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La colère d'Antonio Socci

Le journaliste s'insurge contre ce qu'il voit comme les non-dits de l'Eglise (et de François) dans le massacre des chrétiens en Irak. Plus que cette colère, c'est son auteur qui interpelle (12/8/2014)

     

Dans un de ses derniers billets, Sandro Magister s'interrogeait sur Les étranges silences d’un pape si loquace:
Il soulignait en particulier l'attitude de François vis-à-vis du monde musulman: «prière, appels à la paix, condamnations générales de ce qui se fait de mal, mais très grande attention à se tenir à distance des cas particuliers impliquant des personnes précises, que celles-ci soient des victimes ou des bourreaux...».

Ce sont ces "silences" du Pape qu'Antonio Socci dénonce ici avec une virulence étonnante, en s'appuyant sur les mêmes faits que ceux cités par Magister.

Ce n'est pas le contenu qui frappe.
Du reste, il est facile d'imaginer que des gens vont trouver des tas d'arguments prouvant que le pape actuel fait ce qu'il peut, et que ses prédécesseurs n'auraient (n'ont) pas agi différeremment (Voir la réaction d'un catho de gauche).
Le "pompier" Massimo Introvigne est le premier à voler au secours de François... en prenant Benoît XVI comme témoin (cf. "Benoît XVI et l'islam: un magistère à redécouvrir"). Mais c'est oublier la tempête de Ratisbonne, dont Introvigne évacue un peu vite le côté prophétique, laissant de côté le courage du Saint-Père, pour se limiter à citer le NYT, selon lequel - sans surprise - le déchaînement de la haine des musulmans contre les chrétiens serait une des conséquences du fameux discours. Alors qu'en réalité ce sont les médias occidentaux, NYT en tête qui, en manipulant ses propos, ont attisé l'incendie et tenté de baillonner Benoît XVI par la peur.

Donc, ce qui frappe dans cette vigoureuse sortie, c'est l'auteur, plus que le contenu.
Antonio Socci n'est pas un extrêmiste, pas un "neocon", et probablement même pas un traditionaliste. Il a été d'emblée un admirateur bruyant du nouveau pape, même si, au fil du temps, sa position s'est nuancée de critiques en filigrane (n'oublions qu'il est à l'origine de la polémique sur la validité de la démission de Benoît XVI).
Or ici, il est particulièrement pugnace. Qu'on en juge:

* * *

MASSACRES EN COURS DE CHRÉTIENS (Y COMPRIS DES FEMMES ET DES ENFANTS).
Certains, au Vatican, devraient avoir honte devant Dieu et les hommes. VERGOGNA !!!!!!!
10 août 2014
www.antoniosocci.com
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Le drame actuel des chrétiens persécutés voit les laïcs (même des gouvernements anticléricaux comme la France) [je crains qu'Antonio Socci ne se fasse des illusions. Le drame des chrétiens est très éloigné des préoccupations de Hollande, uniquement soucieux de s'aligner sur ses puissants amis américains] presque plus sensibles que le monde catholique et l'Eglise. Où les victimes sont traités avec peu de sensibilité et quelque agacement, tout en usant d'une prudence réticente - c'est-à-dire avec les gants blancs - envers leurs bourreaux.
Deux cent mille chrétiens (mais aussi d'autres minorités) sont en fuite, traqués par les miliciens islamistes qui crucifient, décapitent et lapident leurs ennemis. En ce moment, je reçois des rapports officieux d'atrocités innommables sur des femmes et les enfants (espérons qu'ils ne sont pas vrais).
Considérant ce martyre des chrétiens qui sont marqués comme "Nazaréens", sans droits, chassés, tués, avec les églises brûlées, et la destruction de tout ce qui est chrétien, la voix du Vatican et du Pape - généralement très vigoureuse et interventionniste - a été à peine un léger vagissement.
Sans commune mesure avec son tonitruant «vergogna! Vergogna! Vergogna!» répété cinq ou six fois pour les migrants de Lampedusa, quand par ailleurs les Italiens n'avaient aucune raison d'avoir honte puisqu'ils étaient accourus pour sauver ces pauvres gens dont le bateau avait chaviré et pris feu alors qu'ils étaient en mer.

