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Faire connaître François, mais pas l'idéologiser

Quand un vaticaniste italien d'expérience se pose des questions (10/7/2014)

     

Raffaella (voir ici, y compris les intéressants commentaires) signale un article du vaticaniste Gian Franco Svidercoschi, sur le site korazym.org.
Né en 1936, ce dernier a travaillé à l'OR, et il est le co-auteur avec Stanislaw Dziwisz du livre "Une vie avec Karol".
Raffaella précise qu'il a toujours été critique envers Benoît XVI (je lui fais absolument confiance!), mais elle note que lui aussi commence à se poser des questions. Mieux vaut tard que jamais.

Stefania Falasca, la journaliste dont il est question, est citée par Sandro Magister, à propos d'un article d'octobre 2013, déjà dans l'Avvenire, où, commentant une des fameuses homélies matinales, elle avait cru bon, pour défendre "son" Pape, de s'en prendre aux "spécialistes du logos", allusion à peine voilée au Pape émérite; Sandro Magister la définissait comme "exégète et amie de longue date" du Pape François, ce que confirme cet autre article paru sur Il Giornale au lendemain de l'élection de mars 2013.
L'article en cause ci-dessous est à lire ici: www.avvenire.it/Commenti/Pagine/la-luna-si-fa-vicina.aspx

     

«FAIRE CONNAÎTRE FRANÇOIS, MAIS PAS L'IDÉOLOGISER»
9 juillet 2014
Gian Franco Svidercoschi
http://www.korazym.org/16108/far-conoscere-francesco-non-ideologizzarlo/
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Ces jours-ci, j'ai lu et relu à fond l'Avvenire du vendredi 5 Juillet, espérant à chaque fois effacer les questions, les doutes qui surgissaient en moi. Et comme je n'y suis pas parvenu, et que ces questions et ces doutes se sont amplifiés, j'ai ressenti le besoin de les exprimer, de les partager avec d'autres (...) dans la conviction que dans l'Eglise du Pape François, il y a à nouveau (?) place pour la liberté et la confrontation des idées.

Je vais au problème. L'occasion immédiate de l'article était la visite imminente du Pape en Molise. Mais à partir de là, l'auteur, Stefania Falasca a saisi l'occasion pour élargir le discours. Et écrire que les visites et les voyages pastoraux de François représentent essentiellement «la forme d'un sensus Ecclesiae étranger au projet d'une Eglise protagoniste, visant à attester et à réaliser elle-même aussi sa propre importance dans l'espace géopolitique».

Ces voyages de la cercania, de la proximité, conduisent également à faire émerger - poursuit Stefania Falasca - combien «l'approche actuelle de l'Eglise aux urgences du temps réel et aux scénarios globaux prend silencieusement congé de toutes les lignes de la pensée ecclésiastique qui dessinent ou ont dessiné dans le passé l'Eglise comme entité géopolitique pré-constituée ... ».

La langue est quelque peu cryptique (Svidercoschi est trop indulgent: c'est du jargon pédant et abscons), mais l'allusion est claire. C'est une critique des pontificats immédiatement précédents, ou au moins de la stratégie «géopolitique» qui au cours de ces pontificats, auraient caractérisé une des plus grandes nouveautés du ministère de l'évêque de Rome, représentée précisément par les visites et les voyages pastoraux. Comme pour dire, en somme, que les papes auraient commencé à monter dans les avions, à voyager à travers le monde, avant tout pour «acquérir des marges d'influence concurrentes des pouvoirs en place" (toujours selon la Svidercoschi).

Mais une telle critique est-elle juste? A-t-elle vraiment un fond d'objectivité? Relisons l'histoire de ces années.

Peut-on accuser de Paul VI l'«inventeur» des voyages en dehors de l'Italie, et qui les a pensés précisément en fonction de ce qu'indiquait le Concile Vatican II, et donc d'une Eglise qui a montre dans les faits comment vivre vraiment et visiblement sa propre catholicité, et ainsi sortir des «enceintes sacrées», s'ouvrant authentiquement à tous les peuples, à toutes les cultures - comment peut-on l'accuser de s'être mis à voyager, non pas pour sa profonde anxiété missionnaire, évangélique, mais pour réoccuper les espaces de ce pouvoir que l'Eglise avait perdu à l'époque des Lumières?

