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Sur la montagne avec Benoît XVI

Le récit magnifique d'une visite du journaliste Armin Schwibach au couvent Mater Ecclesiae, en août dernier (3/3/2014)

Voici le récit d'une visite que le vaticaniste Armin Schwibach de l'agence catholique autrichienne kath.net a rendue à Benoît XVI le 28 août dernier.
On est à des années-lumière des banalités répétées à satiété dans tous tous les récits de visites que j'ai pu lire jusqu'à présent, qui nous informaient de son emploi du temps (messe, piano, sieste, lecture, promenade, etc...) et de sa condition physique, et surtout intellectuelle, nous rassurant qu'il n'était pas devenu sénile (supposition évidemment insultante!!!).

Benoît XVI a consacré à son compatriote bavarois une heure entière.
Et ce dernier nous fait partager un tout de petit peu de son expérience presque supra-naturelle: il a gravi la montagne, pour rencontrer un docteur de l'Eglise, puis il est redescendu dans la vallée, "emportant avec lui un héritage vivant et durable".

Article en allemand: http://www.kath.net/news/45072
Traduction VB.

     

28 février 2013 - 28 août 2013 - 28 février 2014
Sur la montagne avec Benoît XVI
Il y a un an à 20 heures, débutait la vacance du Siège.
Histoires dans l'histoire
Armin Schwibach
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Le 28 février 2013, à 20 heures, le Siège de Rome, le Siège de Pierre, sera vacant.
C'est ainsi que Benoît XVI, le 11 février 2013, annonçait son retait aux cardinaux rassemblés pour un consistoire.
Et c'est ainsi que cela s'est passé.
A 17 heures, le Pape quittait le Palais apostolique; derrière lui, Mgr Gänsweim en larmes; le Pape marchait tranquillement avec une canne jusqu'à la sortie sur la cour Saint Damase où la famille pontificale et ses proches collaborateurs étaient venus lui faire leurs adieux.
Mgr Gänswein s'était ressaisi, au contraire du chauffeur du Pape, un homme grand et athlétique qui pleurait comme un enfant tandis qu'il embrassait l'anneau papal.
Peu après 17 heures, l'hélicoptère décollait. Cela devait être l'avant-dernier voyage de Benoît XVI avec l'appareil volant. Il n'a jamais apprécié ces vols en hélicoptère, mais les a toutefois toujours supportés avec patience.

La télévision du Vatican rend compte du départ du Pape, son vol, et de son arrivée à Castelgandolfo, le tout baignant dans une atmosphère dramatique. Seul a manqué le fond musical, on hésite entre la Chevauchée des Walkiries de Wagner, et la Symphonie pastorale de Beethoven.
Mais le pilote de l'armée de l'air italienne tient à participer à l'évènement. Des images inoubliables et inscrites dans l'histoire se mettent en place. L'hélicoptère blanc survole l'Etat du Vatican, tourne autour de la coupole Saint-Pierre, il semble tout petit à côté de l'oeuvre majestueuse de Michel-Ange.
Il y a des gens qui depuis ce jour, disent: «Je ne peux plus regarder la coupole sans que cette image réapparaisse. En réalité, je ne peux, ni ne veux plus regarder la coupole».

Le pilote pousuit son vol au-dessus de la vieille ville de Rome, en direction du Sud-Est. Il vole à basse altitude au-dessus du Forum Romain, au-dessus du Colisée, vers la basilique du Latran,'omnium Ecclesiarum caput et mater' (tête et mère de toutes les Eglises). C'est comme s'il voulait montrer encore une fois à l'Evêque de Rome, sa ville, de près, et depuis la plus belle des perspectives.
C'est seulement arrivé au-dessus de la Via Appia Nuova qu'il prend lentement de l'altitude, en direction des montagnes albanaises.

Benoît XVI termine son pontificat avec les gens rassemblés sur la place de Castel Gandolfo. Et ceux qui n'ont pu retenire leurs larmes n'étaient pas rares. Il s'est adressé ainsi à ses amis: «Je suis un pélerin qui entame la dernière partie de son chemin sur cette terre. Mais je voudrais encore, avec tout mon cœur, avec tout mon amour, avec ma prière, avec ma réflexion, avec toutes mes forces intérieures, travailler pour le bien commun et le bien de l’Eglise, de l’humanité».
A 20 heures 30, la porte du Palais Apostolique se referme. Le garde suisse suspend sa hallebarde au mur. Son travail prend fin. La vacance du Siège a commencé. Dans le palais apostolique ne réside plus le Pape. C'est fini.

* * *

28 août 2013
C'est une belle journée d'août.
La chaleur brûlante du soleil qui ramollit l'asphalte au point que les talons des chaussures y laissent des empreintes, ou que pourrait venir l'idée saugrenue de faire cuire des brochettes sur les pierres de lave romaines, a fait place à un orage nocturne, qui a laissé derrière lui une douce brise - légère pour les romains, encore brûlante pour les touristes nordiques.
Malgré cela, ils remplissent la Place Saint Pierre, formant une très longue queue qui s'enroule comme une coquille d'escargot, pour accéder à la Basilique Saint Pierre, l'Eglise du Tombeau du Chef des Apôtres, ce rocher sur lequel le Christ a bâti son Eglise.