LA (FAUSSE) NOTE
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Giuliano Ferrara a raison.
Que face à l'horreur qui s'accomplit dans la plaine de Ninive, le Vatican ait accouché jeudi (de surcroît avec un grave retard), d'une simple «note» du père Federico Lombardi, où, au nom du pape, il est demandé à la «communauté internationale» de mettre fin au «drame humanitaire en cours» en Irak, c'est le minimum syndical qui a pour seul objectif de sauver la face.
Egalement parce que c'est beaucoup plus qu'un «drame humanitaire» et rien n'est dit sur ce qui devrait être fait. En outre - note Ferrara - «rien, dans l'énoncé froid, ne dit qui est responsable de ces «événements douloureux». Aucune allusion sur les causes qui ont contraint les «infortunéss communautés» à fuir leurs villages».

Désormais, la force avec laquelle Jean-Paul II a défendu les chrétiens persécutés, c'est du passé, oubié. Tout comme la clarté du grand discours de Ratisbonne de Benoît XVI - qui était une main tendue à l'islam pour une réflexion critique sur lui-même.
L'attitude de l'actuel pontificat est une réticence déconcertante face à des criminels sanguinaires avec qui - d'après les évêques du lieu - il n'y a pas de dialogue possible car contre les chrétiens, eux-mêmes l'ont dit: «il n'y a que l'épée ».
Une réticence qui est désormais devenue une habitude dans l'attitude du pape Bergoglio, qui ne prononce pas un mot pour défendre des mères chrétiennes condamnées à mort pour leur foi au Pakistan ou au Soudan, qui se refuse même à inviter publiquement à prier pour elles; qui, quand il y est forcé, parle toujours de façon générique des chrétiens persécutés, en venant même à affirmer, comme dans l'interview à "La Vanguardia" le 13 Juin: «les chrétiens persécutés sont une préoccupation qui me touche de près en tant que pasteur. Je sais beaucoup de choses sur la persécution, qu'il ne me semble pas prudent de dire ici pour ne pas offenser qui que ce soit».
Pour ne pas offenser qui? Les criminels assoiffés de sang qui crucifient les «ennemis de l'islam»? N'est-ce pas déconcertant?
Il y a des milliers d'innocents dont la vie est en danger, traqués, lacérés, fuyant les assassins, et Bergoglio s'inquiète de «ne pas offenser» les bourreaux?
Pourquoi tous ces égards quand il s'agit du fanatisme islamique? Pourquoi ne même pas oser le nommer? Et pourquoi demande-t-on à la communauté internationale de mettre fin au «drame humanitaire» sans dire comment?

L'EXEMPLE DE WOJTYLA
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Par-dessus tout, le pape pourrait suivre l'exemple de Jean-Paul II. Ce grand pontife avait déjà pensé à développer le concept d'«ingérence humanitaire», il y a vingt ans (c'était en 1992, lors de la guerre en Bosnie): quand on doit empêcher un crime contre l'humanité et qu'il n'y a plus d'autres moyens diplomatiques, la communauté internationale a le devoir d'une intervention militaire ciblée et proportionnée pour éviter que soient perpétrées les horreurs qui se profilent.
Il suffit à Bergoglio de répéter ce principe qui a déjà été mis en œuvre au niveau international.
D'ailleurs, ce sont les évêques de ces terres qui disent qu'il le faut: «Je crains qu'il n'y ait pas d'alternative en ce moment à l'action militairet, la situation est hors de contrôle, et de la part de la communauté internationale, il y a la responsabilité de n'avoir rien fait pour prévenir ou faire cesser tout cela», a déclaré Baschar Matti Warda, l'archevêque d'Erbil située dans la ligne de front, immergé dans le drame.
C'est trop commode - de la part de certains catholiques - de lancer des accusations génériques contre l'Occident, contre le «silence coupable» (de qui?), quand depuis des années, parmi les notables catholiques, on évite soigneusement de dénoncer les fanatiques islamistes par leurs noms et prénoms, quand on prend soin de souligner que le leur n'est pas le vrai Islam (qui, comme on le sait, est un lit de roses), quand jamais, on ne rappelle vigoureusement le monde islamique à l'obligation de respecter les minorités chrétiennes et qu'on évite de reclamer une action concrète de la communauté internationale pour mettre fin au massacre.

