Accueil

Le Prof. Ratzinger quitte Tübingen

"Les adieux de Ratzinger en 1969", tel est le titre d'un chapitre du livre de Hans Küng : "Mémoires II. Une vérité contestée" (5/4/2014)

Chapitres précédents

Le Professeur Ratzinger quitte l'université de Tübingen de son plein gré.

Même au cours de la difficile année 1968, nous étions restés en étroit contact. C'est ainsi que le 25 mai 1968, nous nous rendîmes ensemble et avec sa sœur Maria à l'opéra de Stuttgart pour assister joyeusement au brillant ballet Giselle mis en scène par Adolphe Adam et au concerto de Mozart pour flûte et harpe. Au cours du même été, nous avions même envisagé de passer deux ou trois jours de vacances ensemble dans ma maison du lac de Sempach.

Toujours est-il que, en novembre 1968, à la fin de la session de la faculté, nous avons chez lui une rencontre collégiale de professeurs, puis le 12 décembre chez moi. Nos relations personnelles ont donc toujours été bonnes.
Mais, ébranlé par ses expériences négatives du mouvement étudiant, Ratzinger prend sa décision: il va quitter Tübingen. Cela ne présente pas de difficulté: il a déjà dans sa poche une proposition de Ratisbonne, en Bavière, où son frère est maître de chapelle à la cathédrale et où le trio familial peut habiter ensemble. L'enseignement théologique supérieur y est donné dans le couvent des dominicains que je connais bien [...].

En 1967, c'était devenu la grande école théologique de l'université de Ratisbonne - qu'on ne pouvait certes pas comparer avec l'université de Tübingen, déjà vieille de cinq cents ans (aux Etats-Unis, on aurait comparé la démarche de Ratzinger à un départ de Harvard pour une université de l'Idaho). Quand j'entends parler de cette proposition, je lui explique l'avantage qu'il a à rester à Tübingen; il nous faut simplement discuter et voir ce qu'on peut obtenir pour lui du ministère de Stuttgart, un troisième assistant par exemple. Il me promet de venir chez moi.
Mais, chose caractéristique chez lui, il évite la discussion et se contente de m'écrire une lettre dans laquelle il me demande de le comprendre. Peut-être a-t-il eu peur que je fasse pression sur lui pour qu'il reste encore au moins un semestre. [...]

Mais il ne voulait plus rester, et il entendait commencer le semestre suivant à Ratisbonne.
Dommage! me disais-je. « Ratzinger change de chaire comme de chemise, entendait-on susurrer dans les facultés allemandes, et, avec son quatrième changement de poste à quarante-deux ans, il brigue sans doute le prix du théologien allemand itinérant ». « C'est bien fait pour Küng, pensaient certains de mes collègues; pourquoi tenait-il tant à le faire venir à Tübingen? ».

Mais je reste persuadé que, durant ces trois années dramatiques, ce fut le meilleur collègue possible.
Quoi qu'il en soit, pour ma part, et à l'inverse de mon collègue qui se retirait dans son idylle bavaroise, je ne regrette pas d'être resté à Tübingen et d'avoir pu ainsi travailler de façon constructive à partir des événements de 1968. Je n'avais personnellement pas subi grand dommage, en tout cas aucun traumatisme à traîner dans ma carrière.

     

Commentaire

Hans Küng est assez fier de faire remarquer qu'il a su surmonter avec brio le traumatisme de la révolte étudiante de 1968, contrairement à son collègue parti "se réfugier" en Bavière. En effet, Joseph Ratzinger n'apprécie pas la confrontation stérile avec des adversaires hargneux et de mauvaise foi dont les arguments volent bas!

Ce texte montre qu'à l'époque de Tübingen, les deux professeurs étaient encore liés par une amitié sincère et très étroite (les concerts, les vacances ensemble) dénuée d’esprit de compétition. Si Hans Küng avait alors été jaloux de son collègue, il n'aurait pas fait l'impossible pour le convaincre de rester. La jalousie s'est installée à partir du moment où Joseph Ratzinger a commencé une « carrière » institutionnelle.

Ce qui frappe c'est la détermination du Professeur Ratzinger, que Hans Küng n'arrive pas à entamer. Toutes proportions gardées, on pense à la renonciation de Benoît XVI. Mgr Gänswein avait dit un jour que rien ne pouvait détourner Joseph Ratzinger d'une décision déjà prise. Un roc (*).
Chaque fois, Joseph Ratzinger renonce à une position élevée pour une position inférieure ou carrément obscure. Il n'est pas mu par des ambitions mondaines. Ses motivations paraissent incompréhensibles et font jaser maints commentateurs (combien d'interprétations après la renonciation!)

La lettre que Joseph Ratzinger écrit à Küng pour être compris fait penser à celle qu'écrivit Benoît XVI aux évêques en 2009 [pages spéciales ici: benoit-et-moi.fr/2009-I] (il voulait être compris mais certains tournèrent en dérision sa démarche!) et à sa dernière audience générale [benoit-et-moi.fr/2013-I/la-voix-du-pape/la-derniere-catechese] (au cours de laquelle il expliqua le sens de sa renonciation).
Joseph Ratzinger est un être chaleureux et sensible qui s'est toujours efforcé de comprendre les autres (même Küng lorsqu'il devint caustique!)... et que presque personne n'a cherché à comprendre. On ne lui rend jamais autant qu'il donne. Il y a certainement chez lui une souffrance cachée, qui ne s'est exprimée qu'une fois publiquement: dans sa lettre aux évêques.
"Ce fut le meilleur collègue possible" nous dit Küng, peut-être avec une pointe de nostalgie pour ces trois années de collaboration. Il reconnaît le bonheur que peut procurer la fréquentation d'un homme de cette qualité!
Monique T.

* * *

(*) Dans une série d'articles écrits pour la revue "30 giorni" en 2006 (http://www.30giorni.it/articoli_id_10506_l4.htm), Gian Maria Valente racontait:
--
De fait, on n’enregistre pas, dans les années de Tübingen, de conflit ouvert entre Ratzinger et le reste du corps professoral, lequel le choisit même comme doyen. Les rapports avec Küng eux-mêmes ne tournent pas au conflit sanglant. Ils deviennent simplement plus lâches à travers un détachement intérieur lent et silencieux, un éloignement progressif. «Küng n’a attaqué Ratzinger qu’une seule fois», fait remarquer Seckler, «et ce n’était pas à cause de la théologie». Ils se sont mis d’accord pour assurer alternativement, par semestre, l’un, le cours principal de Théologie et l’autre, le cours de soutien, cours plus léger qui libère du temps pour d’autres activités.
Quand Ratzinger annonce qu’il va quitter Tübingen parce qu’il a été “appelé “ par la nouvelle faculté de Théologie de Ratisbonne, sa décision bouleverse les plans de son collègue qui a déjà pris toute une série d’engagements pour son semestre “léger”. Seckler ajoute: «Küng a tempêté, attaqué, invectivé Ratzinger, insistant pour qu’il respecte leur accord. Ratzinger est resté calme mais inébranlable dans sa décision».
Avant cette crise de fureur, ce qui a convaincu plus encore Ratzinger qu’il est temps de changer d’air, c’est que, sur ces rapports déjà effilochés par les turbulences post-conciliaires, tombent «comme la foudre» (c’est ainsi que s’exprime dans son autobiographie celui qui était alors le préfet de l’ex-Saint-Office) les événements de Soixante-huit.