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La bataille du Caire

Il y a tout juste 20 ans se déroulait au Caire la Conférence internationale sur la population et le développement. Riccardo Cascioli, à la veille du Synode sur la famille, note la capitulation d'une grande partie du clergé sur le thème de la famille et de la loi naturelle (8/9/2014)

>>> Pour les courageux, le rapport final de 200 pages est à télécharger ici.

     

LA BATAILLE DU CAIRE QUE L'EGLISE EST EN TRAIN DE PERDRE
Riccardo Cascioli
08/09/2014
http://www.lanuovabq.it
(ma traduction)
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Il y a vingt ans jour pour jour, une bataille faisait rage au Caire, destinée à avoir de graves répercussions internationales.
La bataille s'est déroulée à l'intérieur d'un grand centre de conférence et on n'a pas utilisé d'armes à feu, mais l'affrontement - de dimension mondiale - n'en était pas pour autant moins grave: elle était autour de la reconnaissance ou non du droit à l'avortement, et de l'avortement comme méthode de contrôle des naissances, une petite chose de 50 millions de morts par an.
Nous parlons de la Conférence internationale de l'ONU sur la population et le développement (5-14 Septembre 1994).
Il y avait deux camps principaux: l'un était mené par les Etats-Unis (avec l'Union européenne agissant en tant que principal soutien), dont le président Bill Clinton avait pris soin, en vue de la Conférence du Caire, d'envoyer un message à tous les chefs de gouvernement à travers le monde pour expliquer que les politiques de contrôle des naissances étaient une priorité de la politique étrangère des États-Unis (à bon entendeur ...). Si l'on considère qu'aujourd'hui le président Barack Obama a fait quelque chose de similaire pour promouvoir le mariage homosexuel dans le monde, nous comprenons aussi la continuité des administrations démocrates américaines.

A s'opposer aux États-Unis, il y avait le Saint-Siège - le chef de la délégation était le cardinal Renato Raffaele Martino, alors observateur permanent à l'ONU à New York - inflexible dans la défense de la dignité de l'homme et de la valeur de la famille, «le patrimoine le plus originel et le plus sacré de l'humanité», comme l'avait dit le Pape Jean-Paul II pour expliquer l'intérêt de l'Église dans cette bataille. Ce n'est pas par hasard qu'au Saint-Siège se joignirent de nombreux pays du Sud, parce que les pauvres sont les premières victimes du mouvement pour le contrôle des naissances.

Les enjeux étaient très élevés et la chronique de la bataille remplit les pages des journaux du monde entier. A la fin, le Saint-Siège remporta deux victoires non négligeables: la tentative de redéfinir le concept de famille, le transformant en «familles» fut rejetée, et dans le Programme d'action, il fut clairement écrit que l'avortement ne peut pas être considérée comme une méthode de planification familiale. Et malgré les tentatives successives - qui continuent encore aujourd'hui - d'intervenir sur ce point, cette clause tient encore, et aucun document international ne peut à ce jour se réclamer d'un prétendu droit à l'avortement.

Néanmoins, nous devons reconnaître que le Caire a été un tournant pour les politiques de contrôle des naissances: c'est là qu'a été établi pour la première fois que les programmes de contrôle de la population entraient de plein droit dans les politiques de développement, de sorte que par exemple la Banque mondiale se sent depuis lors libre d'imposer des conditions jusqu'alors «suggérées» en coulisses aux pays pauvres: celui qui veut un prêt doit s'engager à réduire les taux de fécondité (contraception, la stérilisation et ainsi de suite). Mais surtout, une énorme quantité de fonds ont été détournés sur les programmes de contrôle des naissances, qui ont pris depuis le nom plus attrayant et moins colonialiste de «services de santé oeproductive», favorisant la naissance de nombreuses organisations non-gouvernementales qui se sont affirmées au cours des dernières années comme le bras opérationnel des intérêts des cercles d'élites qui influencent les gouvernements occidentaux.

Jusque-là, les États-Unis finançaient pour trois quarts tousles programmes sur la population dans le monde, y compris le budget du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), qui avait, entre autre, organisé la Conférence du Caire. Avec l'approbation du Programme d'action, il y eut un engagement économique de tous les pays occidentaux et la multiplication des canaux - y compris privés - à travers lesquels convergent faire converger l'argent dans le but de réduire la population du monde, ou du moins de ralentir sa croissance. Au point qu'aujourd'hui, il est pratiquement impossible de déterminer exactement combien d'argent va à des programmes qui diffusent la contraception et l'avortement à travers le monde (ndt: R. Cascioli a écrit un ouvrage à ce sujet, Il Complotto demografico, 1996).

Ces vingt années ont ainsi vu avancer la machine pour le contrôle des naissances, allant de pair avec la pression de plus en plus forte pour reconnaître l'avortement comme un droit humain. Sans oublier que l'avancée idéologique du genre reçut au Caire également son «baptême», même si la tentative d'insérer déjà dans le programme d'action la définition de cinq genres pour remplacer le sexe biologique a été rejetée (du reste, le lien entre le contrôle naissance et la promotion de l'homosexualité est facile à comprendre).

