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Les discours politiques de Benoît XVI (I)

Première partie de l'exposé de Georg Gänswein lors du symposium du 7 juin (8/6/2014)

>>> Cf. Benoît XVI raconté par Georg Gänswein

     

J'avais consacré une rubrique au recueil par KTO des discours de Benoît XVI au monde de la culture, un thème qui croise partiellement celui abordé ici (benoit-et-moi.fr/2013-III/benoit/benoit-xvi-parle-au-monde-de-la-culture)
Il faut y ajouter évidemment le grandiose discours de Ratisbonne (lu pas à aps ici), et celui à l'ONU.
Décidément, Benoît XVI est un maître, dont la sphère d'influence va bien au delà du monde catholique.

     
Les discours politiques de Benoît XVI dans ses voyages apostoliques à l'étranger
Interaction entre religion, raison, nature et droit (I)

http://www.korazym.org/15481/fondamento-giustizia-discorsi-politici-benedetto-xvi/
(ma traduction)
7 juin 2014
Georg Gänswein
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Tout au long de son pontificat, Benoît XVI a été appelé à se confronter avec les dirigeants politiques et culturels de nombreux pays européens et les grandes institutions internationales. Cette confrontation a donné lieu à un ensemble consistant de réflexions sur l'ordre politique et juridique, qui touche les problèmatiques fondamentales de la société, la relation entre la foi et la raison, entre la loi et le droit, entre la justice et la liberté religieuse. Il y a cinq grands discours de Benoît XVI. Chacun d'entre eux était adressé à un public particulier et son contenu reflète les exigences du contexte.

1. Le discours de Ratisbonne (12 Septembre, 2006), se déroulait dans le milieu universitaire et plaçait au centre de la réflexion la relation entre la foi et la raison. Le discours fonde conceptuellement la corrélation entre la foi et la raison sur la rencontre entre l'esprit grec et l'esprit chrétien, et donc sur «le Dieu qui s'est révélé comme logos et comme logos, a agi et agit».

2. L'intervention aux Nations Unies à New York (18 Avril 2008), dans laquelle le Pape a valorisé le projet des droits de l'homme, développé en particulier dans l'après-Seconde Guerre mondiale, avec l'approbation de la Déclaration universelle de 1948.

3. Le discours à Paris, au Collège des Bernardins (12 Septembre 2008) s'adressait aux élites culturelles d'un pays, la France, qui a cultivé une culture séculariste, méfiante envers les religions: dans ce contexte, Benoît XVI a décrit la contribution de la foi chrétienne au développement de la civilisation européenne, rappelant l'oeuvre des monastères bénédictins.

4. A Londres, au Westminster Hall (17 Septembre 2010), le Pape a parlé au Parlement de la plus ancienne des démocraties occidentales, où par ailleurs Thomas More a été condamné à une mort cruelle, au nom de dissensions religieuses: là, le Pontife a exprimé des paroles de vive appréciation de la tradition libérale et démocratique, sans passer sous silence les préoccupations et les inquiètudes pour qu'une authentique liberté religieuse soit préservée, aujourd'hui aussi, en Occident, de toutes les formes de menace subtile.

5. Dans son discours devant le Bundestag à Berlin (22 Septembre 2011), il est allé à la racine du problème, touchant le thème du fondement de l'ordre juridique et des limites du positivisme juridique, dominant dans l'ensemble du continent européen au cours du XXe siècle.

Des thèmes variés, donc, pensés et prononcés devant des auditoires différents, mais réunis par une séries d'idées clés que Benoît XVI dessine, déroule et développe de manière organique et cohérente. Il y a un autre point commun entre les discours: tous sont adressés à des institutions qui vivent dans le contexte de démocraties, ou de régimes qui, malgré tout, prennent comme base de leur existence des principes de civilisation juridico-politique qui appartiennent à la tradition occidentale.

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RELIGION ET DROIT
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«Dans l’histoire, les règlements juridiques ont presque toujours été motivés de façon religieuse: sur la base d’une référence à la divinité on décide ce qui parmi les hommes est juste. Contrairement aux autres grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’État et à la société un droit révélé, ni un règlement juridique découlant d’une révélation. Il a au contraire renvoyé à la nature et à la raison comme vraies sources du droit – il a renvoyé à l’harmonie entre raison objective et subjective, une harmonie qui toutefois suppose le fait d’être toutes deux les sphères fondées dans la Raison créatrice de Dieu.»