Pierre
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L'été 2013 est un été spécial. le Pape n'a pas quitté Rome, et même si ses apparitions officielles se limitent à l'Angélus dominical, il semble exercer sur les gens une grande force d'attraction, au point que, sur la Via Porta Angelica qui mène à la porte d'entrée du Vatican, la Porte Sainte Anne, s'écoule jour après jour, heure après heure, un flux compact de personnes.
C'est ce flux qu'il faut franchir, non seulement pour accéder à la Basilique Saint-Pierre, mais encore pour pouvoir pénétrer dans la 'zone interne de Saint-Pierre' qui permet d'y accéder.

Pierre sur la montagne
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Il y a des jours où l'on sent, et l'on sait, que par la suite, rien ne sera plus jamais comme avant. Des jours où l'on souhaiterait posséder des organes des sens bioniques qui enregistreraient tout avec précision.
Mais le sensoriel se transforme ensuite en quelque chose de plus profond, qu'il n'est plus possible d'appréhender. Passer au domaine le plus intime de Pierre, monter la colline vers Benoît XVI, la montagne de la prière.
Le souvenir du dernier Angélus du 24 février s'impose, quatre jours avant la vacance du Siège.
Le Pape disait alors, avec un regard prophétique vers l'avenir que «la prière n'est pas s'isoler du monde et de ses contradictions, comme Pierre aurait voulu le faire sur le Thabor, mais la prière conduit à nouveau au chemin, à l'action».
La prière consiste à escalader toujours et encore la montagne de la rencontre avec Dieu, et ensuite, enrichis par l'amour et la force qu'elle nous procure, à nouveau descendre et servir nos frères et soeurs avec l'amour même de Dieu.

Au pied de la montagne
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Le chemin, comme c'est habituellement le cas pour les collines de Rome n'est pas particulièrement escarpé, mais il monte doucement à travers les jardins du Vatican, nécessitant toutefois un certain effort.
Le couvent Mater Ecclesiae se trouve au sommet, non loin du palais du Gouvernorat.
Serviable, un officier de la Garde Suisse m'offre de m'accompagner en voiture. Il n'y était pas obligé, car la Garde Suisse est au service exclusif du successeur de Pierre, comme l'ont prouvé les images dramatiques du 28 février 2013 à 20 heures, quand les gardes suisses se sont retirés du palais apostolique à Castelgandolfo, puisque le Pape n'y résidait plus. Le reste du service de sécurité est du ressort exclusif de la Gendarmerie du Vatican.
Malgré cela, l'officier s'est fait un devoir d'accompagner l'hôte du Pape émérite jusqu'à la porte d'entrée du couvent. Pour le laisser seul là-bas. Seul avec lui-même.

La montagne
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La porte du couvent s'ouvre, pour les derniers pas dans la cour intérieure nue, inondée de soleil, ayant l'aspect d'une construction neuve, avant d'atteindre la pénombre de l'entrée.
Quelques secondes séparent le «dehors» du «dedans», des secondes qui se prolongent de façon étonnante, comme si ce qui nous attendait était un tourbillon de l'histoire, sorti du passé, prenant en compte le présent et se dirigeant vers le futur.

Ecce Homo - devant l'abîme du mystère
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L'entrée du rez-de-chaussée est petite et modeste, sans décoration.
On perçoit un mélange de senteurs, la respiration particulière de la maison. Parmi beaucoup d'autres, l'odeur d'une bibliothèque richement dotée, qui doit se trouver pas très loin de là. A l'un des murs de la pièce est accroché un tableau représentant l'homme de souffrance couronné d'épines de Guido Reni, intitulé "Ecce Homo". En dessous, une simple commode sur laquelle est posée une statue en porcelaine d'une Pietà, la mère de Dieu portant le Christ mort sur ses genoux.
Deux signes dans lesquels le mystère du Christ et de l'homme est synthétisé.
Sur le mur d'en face, une image de saint-Augustin, avec un jeune garçon, au bord de la mer.
La légende de Saint Augustin et du jeune garçon au bord de la mer est la plus célèbre et la plus représentée dans l'iconographie des légendes augustiniennes.
Elle traite de son oeuvre sur la Sainte Trinité "De Trinitate".
On raconte que le Saint, se promenant le long de la mer, avait vu un jeune garçon qui allait puiser de l'eau de mer à l'aide d'une coquille pour la verser dans un trou creusé dans le sable. Saint Augustin demanda au garçon à quoi cela servait. Celui-ci lui répondit qu'il voulait transvaser toute l'eau de la mer dans le trou.
En souriant, Augustin lui dit que c'était impossible. A quoi le garçon répondit que c'était davantage faisable que pour Augustin de faire entrer une toute petite partie du Mystère de la sainte Trinité dans son livre.

