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Chrétiens d'Irak: le Vatican réagit avec vigueur

... par un communiqué (en français) du cardinal Tauran, qui dirige le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (13/8/2014)

     

La publication (que je me suis efforcée de rendre le plus neutre possible, admettant que l'on pouvait trouver des justifications au Pape, donnant même la parole à des "opposants", et replaçant les propos de Socci dans un contexte plus ample) du dernier billet d'Antonio Socci m'a attiré les foudres d'un blogueur francophone très actif en ce moment, lequel, se croyant investi d'une mission de chevalier Bayard du web et de mouquetaire du Pape François, prétend me dicter ce que je peux écrire, et semble même tout prêt à «dresser à nouveau des bûchers et des gibets (pour l'instant, heureusement, seulement métaphoriques) pour ceux qui osent remettre en question la sainteté absolue, l'intangibilité et l'infaillibilité du pape actuel», comme le dit avec humour ce blogueur italien.
La liberté d'expression et la pluralité d'opinions tant vantées par ceux qui les admettent toutes à condition qu'elles ne contredisent pas la leur, ne devrait-elle pas les autoriser à faire entendre eux aussi leur voix (sous réserve qu'elle soit courtoise et argumentée), sans se faire lyncher?

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Quoi qu'il en soit, le Vatican vient de publier (le 12 août) un appel signé du cardinal Tauran, président du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux .
Occasion pour les médias (j'entends en ce moment Mgr Podvin sur Europe 1, répétant avec conviction «la voix du cardinal Tauran c'est la voix du pape, c'est comme si le pape s'exprimait») de saluer la "fermeté" du Pape - avec faveur, comme chaque fois que l'agenda de l'Eglise rejoint le leur.

Mais cette prise de position du "Vatican" est encore jugée tardive par certains, et surtout, pas à la hauteur (rappelons, au minimum, que François ne s'est pas associé publiquement à la journée de prière déclarée par les évêques italiens le 8 août). Il n'est d'ailleurs pas interdit de penser que l'intervention est destinée AUSSI à faire taire les critiques.
Parmi eux, Sandro Magister, qui ne désarme pas, et qui écrit le 12 août sur son blog personnel Settimo Cielo:

     

LE VATICAN SE RÉVEILLE ET DÉCOUVRE LES HORREURS DU CALIFAT
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Après des jours de silence, ou seulement de paroles réticentes et de lamentations génériques comme pour une catastrophe naturelle, le Vatican s'est enfin laissé assaillir par la réalité et a prononcé contre le califat islamique de Syrie et d'Irak une condamnation circonstanciée et sans équivoque .
Mais "le Vatican" (ndt: les guillemets sont de Magister) cette fois, ce n'était pas le pape ni le secrétaire d'État, mais seulement un bureau de second ordre, le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux présidé par le cardinal Jean-Louis Tauran.

Il l'a fait avec une «Déclaration» publié dans la matinée du mardi 12 Août, en langue française, traduit seulement dans l'après-midi, en italien et en anglais, et ignoré pendant plusieurs heures par News.Va, le portail d'information du Saint-Siège.
(ndt: au moment où j'écris ces lignes, la déclaration est également traduite en espagnol et en portugais)

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La déclaration du cardinal Tauran

press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino
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Le monde entier a assisté, stupéfait, à ce qu’on appelle désormais « la restauration du califat » qui avait été aboli le 29 octobre 1923 par Kamal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne.
La contestation de cette « restauration » par la majorité des institutions religieuses et politiques musulmanes n’a pas empêché les jihadistes de l’« Etat Islamique » de commettre et de continuer à commettre des actions criminelles indicibles.

Ce Conseil pontifical, tous ceux qui sont engagés dans le dialogue interreligieux, les adeptes de toutes les religions ainsi que les hommes et les femmes de bonne volonté, ne peuvent que dénoncer et condamner sans ambiguïté ces pratiques indignes de l’homme:

- le massacre de personnes pour le seul motif de leur appartenance religieuse;
- la pratique exécrable de la décapitation, de la crucifixion et de la pendaison des cadavres dans les places publiques;
- le choix imposé aux chrétiens et aux yézidis entre la conversion à l’islam, le paiement d’un tribut (jizya) ou l’exode;
- l’expulsion forcée de dizaines de milliers de personnes, parmi lesquelles des enfants, des vieillards, des femmes enceintes et des malades;
- l’enlèvement de jeunes filles et de femmes appartenant aux communautés yézidie et chrétienne comme butin de guerre (sabaya);
- l’imposition de la pratique barbare de l’infibulation;
- la destruction des lieux de culte et des mausolées chrétiens et musulmans;
- l’occupation forcée ou la désacralisation d’églises et de monastères;
- le retrait des crucifix et d’autres symboles religieux chrétiens ainsi que ceux d’autres communautés religieuses;
- la destruction du patrimoine religieux-culturel chrétien d’une valeur inestimable ;
- la violence abjecte dans le but de terroriser les personnes pour les obliger à se rendre ou à fuir.

Aucune cause ne saurait justifier une telle barbarie et certainement pas une religion. Il s’agit d’une offense d’une extrême gravité envers l’humanité et envers Dieu qui en est le Créateur, comme l’a souvent rappelé le Pape François.
On ne peut oublier pourtant que chrétiens et musulmans ont pu vivre ensemble - il est vrai avec des hauts et des bas - au long des siècles, construisant une culture de la convivialité et une civilisation dont ils sont fiers. C’est d’ailleurs sur cette base que, ces dernières années, le dialogue entre chrétiens et musulmans a continué et s’est approfondi.

La situation dramatique des chrétiens, des yézidis et d’autres communautés religieuses et ethniques numériquement minoritaires en Irak exige une prise de position claire et courageuse de la part des responsables religieux, surtout musulmans, des personnes engagées dans le dialogue interreligieux et de toutes les personnes de bonne volonté. Tous doivent être unanimes dans la condamnation sans aucune ambiguïté de ces crimes et dénoncer l’invocation de la religion pour les justifier. Autrement quelle crédibilité auront les religions, leurs adeptes et leurs chefs ? Quelle crédibilité pourrait avoir encore le dialogue interreligieux patiemment poursuivi ces dernières années?
Les responsables religieux sont aussi appelés à exercer leur influence auprès des gouvernants pour la cessation de ces crimes, la punition de ceux qui les commettent et le rétablissement d’un état de droit sur tout le territoire, tout en assurant le retour des expulsés chez eux. En rappelant la nécessité d’une éthique dans la gestion des sociétés humaines, ces mêmes chefs religieux ne manqueront pas de souligner que le soutien, le financement et l’armement du terrorisme est moralement condamnable.

Ceci dit, le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux est reconnaissant envers tous ceux et celles qui ont déjà élevé leurs voix pour dénoncer le terrorisme, surtout celui qui utilise la religion pour le justifier.

Unissons donc nos voix à celle du Pape François: « Que le Dieu de la paix suscite en tous un désir authentique de dialogue et de réconciliation. La violence ne se vainc pas par la violence. La violence se vainc par la paix!».



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