Ce passage du discours prononcé le 22 septembre 2011 au Bundestag à Berlin est à juste titre l'un des plus connus. En lui se trouve le cœur de la pensée de Benoît XVI sur la contribution que la religion offre au débat public et, en particulier, à la construction de l'ordre juridique. Ici est mise en évidence l'originalité du christianisme par rapport aux autres religions, une originalité qui passe souvent inaperçue, non seulement aux commentateurs laïcs, mais aussi aux chrétiens eux-mêmes: ce n'est pas la révélation, mais «la raison et la nature dans leur corrélation [qui constituent] un source juridique valable pour tous», affirme Benoît XVI un peu plus tard dans le même discours.
De même, le 17 Septembre 2010 à Westminster Hall, un concept similaire avait été proposé en ces termes: «La tradition catholique soutient que les normes objectives qui dirigent une action droite sont accessibles à la raison, même sans le contenu de la Révélation. Selon cette approche, le rôle de la religion dans le débat politique n’est pas tant celui de fournir ces normes, comme si elles ne pouvaient pas être connues par des non-croyants – encore moins de proposer des solutions politiques concrètes, ce qui de toute façon serait hors de la compétence de la religion».

Avec ces affirmations Benoît XVI évacue le terrain d'un malentendu persistant dans la culture contemporaine, qui a conditionné et conditionne encore le débat sur la relation entre religion et raison. L'équivoque est basé sur l'idée que le christianisme et, en particulier, l'Église catholique, intervenant dans les débats publics, font appel à un principe d'«autorité» dans la décision sur les questions juridiques et politiques. C'est encore un opinion dominante de considérer que, dans une démocratie digne de ce nom, il serait inacceptable de laisser place au discours religieux en tant que tel, parce qu'il se fonderait sur une Autorité qui rendrait vaine toute tentative de dialogue avec les autres.

En intervenant dans le dialogue démocratique sur la base de dogmes autoritaires, les religions violeraient la règle de toute démocratie délibérative - le dialogue entre les différentes positions - et agiraient comme un obstacle, dénaturant irrémédiablement la dynamique démocratique. On appréhende que l'autorité religieuse puisse disputer aux autorités civiles la capacité de produire des règles juridiques: d'où une incompatibilité entre les deux sources d'autorité. La conclusion inévitable à tirer est que «c'est précisément l'exil de toute Autorité de la scène de l'argumentation publique, l'ostracisme de toutes les religions, qui fournit le terrain commun du dialogue et de l'égalité mutuelle de tous les citoyens », avec la nécessité qui en découle que l'ensemble de la sphère publique soit privée de Dieu afin de maintenir un terrain neutre pour le dialogue. Cet exil de Dieu de la sphère publique passe par la prémisse que l'intervention du facteur religieux dans la dialectique démocratique soit considérée comme une série d'ordres ou de commandements résultant d'une volonté supérieure, une autorité éternelle et incontestable en fait. Toutefois, il est difficile d'imaginer quelque chose de plus loin de la pensée de Benoît XVI.

Le christianisme qu'il propose ne permet pas aux fidèles de se soustraire aux difficultés, ni ne leur permet de se priver de l'usage de la raison, se cachant derrière un principe d'autorité ou derrière des préceptes ou des commandements religieux. Pour la confiance qu'il nourrit dans la possibilité que le divin, comme logos, puisse être rencontré dans la recherche rationnelle de la vérité, Benoît XVI n'hésite pas à exiger des croyants qu'ils entrent dans le dialogue public démocratique avec des instruments universels et accessibles à tous: raison et nature, dans leur interrelation. Dans cette perspective, parler de religion dans l'espace public n'équivaut pas, comme on le suppose à tort, à introduire un principe de foi dans le dialogue démocratique, ni n'implique de puiser mécaniquement dans les préceptes religieux comme source pour la régulation des problèmes sociaux, politiques et juridiques. La première et fondamentale contribution de Benoît XVI est le rappel au fait que les sources du droit se trouvent dans la raison et dans la nature, et non dans un commandement, quel qu'il soit.

L'originalité de la position du pape Benoît XVI quant à la présence des chrétiens dans la sphère publique est enracinée dans une vision du christianisme comme une religion universelle, s'adressant à tous, confiante dans la possibilité que la raison transcende la capacité même de la raison, que Lui-même affirmait avec les mots de saint Paul: «Quand des païens qui n'ont pas la Loi, par nature agissent selon la loi ... ils sont une loi en eux-mêmes. Ils montrent que ce que la loi exige est écrite dans leurs cœurs, comme il en résulte du témoignage de leur conscience»(Rom. 2:14).

La proposition de Benoît XVI aborde le problème à la racine, là où il affirme que la source des normes juridiques n'est pas la révélation, mais la raison et la nature dans leur interrelation.

A suivre...