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Désarroi parmi les catholiques

Retour sur (ce qui n'est pas que) la polémique Socci versus Introvigne: un article qui renvoie dos à dos les tenants du "schisme ratzingérien" et ceux de la "papolatrie normaliste" (31/8/2014)

     

L'article est issu du blog (au demeurant excellent), animé par une équipe de jeunes intellectuels italiens, Campari & de Maistre (*).
Personnellement, je me sens plutôt proche de Socci, même si j'admets que la polémique sur la validité de la renonciation de Benoît XVI peut gêner certains, parce qu'elle contredit, d'une certaine façon, la formulation de l'acte de renonciation prononcé par Benoît XVI le 11 février 2013 , et surtout fait douter de la sincérité des explications qu'il a données en prenant congé des fidèles lors de la dernière audience générale, le 27 février 2013. Ce qui pour moi est impensable!

Ces derniers mois, j’ai senti que mes forces étaient diminuées, et j’ai demandé à Dieu avec insistance, dans la prière, de m’éclairer de sa lumière pour me faire prendre la décision la plus juste non pour mon bien mais pour le bien de l’Église. J’ai fait ce pas en pleine conscience de sa gravité et aussi de sa nouveauté, mais avec une profonde sérénité d’âme. Aimer l’Église signifie aussi avoir le courage de faire des choix difficiles, douloureux, en ayant toujours à coeur le bien de l’Église et non soi-même.

Je n'oublie pas qu'Antonio Soccio avait prévu que Benoît XVI allait démissionner dès l'été 2011, à un moment où l'hypothèse paraissait complètement folle. A l'époque, je ne lui avais pas épargné mes critiques... Force est de constater qu'il avait vu juste.
Un point intéressant à noter, c'est que Massimo Introvigne évolue: il ne nie plus les changements, mais dit en substance qu'il faut rester envers et contre tout fidèle au Pape (quel qu'il soit).

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¤ La polémique Socci/Introvigne rapportée par Antonio Mastino: Introvigne vs Socci et viceversa
¤ Les arguments d'Introvigne, dans une tribune parue dans Il Foglio, sont reproduits sur ce site .

     

SOCCI VS INTROVIGNE? AUCUN DES DEUX NE CONVAINC
www.campariedemaistre.com/2014/08
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Même si le climat des congés de la mi-août a quelque peu mis la chose en sourdine, dans le monde catholique italien (1) s'est consommée une rupture qui risque sérieusement de déchirer de façon nette et définitive la culture catholique dite «conservatrice »; une rupture qui n'est en réalité que l'épilogue et le résultat de divisions plus profondes au sein du catholicisme en général.

Nous nous référons au dialogue entre Antonio Socci et Massimo Introvigne, qui trouve son origine dans la prise de position très dure du premier contre le Pape François, selon lui trop silencieux et hésitant dans la dénonciation des crimes des djihadistes de l'Etat islamique d'Irak et du Levant contre les chrétiens.
Un sévère «j'accuse» (en français dans le texte) qui suit de nombreux articles dans lesquels, depuis des mois, Socci souligne les mystères et les incohérences de l'abdication de Benoît XVI (benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/laffaire-antonio-socci), comme pour démontrer une sorte de conspiration contre le «pape émérite», le tout entre allusions prophétiques et présages apocalyptiques. Une attaque pour laquelle le journaliste toscan semble avoir enfin fait son «outing» de «schismatique ratzingérien»: pour lui, le vrai pape - du moins c'est ce qui ressort clairement de ses interventions - serait encore Benoît, dont le successeur s'avérerait chaque jour plus indigne du rôle.

Soyons clairs, nous aussi, nous aurions préféré, venant de l'autre côté du Tibre, un ton plus fort pour dénoncer l'effroyable tragédie vécue par les chrétiens d'Irak. Et on ne peut que donner raison à un laïc intelligent comme Cacciari (Un tournant radical de l'Eglise), quand il dit que la position du pape, exprimée avec des arguments de fonctionnaire de l'ONU plutôt que de Vicaire du Christ («oui à l'intervention mais non aux bombardements»), bien que juste dans le refus d'un interventionnisme unilatéral, en ressort diminuée et affaiblie. Mais au moins, en termes de diplomatie, depuis la crise syrienne, celle de François a été, tous comptes faits, conduite de façon appréciable: ce n'est certainement pas là-dessus que s'accumulent les doutes les plus fondés.

Il nous semble, en somme que Socci, bien que partant d'une juste indignation, et d'un sentiment compréhensible d'inquiétude face aux aspects inexpliqués de l'abdication de Ratzinger, finit par passer à côté du véritable objectif, et il ne peut pas en être autrement pour ceux qui croient que le crise de l'Eglise a explosé juste après la renonciation de Benoît, comme si tout allait à merveille avant et que les initiatives louables du «pape émérite» (ndt: guillemets dans dans le texte!) aient suffi pour inverser la crise profonde dans l'Eglise qui date désormais de décennies (2).

