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Deux livres sur François

Un virage éditorial? (7/10/2014)

     

Deux livres sur François (*)

Deux livres viennent de sortir coup sur coup, qui semblent indiquer, en France, une rupture dans la perception de François.
Les deux tentent de dresser un bilan des 18 premiers mois de Pontificat, plus nuancé que les dithyrambes qui encombraient les gondoles des librairies il y a encore deux mois.
Je n'ai pas l'intention de faire une "critique", parce je suis trop impliquée, connaissant tous les faits évoquées et je risque d'être peu objective: je préfère m'intéresser au virage que ces deux publications représentent dans le panorama éditorial. Mais la critique est difficile à éviter.

JUSQU'OÙ IRA FRANÇOIS
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Le premier, "Jusqu'où ira François", paru en septembre dernier aux éditions JC Lattès, est signé de Jean-Marie Guénois, le correspondant au Vatican du Figaro.
La présentation de l'éditeur annonce «un livre sur le pape François qui n’est pas une hagiographie et qui est différent des autres livres».
Voyons cela d'un peu plus près:

¤ "Ce n'est pas une hagiographie":
Cett affirmation appelle quelques réserves
Le livre a certes des qualités, il est honnête, et contient des analyses intéressantes, mais (je précise que je l'ai lu) il est décidément à ajouter à la liste des hagiographies.
François y apparaît comme un Pape politique, un homme d'action et de commandement (qu'il est peut-être, mais c'est oublier certains deus ex machina qui s'agitent beaucoup en coulisses sous son pontificat), et surtout un prophète, qui pourrait transformer l'Eglise si ses ennemis lui laissent une marge de manoeuvre.
Les titres de chapitres sont à cet égard éloquents: "Un pape provoc et un pape prophète (un homme autoritaire au service d'une réforme radicale)", "Une révolution au Vatican", "François, pape d'une renaissance de l'Eflise?"...
Mais l'auteur ne s'interroge pas sur les conséquences de ses actes, pas non plus sur l'attitude des médias, et il laisse de côté (faute de place, dira-t-on, mais à l'évidence, c'est un parti-pris) la plupart des gestes et propos polémiques, trop nombreux pour être cités ici, comme par exemple l'étrange conception de l'oecuménisme et les relations avec les pentecôtistes.
Benoît XVI, par contraste, est décrit comme un grand intellectuel (c'est le moins!), mais malheureusement pour la fonction qui était la sienne, un introverti, "à la sensibilité presque féminine" (!!), un être fragile, un homme d'études plus que de gouvernement, ne sachant pas s'entourer, et dont la renonciation serait en quelque sorte une conséquences de failles psychologiques chez lui - alors que les points obscurs qui entourent le geste historique du 13 février 2013, ne sont même pas évoqués.
Ce portrait fait penser à un artifice "littéraire" destiné à accentuer le contraste évident entre les deux personnalités, mais il est regrettable que ce soit au détriment du pape émérite. Il serait d'ailleurs très facile de trouver des arguments qui le démentent: si Joseph Ratzinger avait été aussi "fragile" que le dit Jean-Marie Guénois, il n'aurait jamais pu supporter son rôle à la tête de la CDF pendant plus de 25 ans. Encore moins résister pendant plus de huit ans au harcèlement systématique, intra et extra-ecclésial dont il a été la cible dès le lendemain de son élection. Et il n'aurait pas pris toutes les décisions qui lui ont coûté si cher en termes de "popularité". Des gens qui le connaissent bien, comme Vittorio Messori, ont au contraire souligné son "incroyable capacité de résilience".
Cerise sur le gâteau (!!), Benoît XVI aurait été jusqu'à rater... sa succession!! Comme si elle avait dépendu de lui.
Curieusement, certains "papistes" pointilleux ont cru discerner dans le livre une "insulte" au pape, au prétexte que François est présenté comme "ce que Benoît a combattu: l'esprit du Concile"; et aussi que le qualificatif de "normal" dont il est affublé suggérerait une comparaison peu flatteuse avec un autre François, lui aussi "normal", mais en qui il est très, très difficile de voir un prophète!!

¤ "Un livre différent de tous les autres"
L'ouvrage a un mérite indéniable: venant d'un journaliste catholique qu'on ne peut qualifier de progressiste (c'est un compliment de moi), il prend acte de la rupture avec le prédécesseur, déjà admise, et même proclamée triomphalement, dans le milieu libéral, catholique ou non, mais caché comme gênante chez les plus conservateurs. Il me semble que c'est une première. Et c'est important. Mais il aura fallu un an et demi pour reconnaître ce qui était sous les yeux de chacun dès les tout premiers jours, et qui avait été caché au nom du religieusment (et politiquement) correct, dans le but de protéger l'institution: mais cacher ou maquiller la vérité, c'est aussi contribuer à la dé-formation de l'opinion. C'est une faute.

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PAPE FRANÇOIS, LE GRAND MALENTENDU
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L'autre livre, "Pape François, le grand malentendu", qui vient juste de paraître aux "éditions du Moment" est de la plume de Guy Baret, un journaliste qui avait écrit en 2009 un "Plaidoyer pour Benoît XVI" (cf. benoit-et-moi.fr/2009): plaidoyer à l'époque bienvenu, puisqu'au beau milieu des polémiques sur l'affaire Williamson, la fillette de Recife et les propos sur le préservatif, il fallait une certaine liberté de pensée (je dirais un certain courage) pour prendre la défense de Benoît XVI.
Ici il n'est pas beaucoup question de Benoît XVI, qui apparaît pour ainsi dire à peine en filigrane: précaution qui met l'auteur à l'abri du soupçon d'être "un nostalgique de Benoît" (horresco referens!!).

D'une certaine façon, le livre complète les "blancs" que le livre de Jean-Marie Guénois avaient laissés. L'auteur se concentre sur le décalage entre la créature médiatique et le François qui émerge des gestes et surtout des décisions, et fait le point sur les résistances dans la hiérarchie, les doutes et les interrogations qui commencent à se faire jour parmi les catholiques, discrètement, car le milieu est "légaliste" et "on ne critique pas le pape". Un principe qu'il s'applique d'ailleurs partiellement à lui-même, il faut donc lire le livre un peu entre les lignes.

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Au total, deux livres qui apportent, chacun avec ses limites, un certain vent de nouveauté, dans un paysage éditorial domminé jusqu'à présent par des titres tels que "François, Pape du nouveau monde", "François, le printemps de l'évangile", "François, la divine surprise", "Les révolutions du Pape François" [**], sans compter "François, un pape pour tous"... et j'en passe (encore que le livre de JM Guénois est par certains aspects la synthèse de tout cela).
Pour affiner le diagnostic, rendez-vous, peut-être, après le Synode, ou plutôt après l'exhortation apostolique post-synodale.
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(*)
>> Pape François, le grand malentendu
>> Jusqu'où ira François ?

(**) Cité par Guy Baret (page 149)

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