La réalité de Dieu en image, le visage du Christ et son mystère, l'image de Saint Augustin: un prélude presque écrasant pour la rencontre avec celui qui, comme peu d'autres, est descendu dans l'abîme et les profondeurs du mystère de la révélation, et a passé sa vie avec Saint Augustin; celui qui, comme le Saint d'Hippone, est un docteur de l'Eglise.

Au sommet
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Le hasard a voulu que ce soit en la fête de Saint Augustin que Benoît XVI ait bien voulu prendre une heure de son temps.
Une heure, une heure entière.

Juste à côté de l'ascenseur qui mène au premier étage, lieu de vie et de travail du Pape émérite, se trouve la bibliothèque - l'origine de l'odeur est donc élucidée - les livres.
Benoît XVI se tient debout, sans canne. Une ultime remise en ordre des idées n'est plus possible.
La silhouette blanche, petite et fragile à cause de l'âge, transmet une force intérieure. Avec les longs cheveux blancs brillants, un regard aimant et pénétrant, il semble remplir la pièce, et cela d'autant plus qu'on se trouve tout à coup dans un espace «temps-lieu» particulier de l'univers.
Les mains, qui ne se dérobent pas au baiser de l'anneau, sont fortes, aussi fortes qu'on les a toujours connues. Le regard de Sa Sainteté est changeant, très loin de toute banalité.
Benoît XVI m'invite à m'installer, prend des nouvelles de connaissances communes de notre patrie la Bavière. Il écoute les éloges pour son action, conscient que ces remerciements n'ont de sens que si son enseignement perdure.
Le caractère anecdotique, bien loin de l'essentiel, de beaucoup de reportages réalisés par des gens qui étaient assis à cette même place semble tout de suite évident.

Benoît XVI parle avec les mains, comme le monde a pu le voir au cours des presque 400 catéchèses lors des audiences générales, au cours de ses homélies, au cours de ses lectio divina. La main façonne délicatement le contenu, la parole dite est le texte.

La juste philosophie, la foi, la raison, le sentiment de «continuité», la théologie de l'Eglise, le mystère du Christ, l'espérance pour l'avenir, l'inquiètude que se mette en place un système ecclésial de communication et d'information qui ne transmette pas la foi mais qui au contraire s'épuise en lui-même et dans l'esprit du monde - de manière concrète et profonde, le pape émérite dresse un état des lieux, résultat d'une Histoire qui très souvent part dans tous les sens.
Benoît XVI est semblable à un entonnoir ouvert aux deux extrêmités: ouvert au passé, afin de mettre en avant l'espoir du futur. Loin des rumeurs du présent, afin qu'il puisse être connu dans toute sa vérité.

Le «réveil» est le premier espoir de Benoît XVI, le réveil après l'effondrement de la philosophie, de la théologie, de la vie de l'Eglise, pour avancer de nouveau vers un catholicisme originel, et pour retrouver es grands rhèmes fondamentaux que sont l'existence de Dieu, le Christ, l'Eglise.
La continuité, pour Benoît XVI, n'est pas un slogan de combat, un titre dans lequel on peut tout mettre. Les continuités de pensée et de vie vont de pair. Car si on maintient la continuité dans le fonctionnement de base de l'Eglise, dans la liturgie, dans la foi du peuple, dans la spiritualité, dans le sacrement de pénitence, alors cela va engendrer des attitudes de vie et de pensée qui trouveront ainsi un bon sol où se développer.

Le Pape émérite est convaincu que les gens ressentent avec le temps, comme cela devient de plus en plus évident, la montée des dangers, et ils s'accrochent, pour ainsi dire, à tout ce qui est agrippable, qui puisse servir de mur de protection trompeur.
C'est pour cela que l'aide de Dieu est nécessaire, s'adresser à l'Eschaton, càd cette dimension eschatologique qui fortifie et montre la route.

Retour dans la vallée
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Le couvent Mater Ecclesiae est à présent inondé de soleil. La Mère Eglise qui a pris sous sa protection un Père de l'Eglise.
Retour à pied dans la vallée, dans le vacarme. Pénétrer à nouveau dans la masse, dans le chaos. Vers la beauté, la richesse et les drames que chaque homme cache en lui pour toujours, comme le dit Benoît XVI, apour arriver à l'essentiel càd laisser percer la joie de la foi. Certes cela n'est pas facile, pour cette descente, il faut du temps. Dans les bagages, un héritage vivant et durable.

28 février 2014
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«Bonne nuit», ce sont les derniers mots du pontificat de Benoît XVI, le pape se retourne et quitte le balcon du Palais apostolique de Castel Gandolfo. Partout dans le monde, des croyants se rassemblent. Cette prière d'action de grâces se poursuit jusque tard dans la nuit. Prière de remerciement pour Benoît XVI, prière d'intercession pour les cardinaux et le conclave, prière d'espoir pour le nouveau pape.
«Bonsoir», c'est le premier mot du nouveau pontificat, ils retentissent 13 jours plus tard sur un autre balcon. Le Pape François, l'homme venu du bout du monde, se présente à son peuple en lui demandant de prier pour lui.
Le reste est l'histoire de l'année passée, l'histoire de notre temps.