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Déraciner les peuples pour les asservir

Un article d'une vieille connaissance, le blogueur espagnol Juan Manuel de Prada, qui réfléchit à la façon dont, à travers le détournement des festivals et autres festivités locales, l'idéologie mondialiste coupe le peuple de ses traditions pour mieux l'incorporer au magmas sans âme de l'humanité post-moderne (4/9/2014)

>>> L'image qui illustre cet article (Procession in Bercianos de Aliste, Zamora, Castile and Leon, vers 1950) est du site Rorate Caeli
>>> Carlota a traduit pour mon site de nombreux billets de Juan Manuel de Prada: cf. tinyurl.com/lazo4sy

     

L'article a été traduit en anglais par le site Rorate Caeli (c'est ce qui m'a servi pour ma propre traduction), assorti d'une introduction soulignant le caractère universel de la réflexion, qui pourrait sinon paraître ancrée dans la seule hispanité (JM de Prada parle d'un village espagnol où a été organisée une course de bisons, en remplacement de LA TRADITION espagnole par antonomase, la course de taureaux).

Festival des vieilles Charrues

Que l'on pense, chez nous, à tous les festivals de l'été, dont les journaux locaux font la promotion, par exemple le Festival des Vielles Charrues, dont le nom fleure bon le terroir, mais dont la programmation (et les images) témoignent de tout autre chose.
Je pense aussi à un contre-exemple (qui est peut-être en train de disparaître): la Bavière, au moins non urbaine, où les traditions demeurent fortes, en particulier à travers la musique, l'habitat, et surtout le costume, encore très porté, au moins dans les grandes occasions.

Rorate Caeli

SANS TRADITION, NOUS SOMMES DU BÉTAIL
http://rorate-caeli.blogspot.com
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Dans l'article suivant, publié il y a quelques jours, Juan Manuel de Prada utilise des exemples très espagnols pour offrir une réflexion universelle très profonde pour toute l'ancienne Chrétienté. L'Eglise catholique a toujours été le meilleur défenseur des traditions locales, des langues locales, et des cultures locales, parce qu'elle était la porteuse assurée d'une Tradition qui ne meurt pas. Aujourd'hui, avec sa confiance en elle-même disparue, sa Tradition blessé et humiliée, sa liturgie détruite dans de vastes régions du monde, les traditions locales disparaissent également et sont remplacées par un magmas pseudo-culturel mondial. La force de la Tradition et des traditions a permis aux chrétiens de la péninsule ibérique de reconquérir leurs terres, puis de conquérir une grande partie du monde pour l'Eglise. Que vont-ils faire à présent?

     

TRADITIONS TRAHIES

Juan Manuel de Prada
31 août 2014
www.finanzas.com/xl-semanal/firmas/juan-manuel-de-prada
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J'ai lu que dans un hameau de La Rioja (communauté autonome du Nord de l'Espagne) ils ont organisé une course de ... bisons américains!
Et j'ai été très désolé pour les gens de ce lieu riojien, désolé pour tous ces villages espagnols qui ont trahi leurs traditions (dont la tauromachie est la plus emblématique!) et les ont remplacées par des substituts parodiques et dégradants, désolé de vivre en un temps honteux qui nous a transformés en pauvres laquais de modes éphémères, soumis à des caprices étrangers, à la colonisation abrutissante des médias, et à la tyrannie de nos propres pulsions désordonnées; ces gens qui, aujourd'hui, veulent prendre part à une course de bisons, et peut-être demain à une course de rennes (avec le meneur habillé comme le fantoche nommé "Santa Klaus"!).
Saint-Exupéry a écrit que seule une philosophie des racines, en liant l'homme à sa famille, à son travail et à sa patrie, le protège de l'abîme de l'espace!; et que seule l'adhésion aux rites et traditions le protège de l'érosion du temps. Quand ce sentiment d'appartenance est perdu, nous devenons des médiocres jetés dans les poubelle de l'histoire, organisant des courses de bisons.

