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Une source d'eaux claires

Le bel hommage de JL Restàn, à un an de la renonciation de Benoît XVI. Traduction de Carlota (22/2/2014)

Une source d’eaux claires

José Luis Restán
http://www.paginasdigital.es/

« Je suis déjà un vieil homme, un moine dédié à la prière et rien de plus ».
Benoît XVI répondait ainsi, à la fin du mois de novembre dernier à la phrase (à moitié pour rire, à moitié au sérieux) par laquelle le Patriarche Sako (1), chef de l’Église chaldéenne, l’invitait à faire une visite en Irak.
Le vieux moine est toujours agrippé à la croix dans l’enceinte de Saint Pierre, comme il l’avait dit lors de son départ, conscient que ce serait désormais sa mission, et pas une petite mission.
Ceux qui ont pu le voir récemment parlent de cette « lumière » qu’il irradie avec sa paix sereine, avec la certitude tranquille de ce que, comme dit Miguel Mañara dans l’œuvre de Milosz (*), « Tout est où il doit être et va où il doit aller, selon une sagesse qui, grâce à Dieu, n’est pas la nôtre ». Peut-être que le mot lumière est le plus adéquat pour parler de lui : une lumière de l’entendement (comme dirait Dante) mais une lumière chaude qui pénètre dans le plus profond du cœur jusqu’à toucher le noyau de l’espérance.

Elles ont été rares, les paroles de Benoît qui nous sont arrivées depuis le monastère Mater Ecclesiæ en cette année qui nous sépare déjà de la retentissante renonciation.
C’était et cela continue à être sa ferme volonté. Mais les rares paroles qui ont passé les murs de la résidence constituent un petit trésor.

Par exemple celles qu’il a adressés au Supérieur des Pauliniens (2) qui lui demandait quel avait été le cœur de sa théologie : « l’amitié avec Jésus Christ basée sur la foi en ce qu’Il est le Fils de Dieu, croire et toucher Jésus, comme la femme malade dont parle l’Évangile ; nous cherchons à toucher Jésus et de cette façon nous trouvons Dieu, qui est le sens de notre vie, la joie d’avoir été rachetés ; c’est important la joie, même quand apparaît la croix ; et c’est ainsi que nous allons dans le chemin de la vie ».

Peu de temps avant, à la fin de l’été, il a reçu ses anciens élèves de la « Ratzinger Schülerkreis » et leur a adressé une homélie significative sur le poste que chacun doit occuper dans la société et dans l’Église. (3) « Quel est véritablement le poste juste ? Un poste qui peut nous paraître très bon, peut se révéler comme un poste néfaste », a dit alors le vieux moine. « Quel que soit le poste que l’Histoire veut nous assigner, ce qui est déterminant c’est la responsabilité devant Dieu, et la responsabilité face à l’amour, la justice et la vérité… La Croix est dans l’histoire le dernier poste, et le Crucifié n’a aucun poste, il a été spolié, il est un rien…et cependant Jésus est le plus haut, il est à la hauteur de Dieu parce que la hauteur de la croix c’est la hauteur de l’amour de Dieu, la hauteur de la renonciation à soi-même et de la consécration aux autres. C’est lui le poste divin et nous voulons demander à Dieu qu’il nous concède de le comprendre chaque fois plus et d’accepter avec humilité, chacun selon sa façon propre, ce mystère de l’exaltation et de l’humilité ».
Parole de Benoît, de qui quelqu’un murmura qu’ « il était descendu de la croix ».

On ne s’est pas encore suffisamment plongé dans le texte de la Déclaration prononcée sobrement en latin ce 11 février 2013. Théologiens et canonistes ont là une riche matière à travailler. Mais déjà presque personne n’en doute : ce geste inespéré et prophétique a déclenché une nouvelle impulsion sur le chemin de l’Église, une impulsion dont Benoît comprenait et sentait l’urgence comme personne, autant qu’il comprenait et sentait que cela ne pouvait être que lui qui la porterait en avant. C’est là que réside l’énorme grandeur de sa décision historique. Ni la fatigue (compréhensible du fait de son âge et des tourmentes) ni la tristesse (du fait de la trahison de quelques collaborateurs), ni la supposée impuissance du fait de l’imperméabilité de quelques secteurs de son magistère, ne peuvent expliquer ce qui est arrivé il y a un an. Ce serait ne pas connaître l’homme ni le chrétien Joseph Ratzinger.

L’esprit réformateur et l’entrain missionnaire du pape François boivent les eaux profondes du pontificat lumineux, mais aussi douloureux, de Benoît XVI. Comme a dit son fidèle secrétaire Georg Gänswein, à travers les souffrances toujours vécues de la hauteur sereine de la croix, ces eaux ont été fraîiches et claires, et elles irrigueront pour longtemps le corps de l’Église, pour laquelle il a tout donné. Moi, bien sûr, je lui en serai reconnaissant tant que je vivrai.

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Note de traduction:
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(*) « Miguel Mañara, mystère en six tableaux » écrite en 1913, par l’écrivain lithuanien de langue française Oscar Vladislas de Lubics Milosz dit Oscar Milosz (1877-1939) et devenu un opéra du compositeur marseillais Henri Tomasi.
Le vrai Miguel Mañara Vicentelo de Leca (Séville 1627-1679) était d’origine corse par son père né à Calvi et enrichi dans le commerce entre l’Espagne et l’Amérique. Veuf très jeune et sans enfant, Miguel Mañara s’est alors consacré aux œuvres sociales et à la construction du grand hôpital de la Sainte Charité à Séville. Il vécu pauvrement et montra une religiosité aux sévères mortifications. Il fut à l’origine de la conversion de musulmans mais aussi de pirates anglais qui revinrent au catholicisme. Il a été déclaré vénérable et un procès en béatification est toujours en cours.
Les romantiques espagnols du XIXème et donc ultérieurement Milosz, en ont fait, sans que cela corresponde à la réalité, un séducteur impénitent devenu par la suite prêtre, une image qu’ils voulaient proche de celle d’un autre Sévillan célèbre, le fameux don Juan Tenorio, dépeint d’abord par Tirso de Molina et dont s’inspirera Molière.

     

Notes

(1) Les patriarches orientaux ont rendu visite à Benît XVI fin novembre: http://benoit-et-moi.fr/2013-III/benoit/les-patriarches-orientaux-chez-benoit-xvi.php

(2) Le 6 septembre, Benoît XVI recevait une délégation de Pauliniens des éditions San Paolo (éditeur en particulier de "Famiglia Cristiana"), venus lui présenter leur nouvelle publication "Les fondements de la foi, l'héritage de Benoît XVI" : http://benoit-et-moi.fr/2013-III/benoit/des-nouvelles-recentes-de-benoit.html

(3) La messe de conclusion du Razinger Schulerkreis. Il n'y a malheureusement pas eu de version officielle de l'homélie, dont n'ont été publiés que des fragments par Radio Vatican en italien: http://benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/la-voix-de-benoit-xvi.html