Peut-on accuser Jean-Paul II, qui a fait sept fois le tour de la terre pour apporter l'Evangile à tous les coins de la planète, et qui considérait comme ses visites comme des pèlerinages au «sanctuaire vivant du peuple de Dieu», et qui a réssi de cette manière à renforcer les Église locale et simultanément à redimensionner le centralisme romain, et à prononcer des paroles de liberté à la fois dans les régimes de droite et de gauche - comment peut-on l'accuser de néo-temporalisme, lui qui devant le Parlement européen rejeta à jamais la tentation de revenir au vieux fondamentalisme religieux?

Peut-on accuser Benoît XVI, qui, bien que peu enclin à voyager, a développé cette nouvelle dimension du ministère pontifical comme signe de solidarité et de proximité avec les gens, de témoignage personnel, comme lors des nombreuses rencontres avec des victimes d'abus sexuels par une partie du clergé - comment peut-on l'accuser d'objectifs géopolitiques, lui qui est allé dans les plus prestigieuses, et souvent aussi hostiles, institutions laïques, non seulement pour recoudre le dialogue entre la foi et la raison, mais encore plus pour parler de Dieu à la conscience de l'homme moderne?

Et ici, nous revenons à la question: était-ce une critique juste? Une critique objective? Ou ne se ressentait-elle pas du vice typiquement italien (1), selon lequel un pape, à peine élu, doit nécessairement être opposé à son prédécesseur, ses prédécesseurs? Ou ne se ressentait-elle pas, cette critique, du nouveau climat de conformisme que l'on perçoit partout, différent de celui d'avant qui voulait tout passer sous silence, mais n'en est pas moins dangereuse, parce qu'elle risque de faire du Pape François une sorte de mythe, de super-héros?

Ces laudatores-à-tout-prix ne semblent pas se rendre compte qu'au lieu d'aider le Pape François, ils lui créent davantage de difficultés.
Première considération à faire pour l'instant, parce qu'ils peuvent, même involontairement, rendre de moins en moins perceptible ce sentiment de continuité qui, malgré des hauts et des bas, traverse l'histoire de l'Église, au moins depuis l'ouverture de Vatican II jusqu'à aujourd'hui.
Et ensuite, deuxième considération, ils peuvent amener beaucoup de gens à croire désormais en un François «faiseur de miracles», c'est-à-dire prêt aux réformes les plus hasardeuses, avant de lui tourner le dos demain, quand François devra nécessairement rappeler que la miséricorde de Dieu est certes infinie, mais ne peut renoncer à marquer les limites entre le bien et le mal. (c'est ce qui est annoncé depuis plus d'un an: nous verrons...)

Et c'est pourquoi, en particulier en ce moment, il est nécessaire de faire connaître les paroles de François, ses paroles réelles, et non pas de les idéologiser (2).

Notes

(1) Gian Franco Svidercoschi ne doit beaucoup lire la presse étrangère!
Par ailleurs, il saute aux yeux que les passages de témoin: (a): Jean-Paul II -> Benoît XVI; (b): Benoît XVI -> François, sont aux antipodes! Je ne vais pas me répéter, et j'imagine que mes lecteurs n'ont pas besoin de dessin.

(2) Connaître ce que dit François... même sans passer par le filtre journalistique (donc en se référant uniquement au site du Saint-Siège, comme je m'efforce de le faire) peut quand même souvent laisser perplexe.
Ecouter François en direct, comme dans cette video signalée par Yves Daoudal, à propos "d'une visite strictement privée à un ami connu à Buenos Aires en 2006, le Pasteur évangélique Giovanni Traettino et à son église de la Réconciliation", près de Naples, le 26 juillet prochain (VIS)... ne va pas forcément confirmer les catholiques dans la foi.

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