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Jean Guitton et Paul VI

Anne m'envoie un extrait du livre de Jean Guitton "Un siècle, une vie" paru en 1988: il est question du déchirement du Pape à propos d'Humanae Vitae (15/10/2014)

On sait que Jean Guitton (1901-1999) fut l’ami et le confident de Paul VI pendant 27 ans. Une grande partie du livre lui est consacré.

Inutile de dire que ce passage est d'une grande actualité.

     

De nos jours les problèmes posés par la sexualité et la contraception sont tombés dans le domaine public. Ils ont occupés Paul VI d’une manière dramatique.

On se souvient de son encyclique Humanae vitae, dans laquelle il prenait position contre ce que nous appelons « la pilule ».
Il s’était rendu compte que cette encyclique engageait sa popularité. S’il avait « délivré » les ménages chrétiens de ce problème, il aurait aussitôt acquis pour l’histoire le prestige d’un pape « libérateur ». Il lui était facile –plusieurs le lui conseillaient – de résoudre les cas de conscience conjugaux comme l’avait fait l’Eglise anglicane, en disant que le Christ n’avait rien à dire sur le problème des moyens de contraception, qu’il fallait laisser aux médecins le soin de les résoudre dans les cas particuliers.

Je fus témoin du déchirement de sa conscience. Je compris qu’il avait choisi la solution la plus difficile, celle qui consiste à ne pas rabaisser la morale jusqu’aux mœurs, mais à tenter d’élever les mœurs jusqu’à la hauteur de la morale.
Il y avait, à ses yeux, une différence immense entre « ce qu’on fait », « ce qu’on fait bien », « ce que tous font » et « ce que l’on doit faire ».
Il pensait que, même si l’idéal n’était jamais pratiqué par les hommes, il était lâche de ne pas l’inscrire sur des tables de pierre, comme Moïse ; que les autres n’avaient pas les mêmes devoirs que celui qui était au sommet, seul devant Dieu ; que les casuistes, les jurisprudents appliqueraient la loi aux cas, mais que le pape trahirait, s’il ne rappelait pas la loi, celle de la raison, celle de l’Eglise. Je répète que ce devoir lui fut une croix ; il savait qu’il allait perdre ce à quoi sa nature si aimante, si avide d’être aimée, était avide : la popularité.

Après l’encyclique, je le revis et il me dit : « J’ai des regrets ; je n’ai pas de remords. » Et il poursuivait : « Vous allez voir que les évêques vont mettre à mes paroles certaines restrictions. Ils ne m’abandonneront pas ».
(….)
« Je sais bien que beaucoup de savants (et même de moralistes) accepteront « »la pilule » au nom de la liberté. Quant à moi, je ne suis pas obligé, en tant que responsable de l’immense famille humaine, de respecter l’opinion. J’ai la charge de l’humanité future. Il faut bien que vous compreniez que si l’homme accepte de dissocier dans l’amour le plaisir et la création, si la femme, ajustant un appareil ou prenant une drogue, devient pour l’homme un objet, alors on ne voit pas comment le mariage monogamique ne serait pas un beau jour déconsidéré, comment l’humanité ne serait pas dénaturée par le principe du plaisir. »
Il ajoutait : « Je pense que mon encyclique apporte un certain salut, non pas un arrêt de mort, mais au contraire l’arrêt de la mort, c’est-à-dire la voie vers la vie. Et qu’importe que je ne sois pas suivi, et que même à la fin je sois presque seul ? »

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