Quant à Introvigne, le leader d'Alliance Catholique, conformément à une position désormais bien établie, joue le rôle de «pasdaran» (ou gardien, du nom des Gardiens de la révolution islamique en Iran) irréductible du Pape, de tout Pape, et n'a pas laissé passer l'occasion pour défendre Bergoglio l'épée au poing, ici comme en d'autres occasions où il était franchement difficile de jouer les zouaves pontificaux à outrance, comme dans l'affaire des interviewes à Scalfari, ou de la visite à la communauté protestante de Caserte.
Mais dans l'article par lequel Introvigne a répondu à Socci, ce sont quelques mots en particulier qui nous laissent pour le moins perplexes, et nous semblent confirmer, peut-être contre les intentions de l'auteur, à quel point le terrain de l'«herméneutique de la continuité» est hérissé de difficultés considérables.

«Je ne soutiens pas - écrit Introvigne dans sa réponse à Socci - que le Pape François enseigne les "mêmes chose" que le Magistère précédent, et encore moins de la même manière. Je reconnais les nouveautés, j'en attends encore d'autres, et je les accueillerai en acceptant loyalement les réformes et en les relisant sous le signe de la continuité. Celui qui n'accepte pas cette méthode ne peut pas se retrancher derrière Benoît XVI. Parce que l'«herméneutique de la réforme dans la continuité», c'est cela, et elle n'autorise personne à rejeter la réforme au nom de la continuité. Et elle n'autorise certainement personne à déformer mes positions et celles des gens qui pensent comme moi, nous faisant dire que «rien n'a changé» par rapport aux papes qui ont précédé François. Beaucoup, beaucoup de choses ont changé, cela arrive souvent dans l'Eglise, et les changements doivent être accueillis en les interprétant selon une herméneutique catholique qui maintient fermement, à côté de la réforme, également (mais pas "seulement") la continuité».

Maintenant, nous sommes sans doute limités culturellement, mais nous ne parvenons pas à comprendre comment un pape peut enseigner des choses nouvelles (et pas seulement d'une manière nouvelle) sans contredire les précédents, et comment, en termes de Magistère peuvent changer des choses sur des questions qui devraient désormais être considérées comme définies et acquises: si on enseigne non pas des nouvelles choses (nove) mais «du nouveau»,(nova), plutôt que de continuité, la logique nous dit que nous avons affaire à une rupture.
«Les choses que dit François» sont pour Introvigne «très différentes de ce qu'ont dit ses prédécesseurs, de même que sur certains points les choses dites par le vénérable Paul VI étaient différentes de celles dites par le vénérable Pie XII, et les choses dites par Benoît XVI étaient différentes de celles dites par le vénérable Paul VI».
Il est curieux, toutefois, que le sociologue ne dise pas - évidemment parce que c'est sans objet -, que Pie XII a enseigné des choses «très différente» de ses prédécesseurs ...

En somme, entre «schisme ratzingérien» et «papolatrie normaliste», une grande confusion règne dans le ciel catholique (3): qu'il nous soit permis, cependant, de ne prendre parti ni l'un ni pour l'autre, mais de rester fidèle à notre conscience, à laquelle, selon l'enseignement du bienheureux John Henry Newman, nous portons un toast AVANT d'en porter un à toute autre chose ou personne.

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Notes de traduction

(*) Le site revendique l'humour. A ce que je crois comprendre, le titre se réfère à la fois à la marque d'apéritif Campari, et au philosophe et théoricien de la contre-révolution Joseph de Maistre. Mais il se peut que je me trompe...

(1) Pas dans le nôtre (je veux parler du monde catholique francophone, pour lequel il ne s'est rien passé)!

(2) C'est l'attitude symétrique, quoique infiniment plus marginale, de celle adoptée par les gens qui, du côté opposé de l'échiquier ecclésial, n'affirment certes pas que tous les problèmes ont été résolus, mais, depuis le 13 mars 2013, ont purement et simplement choisi de les nier. Personne (et surtout pas lui, dans son humilité) n'a pu penser sérieusement que Benoît XVI avait résolu tous les problèmes. Du moins a-t-il essayé d'y porter remède «afin que la tunique sans couture du Christ ne se déchire pas davantage» (cf. discours aux évêques français le 14 septembre 2008 à Lourdes).
Le reste, hélas, n'a pas dépendu de lui.

(3) J'en vois une preuve avec les récentes prises de position du site Pro Liturgia, l'un des rares, en France à oser enfin briser le mur du silence.
Non sans humour, il cite dans un bandeau les propos mêmes du pape François: "Je vous demande, s’il vous plait, d’importuner vos pasteurs, de nous déranger, nous tous, les pasteurs... "

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