Accueil

Appel à la conscience du monde

C'est celui que lance le patriarche chaldéen de Bagdad, Mgr Sako, sous le titre "Chrétiens d'Irak, une double catastrophe", et que publie aujourd'hui la Bussola (26/8/2014)

>>>
La lettre bouleversante de Louis I Sako (24/7/2014)

     

CHRÉTIENS D'IRAK, UNE DOUBLE CATASTROPHE
Mgr Sako (*)
www.lanuovabq.it
26 août 2014
(ma traduction)
--------

Il est désormais évident qu'aux chrétiens irakiens, ainsi qu'à d'autres minorités, un coup mortel a été porté au cœur de leur vie et de leur existence, à travers l'expulsion de cent mille chrétiens par la force, ou en volant leurs biens, leur argent, leurs papiers, ou en occupant leurs maisons. Et cela uniquement parce qu'ils sont chrétiens!

J'ai visité les camps de réfugiés dans les provinces d'Erbil et de Dohok et ce que j'ai vu et entendu est au-delà de l'imagination!

Depuis le 6 Août jusqu'à aujourd'hui, on n'a pas encore vu de solution concrète immédiate à la crise que nous traversons. Et pas seulement cela: le flux de fonds, d'armes et de combattants pour l'Etat islamique continue (1).
Bien que nous vivions dans une campagne organisée d'élimination de l'Irak, la conscience du monde n'est pas encore pleinement consciente de la gravité de la situation.
A présent, la deuxième phase de la catastrophe a déjà commencé: la migration de ces familles dans différentes parties du monde. De cette manière, on vide l'histoire, le patrimoine et l'identité de ce peuple.

Les déplacements et les migrations ont un grand impact sur nous, à la fois pour les chrétiens et pour les musulmans. L'Irak est en train de perdre un élément irremplaçable de sa société, les chrétiens; commence alors la disparition d'une tradition authentique!

La communauté internationale - à commencer par les Etats-Unis et l'Union européenne qui ont une responsabilité historique et morale envers l'Irak - ne peut rester indifférente. Tout en reconnaissant tout ce qui est fait pour résoudre la crise, il semble que les décisions et les mesures prises jusqu'à présent n'ont pas provoqué de changement réel sur le cours des événements; et le sort des personnes touchées est toujours en suspens, comme si ces personnes ne faisaient pas partie de la race humaine!

La même chose doit être dite à propos de la communauté musulmane, dont les déclarations sur les actes de barbarie contre la vie, la dignité et la liberté des chrétiens, pratiqués au nom de leur religion, ne sont pas la hauteur des attentes, en tenant compte du fait que les chrétiens ont contribué et se sont battus pour ce pays, vivant une collaboration avec leurs frères musulmans.

Le fondamentalisme religieux augmente encore en puissance et en force, causant des tragédies, nous faisant nous demander quand les experts religieux musulmans et les intellectuels musulmans commenceront à examiner de façon critique ce phénomène dangereux et à l'éradiquer à travers l'éducation à une véritable conscience religieuse, et à diffuser une culture authentique de l'acceptation de l'autre comme frère et comme citoyen avec les mêmes droits.

Ce qui est arrivé est terrible et horrible, nous avons besoin d'un soutien international urgent et efficace, de toutes les personnes de bonne volonté, pour sauver de l'extinction les chrétiens et les Yézidis, composantes authentiques de la société irakienne. Sachant que le silence et la passivité encouragent les fondamentalistes de l'ISIS à commettre encore plus de tragédies. La question devient: qui sera le prochain?

Bon nombre des personnes déplacées souhaitent retourner dans leurs villes et dans leurs maisons dans la plaine de Ninive, et espèrent pouvoir le faire en sécurité sous protection internationale. Mais la pleine sécurité de cette zone ne peut être atteinte sans la coopération de la communauté internationale, ainsi qu'une action conjointe du gouvernement central et du gouvernement régional du Kurdistan. Ces personnes innocentes méritent de vivre dans la paix et dans la dignité après la terreur qui leur est infligée par l'ISIS et après avoir été dépouillés par leurs propres voisins.

Bien sûr, nous sommes fiers de la foi de nos fils et nos filles, et de leur fermeté et leur courage face à cette calamité, pour le bien de leur foi. Nous les invitons à vivre cette crise dans une véritable communion avec toutes les personnes autour d'eux, sans distinction. Ce dont nous avons besoin, ce ne sont pas de déclarations lassantes, mais d'une véritable communion avec les autres, comme nous l'avons expérimenté au cours de la visite de la délégation de la Conférence des évêques de France, celle de l'envoyé personnel du pape François, et celle des Patriarches.

Cette crise nous rend capables d'une reconstruction spirituelle, morale et matérielle de nos communautés. Nous respectons la décision de ceux qui veulent migrer, mais pour ceux qui veulent rester, nous insistons sur notre longue histoire et notre patrimoine profondément ancré dans cette terre.

Dieu a son projet pour notre présence dans cette terre et il nous invite à porter le message de l'amour, de la fraternité, de la dignité et de la coexistence harmonieuse.

(*) Patriarche de Babylone des Chaldéens, Président de l'Assemblée des évêques de l'Irak

Note

(1) Sur son blog très informé, EFFEDIEFFE, Maurizio Blondet cite un important homme politique irakien, Ibrahim Al-Jafaari, qui fut premier ministre du gouvernement provisoire de 2005-2006, et qui a dit:
«Je voudrais demander au Conseil de sécurité de l'ONU: qui achète le pétrole syrien à l'ISIS, et comment arrive-t-il en Europe?».
D'après Al-Jafaari, le Califat a mis la main sur les puits pétroliers en Syrie et en Irak, ce qui lui assurerait une rente de «3 millions $ par jour». Comment se fait-il qu'un groupe terroriste (reconnu comme tel également par le Conseil de sécurité) réussisse à vendre librement le pétrole volé?
Toujours d'après l'ex-premier ministre irakien, «la Turquie est l'unique pays par lequel transite le pétrole volé à la Syrie et à l'Irak, pour être vendu en Europe. Pourquoi ne pas prendre des mesures radicales contre la Turquie, membre de l'OTAN, pour faire cesser ce traffic? (...) La Turquie n'est-elle pas le point de passage des terroristes de l'ISIS vers la Syrie et l'Irak. Pourquoi ne pas leur interdire les ports et les aéroports?»

* * *

Tout ceci nous renvoie à Marcello Foa (cf. Mort d'un journaliste catholique (suite)).
Il est probable que Mgr Sako ne l'ignore pas...

  © benoit-et-moi, tous droits réservés