Le monde - en particulier l'Occident - est donc devenu beaucoup plus comme l'imaginaient les forces qui avaient frappé fort àla Conférence du Caire. Ce qui était peut-être moins prévisible, c'est que dans ces vingt années, un changement radical a également eu lieu dans l'Eglise catholique, dans le sens d'une perte retentissante des raisons de défendre l'homme - à l'image et à la ressemblance de Dieu - et d'un ajustement à la mentalité du monde.

Pendant des mois, durant la préparation de la Conférence du Caire, alors que le dessein anti-humain prenait consistance, Jean-Paul II s'est battu sans relâche pour empêcher que l'on parvienne à détruire la vie et la famille par un document de l'ONU qui serait signé par tous les Chefs d'Etat et de gouvernement. Et ensuite, justement dans l'année que l'ONU avait décidé de consacrer à la famille, il écrivit une lettre à tous les chefs d'État du monde et au Secrétaire général de l'ONU leur rappelant que la Conférence du Caire avait emprunté une mauvaise route, qu'il y avait une tentative de manipulation de la famille qui serait destructrice pour l'ensemble de la communauté humaine. Il écrivit une lettre très sévère à Nafis Sadik, la pakistanaise à la tête du FNUAP et grand maître d'oeuvre de la Conférence du Caire. Mais surtout, il prit la peine d'expliquer à tout le peuple les raisons de ce qu'aujourd'hui certains cattoliconi qualifieraient péjorativement de «croisade».

Il utilisé d'une manière particulière l'Angélus, pour proposer dimanche après dimancher une catéchèse sur la famille, mais aussi sur la loi naturelle, sans lequel on ne comprend pas la raison d'un engagement aussi radical. Il disait, par exemple, le 19 Juin: «La famille est la cellule fondamentale de la société. Elle repose sur la base solide de cette loi naturelle commune à tous les hommes et toutes les cultures. Il est urgent de prendre conscience de cet aspect. Souvent, en effet, l'insistance de l'Eglise sur l'éthique du mariage et de la famille est mal comprise, comme si la communauté chrétienne voulait imposer à toute la société, une perspective de foi valable seulement pour les croyants (...). En réalité, le mariage, comme union stable d'un homme et d'une femme qui s'engagent au don de soi réciproque et ouvert à la génération de la vie, n'est pas seulement une valeur chrétienne, mais une valeur originelle de la création. Perdre cette vérité n'est pas un problème seulement pour les croyants, mais un péril pour toute l'humanité».

C'est justement cette vérité qui semble au contraire avoir été en grande partie perdue dans le monde catholique, bien que les Papes se soient efforcés de la rappeler. Quelques faits récents sont là pour le prouver: le premier est la «Charte du courage», rédigée par 3000 scouts italiens, un vrai document programmatique présenté en Août dernier. Dans le chapitre consacré à l'amour, les scouts parlent de famille «comprise comme n'importe quelle cellule de relations basées sur l'amour et le respect», et demandent à l'Eglise de «se remettre en cause, et de réévaluer les questions de l'homosexualité, de la cohabitation et du divorce». Ce sont des affirmations qui, avant les jeunes, interrogent sur le type d'enseignement et le témoignage que les adultes leur ont transmis.

Plus surprenant encore , des positions accomodantes faisant autorité ont été formulées lors du récent Meeting de Rimini (de Communion et Libération), où - par exemple - lors de la rencontre consacrée aux «nouveaux droits», la loi naturelle - autrement dit «la loi écrite par le Créateur dans la nature humaine», sans laquelle parler de «nouveaux droits» n'a même pas de sens - a été totalement ignorée. La «nouveauté» des droits, en effet, ne se réfère pas tant à la donnée chronologique (synonyme de «la plus récente») qu'à celle ontologique (ils se substituent à la loi naturelle qui est au cœur de chaque homme). Ainsi, à Rimini, on a été jusqu'à valoriser les «nouveaux droits» et à théoriser l'inutilité, voire la nocivité, de batailles pour la défense de la famille.

Il suffirait de comparer ces positions avec celles exprimées à l'époque par Jean-Paul II pour comprendre ce qui s'est passé durant ces vingt années.

Et à présent, nous sommes à la veille d'un Synode spécial sur la famille, dont la préparation a mis en évidence une fois de plus combien une partie non marginale de l'Eglise - qu'on me permette cette expression - a déserté et est passé à l'ennemi. Au lieu de se soucier d'offrir au monde le témoignage de la beauté d'une vie matrimoniale et familiale vécue selon la nature, nous assistons même à une attaque contre la nature même du mariage, déguisée en sollicitude pastorale et soutenue par des cardinaux éminents.

Ce qui revient à dire que «l'urgente nécessité de prendre conscience» du sens de la famille et de la vie, que Jean-Paul II a vu il y a vingt ans, est aujourd'hui encore plus actuelle pour les catholiques et pour quiconque a la vérité à coeur. Parce que l'enjeu n'est pas seulement la morale catholique, comme certains voudraient nous le faire croire, mais la survie de notre propre société.

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