DU SANS PRÉCÉDENT
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Du reste, non seulement Bergoglio n'a pas demandé d'ingérence humanitaire, mais il n'a pas non plus lancé d'opération humanitaire de secours ou d'initiatives de solidarité au niveau international, impliquant le vaste monde catholique. Et l'activation de la diplomatie a été elle aussi tardive.
Dimanche dernier, lors de l'Angélus, il n'a pas dit un seul mot sur la tragédie en cours et a même gardé le silence sur l'initiative de l'Eglise italienne qui a appelé à une journée de prière en faveur des chrétiens persécutés pour le 15 Août.
Même prier pour les chrétiens persécutés serait-il «offensant» pour les musulmans?
Au moins, la prière des évêques italiens sera une prière chrétienne vraie et sérieuse. On ne reverra pas l'imam qui, invité au Vatican pour l'initiative de paix le 8 Juin avec Abbas et Shimon Peres, a chanté un verset du Coran où Allah est invoqué en disant «donne-nous la victoire sur les infidèles».
Presque un hymne à la «guerre sainte» islamique dans les jardins du Vatican. Un incident sans précédent. A la prière organisée par la CEI, cela ne se produira pas.
A présent, on attend au moins du pape que tôt ou tard, il se joigne à l'initiative des évêques, peut-être en répétant la prière sur la place Saint-Pierre pour la paix en Syrie, qui, comme on s'en souvient, combinée avec la diplomatie, eut effectivement un effet positif.
Une activation de toute la chrétienté, pour des initiatives d'aide et de solidarité envers les persécutés, serait également souhaitable .
Mais il semble que ce n'est pas dans l'air. On a l'impression de revenir à l'égarement des sombres années 70, à la subordination idéologique des chrétiens, à l'obscurité qui n'a été dissoute que par l'irruption du grand pontificat de Jean Paul II.

Antonio Socci

     

Benoît XVI dérange encore beaucoup....

(1) Je lis à l'instant sur le site du Huffington Post la réaction du journaliste catholique progressiste italo-américain Massimo Fagioli (pour le situer, voir benoit-et-moi.fr/2013-III/actualites/le-pape-qui-demythifie-les-papes): elle montre à quel point Benoît XVI continue à déranger, et même quelle hostilité (haine?) tenace il suscite encore parmi les soutiens François. En gros, celui-ci n'aura vraiment les mains libres que lorsque son prédecesseur ne sera plus.
Très longue vie à Benoît XVI!!!
Sous le titre, LE «SILENCE» DU PAPE FRANÇOIS ET LA MAUVAISE CONSCIENCE DES CATHOLIQUES NÉOCON, il ose écrire:

Parmi les cercles néo-conservateurs et les journalistes catholiques italiens de renom, l'accusation au pape François de garder le silence ou d'aquiescer face aux persécutions dont sont l'objet les chrétiens (catholiques ou non) et d'autres minorités religieuses en Irak, augmentent en volume et en agressivité verbale.
(...)
Il est clair que l'embarras de l'Eglise catholique face aux massacres en Irak est similaire à l'embarras des Américains face aux convulsions de ce pays «refondé» par la guerre souhaitée par la présidence Bush-Cheney. Obama ne peut pas répondre des désastres causés par l'administration précédente. D'une manière similaire, le pape François ne peut pas répondre des désastres causés par les groupes de pensée et de pression néo-conservateurs, dont l'ascension coïncide avec le pontificat de Benoît XVI.
Les catholiques et les observateurs dotés de mémoire et de conscience peuvent (et à mon avis doivent) inviter au silence et à un examen de conscience les accusateurs du «silence» du Pape François en Irak. Ce sont des cercles qui ont souvent réussi à imposer à Benoît XVI leurs propres manipulations idéologiques sur la question de l'islam: le monde n'a pas oublié la honte (!!!) du baptême de Magdi Cristiano Allam à Saint-Pierre au cours de la veillée pascale de 2008.
Quoi que François pense du pontificat de Benoît XVI, il est clair que le pape élu après la démission de son prédécesseur doit observer des mesures de prudence extraordinaires quand il s'agit de l'héritage du pontificat précédent (!!!). L'Eglise catholique est encore en train de faire ses comptes avec la transition de 2013; nous avons tendance à considérer l'acte de démission du pape Benoît XVI comme un événement qui a déjà eu lieu, qui est passé: en réalité, Benoît XVI est encore en vie et la démission en Février 2013 continue à se produire.

Les persécutions anti-chrétiennes et contre les minorités religieuses en Irak et dans beaucoup d'autres pays du Moyen-Orient sont la facture présentée au christianisme pour l'histoire de relations inter-religieuses complexes.
(...)
S'il y a un silence du pape François, ce n'est certes pas un silence sur ce qui se passe au Moyen-Orient. Celui du Pape est un silence - plein de charité, mais aussi de prudence - vers les idéologues du catholicisme néo-conservateur et leur fausse conscience.
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