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Pape émérite et lieux communs

Quand les journalistes racontent la vie de Benoît XVI dans sa retraite de Mater Ecclesiae (9/2/2014)

En juillet 2009, prenant congé des journalistes au terme de son séjour dans le Val d'Aoste, où il s'était fracturé le poignet, Benoît XVI les remerciait, pince-sans-rire, de s'être inquiétés pour lui et concluait, non sans malice:
"Cette année, il y a eu peu à écrire... même si on peut toujours inventer" (http://benoit-et-moi.fr/2009-II)

C'est ce qu'il doit encore penser en ce moment.
Cela fait maintenant 9 mois (depuis qu'il s'est retiré à Mater Ecclesiae, le 2 mai 2013, cf. benoit-et-moi.fr/2013-II/retour-au-vatican) que l'on a droit régulièrement, venant des habituels "bien informés" citant des "sources anonymes" (ou des gens qui, lui régnant, ne comptaient pas forcément parmi ses meilleurs amis, comme le cardinal Poupard) à un récit de la journée type du Pape émérite: il se lève tôt, dit la messe, prend le petit-déjeuner, médite et prie, mange légèrement, joue du piano (son bien-aimé Mozart...), fait une petite promenade dans les jardins en récitant le chapelet, s'occupe de son courier, lit des ouvrages de théologie... Son frère lui rend souvent visite. Il reçoit parfois des amis, ou des groupes, qui tous témoignent «qu'il est parfaitement lucide et a gardé une excellente mémoire» (récemment, c'est le cardinal Bertone lui-même, dans une interviewe à la télévision italienne, qui s'est laisser allé à ce genre de confidence). Et bien entendu il est soulagé de s'être déchargé du lourd fardeau de la papauté, transféré à un Pape François qu'il apprécie de plus en plus! Une affection réciproque puisque, nous répète-t-on, le Pape actuel consulte souvent son prédécesseur, qu'il vénère et considère comme «le grand-Père sage à la maison» (chose qu'il a dite une seule fois).
Il y a peut-être du vrai dans tous ces lieux-communs, et sans doute beaucoup plus de gens qu'on ne croit se réjouissent-ils d'avoir des bonnes nouvelles de Benoît XVI. Doit-on pour autant les faire passer pour des scoops journalistiques?
L'occasion de l'anniversaire de la renonciation m'a mis ce matin sous les yeux deux ou trois de ces ritournelles (dont une signée de l'attaché de presse officieux du Pape François, Andrea Tornielli: http://www.finesettimana.org/pmwiki/uploads/Stampa201402/140209galeazzitornielli.pdf ).

Teresa a reproduit un article de JL de la Vaissière pour l'AFP (il est l'auteur du livre "De Benoît à François, une révolution tranquille").
L'article est en anglais. On "appréciera" tout particulièrement la goujaterie des premières lignes.

Le pape Benoît un an après: la vie tranquille après avoir fait l'histoire
(Source)
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Ceux qui ont vu Benoît XVI depuis qu'il a pris sa retraite sont d'accord: l'ancien pontife semble avoir ôté un poids de son esprit, laissant les complexités de la politique du Vatican derrière lui pour une simple vie de prière et de piano.
Un an après l'annonce de la démission, le 11 Février, du pontife allemand qui a tenu les rênes de l'Eglise pendant une période de huit ans, la papauté marquée par les scandales semble avoir été largement oubliée par le public.
Dans les kiosques autour du Vatican, le visage ridé (ndt: le mot anglais utilisé, d'une grossièreté inqualifiable, est "wizened", qu'on peut aussi traduire par "frippé", "ratatiné"!!!) de Joseph Ratzinger, le théologien universitaire a presque disparu des cartes postales et gadgets, remplacé par un pape François souriant ou le très populaire Jean-Paul II.
Avoir un pape et un "pape émérite" au Vatican en même temps avait suscité des craintes de confusion pour les fidèles, mais Benoît XVI s'est tenu à l'écart des feux de la rampe.
Et ses fans du Vatican disent que Benoît est loin d'être passé de mode.
«Curieusement, il n'a jamais été aussi présent sur la scène, dit le cardinal français Paul Poupard à l'AFP. L'image fausse du Panzerkardinal a disparu (ndt: puisqu'on ne parle plus de lui!!!). Au milieu d'une société en rupture, il est un point de repère lumineux».
Poupard dit que Benoît a retrouvé son rôle préféré de «Herr Doktor Professor» et «ne veut pas s'impliquer dans les affaires des palais apostoliques».
Avant de démissionner de la Chaire de Saint-Pierre, le 28 Février, il avait promis de vivre «caché du monde», se consacrant à une vie de prière silencieuse et jurant allégeance à quiconque serait son successeur.
Les premières images de lui, rencontrant le nouveau pape François, avaient choqué le monde catholique: debout à côté de l'énergique argentin, l'ex pontife semblait soudain avoir vieilli de 10 ans, comme si la fatigue qu'il ressentait pendant son pontificat l'avait finalement rattrapé.
En mai, il s'installait dans un ancien monastère situé dans le parc du Vatican - qui dipose de son propre potager et d'une vue splendide sur Rome - avec son secrétaire personnel Georg Gaenswein et ses femmes de ménage.
On dit qu'il n'a osé en sortir que deux fois: une fois pour un retour à Castel Gandolfo et une fois pour rendre visite à son frère Georg, quand il a été hospitalisé à Rome.
«Je vis comme un moine. Je prie et je lis. Je suis bien» a dit l'homme de 86 ans à un journaliste qui lui a rendu visite en Juin.
Les gens qui ont passé du temps avec lui disent qu'il aime écouter de la musique et jouer du piano, et le cardinal allemand Gerhard Ludwig Mueller a dit qu'il pensait que le pape émérite pourrait écrire son autobiographie.
Sa vie n'est pas enveloppée de solitude: son frère de 90 ans est resté avec lui pendant une longue période et on sait que des amis proches sont passés pour le voir, ainsi de des prélats et des théologiens désireux de débattre avec un homme réputé pour son féroce intellect.
Sa relation avec François «est bonne, même s'il n'est pas nécessairement d'accord avec toutes ses initiatives», dit un cardinal, à l'AFP sous couvert d'anonymat.
Le pape argentin de 77 ans rend souvent hommage à son prédécesseur, le citant dans ses textes, lui téléphonant pour bavarder ou le rencontrant pour le petit déjeuner.
«C'est comme avoir grand-père à la maison» a confié François aux journalistes lors d'un voyage de travail, ajoutant qu'il ressentait souvent le besoin de le consulter sur des choses.