Si des villages espagnols abandonnent leurs cycles de vie liés à l'agriculture et à l'élevage, il est naturel que leurs jeunes cessent de voir dans le taureau sauvage (de combat?), une force de la nature dà laquelle ils veulent se mesurer; et le temps qui autrefois était consacré aux tâches agricoles et au soin du bétail (qu'ils ont laissé tomber grâce aux subventions de l'Union européenne) est désormais passé devant la télévision, où, tout en zappant comme des zombies lobotomisés, ils regardent un film de Kevin Costner avec un troupeau de bisons. Et comme leur âme porte encore en elle une réminiscence, ou une nostalgie des traditions ancestrales, même si c'est une nostalgie déformée par le bruit étourdissant des modes étrangères et des médias, ces jeunes concevront inévitablement l'idée délirante d'organiser une course de bisons, qui à ce moment leur paraîtront de grosses bestioles aussi exotiques que les taureaux.

L'attachement aux traditions, en créant des liens entre les hommes, rend les peuples forts, impénétrables à la spoliation matérielle ou morale; et de ces peuples profondément enracinés naissent les personnalités les plus fortes et les plus diversifiés. Des peuples sans traditions, au contraire, sont destinés à la solitude la plus sombre, celle qui, alors qu'elle prêche l'individualisme, conduit à la massification; et de ces peuples, désarmés face à la spoliation matérielle et morale, ne sortiront que des personnalités faibles et frustres, affaiblies par l'obsession de l'indépendance et de la liberté, mais finissant toujours par agir selon la même idiotie grégaire. C'est pourquoi les sociétés sans tradition sont, paradoxalement, le paradis des statistiques: car là où il n'y a pas de traditions (qui sont le lit de rivière dans lequel coule le flot de notre personnalité originelle), le comportement des individus, bien qu'apparemment erratique, est facilement prévisible, presque automatique. Mais ceux qui veulent nous voir convertis en une masse solitaire, réduite en esclavage, ne nous enlèvent pas nos traditions d'un seul coup (de peur que la mémoire ou la nostalgie toujours présentes dans nos âmes puissent nous inciter à nous rebeller), mais plutôt s'amusent à nous donner des simulacres grotesques qui, à leur tour, agissent comme des placebos sur notre tristesse et leur permettent de s'amuser cruellement à nos dépens, nous regardant tandis que nous cultivons d'étranges et stupides passions.

Rien ne plaît davantage à ceux qui veulent nous réduire à une foule solitaire que de nous voir organiser des courses de bisons, après que nous ayons oublié l'élevage du taureau sauvage. Rien ne leur plaît davantage que de nous voir manger, et avec plaisir!, quelque birria (plat typique espagnol) à la manière de Ferran Adria (célèbre chef espagnol, pionnier de la cuisine moléculaire) cuite avec de l'azote liquide, après que nous ayons oublié comment faire cuire (et même savourer) la soupe à l'ail. Rien ne leur plaît davantage que de nous voir danser spasmodiquement dans une boît de nuit avec une s... que nous ne connaissons même pas, après que nous ayons oublié comment aller au bal du village avec la fille d'à côté. Rien ne leur plaît plus que de nous regarder chanter des chansons idiotes accompagnées à la guitare pendant la messe, après que nous ayons oublié le chant liturgique. Rien ne leur plaît plus que de nous donner des conseils dans le choix d'une fiancée par une agence de rencontre sur Internet, après que nous ayons rejeté les conseils de notre mère.

C'est comme cela qu'ils nous veulent: dépouillés de nos traditions, réduits à des marionnettes à forme humaine qui se vautrent dans leurs propre crasse, contents de nous, nourris de simulacres parodiques sordides ou dérisoires. Transformés en bétail, en populace, en troupeau, qu'ils se chargent même de fournir en substituts.

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