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La grève des balais

Pour illustrer le dilemne doctrine contre pastorale, voici, découverte par Carlota, une parabole pleine d'humour de don Jorge Gónzalez Guadalix, le curé madrilène désormais bien connu de mes lecteurs (23/9/2014).

Original ici: infocatolica.com...

     

Le Père Jésus (prénom espagnol très courant et ici le nom du prêtre de l’histoire) n’avait jamais vu de toute sa vie de curé une église plus propre et organisée que celle de son petit village. Rafaela, Joaquina, María et les autres étaient parfois quelque peu enquiquinantes mais il fallait en vérité reconnaître que l’église paroissiale faisait envie tant pour la propreté que pour l’ornementation. Vous savez bien comment sont ces femmes quand elles s’y mettent : des nappes d’autel impeccables, pas un petit grain de poussière, les fleurs justes comme il faut et parfaites…

C’est pour cela qu’un jour le Père Jésus fut tout étonné de se retrouver avec des fleurs à moitié fanées dans un vase.
Bah, pensa-t-il quelque peu dérouté.
Mais quand il vit que les linges liturgiques s’entassaient sans être lavés ni repassés (*), que les nappes n’étaient pas changées malgré quelques taches de cire et que les burettes restaient collés dans la soucoupe, cela lui fit commencer à se creuser un peu plus les méninges.

Mais ce qui le fit sursauter et déclencha pour lui la sonnette d'alarme, ce fut d’observer d’énormes moutons (évidemment de poussière !) qui campaient à leur aise sous les bancs, et qui ne respectaient même plus le presbytère. En quelques semaines sa petite église, exemple d’ordre et de soin, s’était transformée en vaisseau amiral de la paresse.

« Rafaela, dit tout doucement Monsieur le Curé, il faudrait peut-être donner une petit coup de balai à l’église… »

Les femmes n’attendaient que cela: «Vous croyez qu’à Dieu cela lui importe beaucoup si l’on dit la messe avec un linge propre ou déjà utilisé, et les fleurs c’est mieux ou moins bien que les moutons qui volent partout? L’autre jour vous nous l’avez expliqué au cours de la réunion, quand nous vous avons demandé pourquoi vous célébriez la messe sans mettre la chasuble. Vous nous avez dit de réfléchir si nous pensions que cela importait beaucoup ou un peu à Dieu, et aussi que pour la dernière cène, Jésus n’avait pas utilisé de chasuble, c’est là qu’est le problème. Eh bien, quoiqu’au début cela nous a semblé un peu étonnant, le fait est qu'en y pensant ensuite à la maison, nous avons vu que cela ne manquait pas de raisonnement et qu’en l’appliquant pour nous, nous ne croyons pas non plus que cela importe beaucoup à Dieu si nous balayons l’église chaque semaine ou pas, et que par ailleurs, je ne crois pas dans la montagne de béatitudes l’on passe le balai tous les jours. C’est ainsi que nous en avons décidé, si à Dieu cela lui importe peu, et puisque balayer ils le faisaient peu, nous n’allons donc pas nous autres faire plus de manières que les apôtres».

Et l’on cessa de passer le balai.

« Mais Rafaela - répondit le curé - voyons, ne vous mettez pas dans tous vos états, même si à Dieu cela ne lui importe pas beaucoup, les gens qui vont à la messe aiment une église propre, et des linges liturgiques qui viennent d’être repassés».

« Bien sûr, reprit la dame, que les gens aiment que l’on célèbre la messe comme le commande l’Église (**) et non comme cela vous vient à l’esprit à vous, ce que l’on voit ce n’est pas la même chose».

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Notes de traduction
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(*) Les linges liturgiques comprennent le corporal, un grand ligne où sont placés les vases sacrés lors de la messe et qui est placé de telle manière qu’il protège, en se fermant les miettes d’hosties consacrées ; le purificatoire qui sert à essuyer les vases sacrés après usage ; et le manuterge avec lequel le prêtre célébrant s’essuie les mains lors du rite du « lavabo ».
(**) L’eucharistie, un dogme catholique, puisque c’est au cours de la cérémonie de la messe dite par un prêtre ordonné qu’il y a consécration du pain (hostie) et du vin, en corps et sang du Christ et le Mystère de la Transsubstantiation. Les linges liturgiques (le corporal) doivent d’ailleurs être lavés selon une procédure particulière au cas où il resterait des minuscules parcelles d’hostie consacrée. Si l’on ne connaît pas la doctrine, comment peut-on suivre une pastorale ? Là est bien la question. Si l’on change la pastorale, il parait difficile de ne pas changer la doctrine. Mais là c’est impossible, où alors l’église ainsi conçue, n’est pas plus l’Église, et l’on en revient bien à la question initiale. La doctrine guide la pastorale et la doctrine c’est celle qui guide l’Église depuis des siècles. Mais peut-être que je suis comme Rafaela et que je comprends mal. Bon, je sens que j’ai besoin d’aller donner un bon coup de balai dans l’église, cela évitera que je m’énerve inutilement.

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