     

Un article lu sur le site italien qn.quotidiano.net récite à peu près les mêmes banalités... avec quelques détails divergents qui ne manquent finalement pas d'intérêt.

Piano, théologie et discrétion: la vie de moine de Benoît XVI
Nina Fabrizio
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La dernière renonciation, après celle historique du 11 Février, qui a laissé consterné non seulement le monde catholique, mais aussi celui laïc, est toute récente. Le cardinal Montezemolo, expert en héraldique, lui avait envoyé à l'ancien monastère Mater Ecclesiae, sa «retraite» au Vatican, une étude qu'il n'aurait jamais imaginé avoir à faire, à savoir des modifications sur les armoiries du pape maintenant émérite. Mais avec sa courtoisie et son affabilité habituelles, Benoît XVI a décliné, préférant garder celles qu'il a déjà (1).
C'est un petit, ultime geste qui révèle la même humilité qui fut, il y a un an, à la base d'un autre geste beaucoup plus grand et perturbant et potentiellement déstabilisant pour toute l'Eglise. Au contraire, depuis le 28 Février de l'année dernière, quand il a quitté le trône de Pierre, le Pape émérite mène la vie qu'il avait promis: «Je resterai caché au monde», avait-il dit, sans contrecoup majeur effectivement causé par la coexistence de deux papes.
Caché au monde donc; l'intelligence et la mémoire encore vives en plus d'une bonne santé lui permettent une routine tout compte fait intense, bien que réservée.
A Mater Ecclesiae, où il vit avec son Secrétaire et également préfet de la Maison pontificale, Georg Gaenswein (véritable pont entre lui et le pape) et les quatre memore Domini qui s'occupent de lui, quand il n'y a pas également son frère bien-aimé Georg, le réveil sonne tôt le matin, mais un peu plus tard que quand il était pape. Après la messe, le petit déjeuner et la lecture des journaux, la journée se poursuit avec l'étude, (il relit de nombreux théologiens favoris), si le temps le permet, une promenade l'après-midi pour la récitation du chapelet, et enfin il se consacre à sa grande passion, le piano. Ratzinger reçoit également des visites: évêques, prêtres qu'il connaît depuis longtemps, amis intellectuels, toujours dans un climat de discrétion.
«Benoît XVI, souligne toutefois l'historien Andrea Riccardi (président "libéral" de Sant'Egidio), n'interfère pas dans les activités de gouvernement, il n'est pas despotique, et François est libre de tout conditionnement».
C'est précisément sa nature réservée qui permet la coexistence exceptionnelle de deux papes au Vatican. Bergoglio a dit que c'est «comme avoir votre grand-père dans la maison», celui à qui on vient demander des conseils.
Et en effet, la relation entre les deux, malgré la distinction des rôles, est étroite et François tient en grande estime l'opinion de Ratzinger, il le consulte souvent. A Noël, après s'être rendu chez lui, François a même insisté pour l'avoir à déjeuner le 27, forçant les réticences de son prédécesseur.
Ratzinger se concède quelques escapades (ndt: en fait, une seule) à sa chère résidence des papes à Castel Gandolfo, dont François aimerait qu'il profite davantage.
Le pape émérite peut encore réserver des surprises finales (!!!). Certains disent que la biographie de lui, qu'est en train d'écrire le journaliste Peter Seewald, contient des contributions originales de Ratzinger lui-même. Le pape émérite, en effet, continue à écrire.

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(1) L'information sur les armoiries a déjà été évoqué dans ces pages: benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/des-armoiries-pour-le-pape-emerite.html .

Il Mastino, sur son site Papale Papale donne une interprétation bien différente de celle qu'on trouve dans l'article ci-dessus, plus proche de l'article que j'avais traduit en juin dernier, et surtout très politiquement incorrecte!! (www.qelsi.it/2014/benedetto-dal-gran-rifiuto-al-piccolo-rifiuto-dello-stemma-di-emerito/ ). Pour auant que je connaisse le pape Benoît, j'ai un peu de mal à le croire.. mais...?