' Instruction Libertatis Conscientia sur la liberté chrétienne et la libération: «La vérité nous rend libres».

La lecture de ces documents par certains de ceux (notamment dans la presse, mais peut-être aussi parmi les clercs) qui le décrivent comme un réactionnaire borné serait probablement une vraie surprise.
(...)

LIBERTATIS CONSCIENTA

JUSTICE ET CHARITÉ
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57. L'amour évangélique et la vocation de fils de Dieu, à laquelle tous les hommes sont appelés, ont pour conséquence l'exigence directe et impérative du respect de chaque être humain dans ses droits à la vie et à la dignité. Il n'y a pas de distance entre l'amour du prochain et la volonté de justice. C'est dénaturer à la fois l'amour et la justice que de les opposer. Bien plus, le sens de la miséricorde complète celui de la justice en l'empêchant de s'enfermer dans le cercle de la vengeance.

Les inégalités iniques et les oppressions de toutes sortes qui frappent aujourd'hui des millions d'hommes et de femmes sont en contradiction ouverte avec l'Évangile du Christ et ne peuvent laisser tranquille la conscience d'aucun chrétien.

L'Église, dans sa docilité à l'Esprit, s'avance avec fidélité sur les chemins de la libération authentique. Ses membres ont conscience de leurs défaillances et de leurs retards dans cette recherche. Mais une foule de chrétiens, depuis le temps des Apôtres, ont engagé leurs forces et leur vie pour la libération de toute forme d'oppression et pour la promotion de la dignité humaine. L'expérience des saints et l'exemple de tant d'œuvres au service du prochain constituent un stimulant et une lumière en vue des initiatives libératrices qui s'imposent aujourd'hui.


JÉSUS ET LES PAUVRES
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67. Mais Jésus n'a pas seulement apporté la grâce et la paix de Dieu; il a aussi guéri d’innombrables malades; il a eu compassion de la foule qui n'avait rien à manger et l'a nourrie; avec les disciples qui le suivaient, il a pratiqué l'aumône. La Béatitude de la pauvreté qu'il a proclamée ne peut donc aucunement signifier que les chrétiens puissent se désintéresser des pauvres dépourvus de ce qui est nécessaire à la vie humaine en ce monde. Fruit et conséquence du péché des hommes et de leur fragilité naturelle, cette misère est un mal dont il faut autant que possible libérer les êtres humains.


L'AMOUR DE PRÉFÉRENCE POUR LES PAUVRES
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68. Sous ses multiples formes: dénuement matériel, oppression injuste, infirmités physiques et psychiques, et enfin la mort, la misère humaine est le signe manifeste de la condition native de faiblesse où l'homme se trouve depuis le premier péché et du besoin de salut. C'est pourquoi elle a attiré la compassion du Christ Sauveur qui a voulu la prendre sur lui et s'identifier aux «plus petits d'entre ses frères» (Mt 25, 40. 45). C'est pourquoi aussi ceux qu'elle accable sont l'objet d'un amour de préférence de la part de l'Église qui, depuis les origines, en dépit des défaillances de beaucoup de ses membres, n'a cessé de travailler à les soulager, les défendre et les libérer. Elle l'a fait par d'innombrables œuvres de bienfaisance qui restent toujours et partout indispensables. Puis par sa doctrine sociale qu'elle presse d'appliquer, elle a cherché à promouvoir des changements structurels dans la société afin de procurer des conditions de vie dignes de la personne humaine.

Par le détachement des richesses, qui permet le partage et ouvre le Royaume [104], les disciples de Jésus témoignent dans l'amour des pauvres et des malheureux de l'amour même du Père manifesté dans le Sauveur. Cet amour vient de Dieu et va à Dieu. Les disciples du Christ ont toujours reconnu dans les dons déposés sur l'autel un don offert à Dieu lui-même.

En aimant les pauvres, l'Église enfin témoigne de la dignité de l’homme. Elle affirme clairement qu'il vaut plus par ce qu'il est que par ce qu'il possède. Elle témoigne que cette dignité ne peut être détruite, quelle que soit la situation de misère, de mépris, de rejet, d'impuissance, à laquelle un être humain a été réduit. Elle se montre solidaire de ceux qui ne comptent pas pour une société dont ils sont spirituellement et parfois même physiquement rejetés. En particulier, l'Église se penche avec une affection maternelle sur les enfants qui, à cause de la méchanceté humaine, ne verront jamais la lumière, ainsi que sur les personnes âgées seules et abandonnées.

L'option privilégiée pour les pauvres, loin d'être un signe de particularisme ou de sectarisme, manifeste l'universalité de l'être et de la mission de l'Église. Cette option est sans exclusive.

C'est la raison pour laquelle l'Église ne peut l'exprimer à l'aide de catégories sociologiques et idéologiques réductrices, qui feraient de cette préférence un choix partisan et de nature conflictuelle.