Accueil

La lettre de Jeannine du 7 juillet

Un regard sans concession sur les changements d'emploi du temps du Pape et les libertés avec le protocole (8/7/2014)

     

Chère Béatrice,


Je me tiens au courant de l'actualité papale mais de façon très décontractée. J'ai épuisé pour Benoît XVI mon capital d'empathie et d'inquiétude pendant ses huit années. Etant donné ce qui est rapporté sur l' heureux caractère de "François l'Argentin" par quelqu'un qui a poussé le zèle jusqu'à se rendre en Argentine pour y recueillir des témoignages d'amis remplis de précisions fiables, je suis celle qui pense que rater des RDV, mépriser par la même occasion ceux qui ont tout organisé, n'obéir qu'à son bon vouloir, est un jeu pour lui. Les enfants, qui ne veulent pas aller à l'école le matin, ont mal au cœur, mal à la tête ;  avec un peu d'autorité de la part des parents tout finit par rentrer dans l'ordre; François fait comme eux mais à son âge et avec son tempérament ce n'est pas lui qui changera. Il n'est plus en Argentine mais au Vatican.

Qu'il soit fatigué me paraît normal, mais qu'il persiste à continuer de travailler comme si les années ne passaient pas, relève uniquement de sa liberté de décision. J'écoute mon corps et lorsqu'il me crie "casse-cou" je sais ce que je dois faire. Mais qui suis-je pour comprendre ce pape, les signes qu'il dit recevoir?

Je me suis amusée à relever avec commentaires de ma part les dates qui posent problèmes au point de vue de la politesse, de la correction, du simple savoir-vivre sans parler du respect des obligations liées à une charge, l'humilité pour moi :

PETITS ARRANGEMENTS AVEC L'AGENDA PAPAL
--------

22 juin 2013 :
la chaise de François pour le concert pour l'année de la foi reste vide. Travail très important à assurer avec les diplomates rassemblés autour de lui. Ces hommes sont rompus à toutes les situations et j'ai la faiblesse de croire qu'ils n'auraient pas été choqués si le pape leur avait demandé de faire un break, justifié par une autre obligation, pendant ce temps de travail intense.

28 février 2014 : annulation de la traditionnelle visite à ses séminaristes. Le mauvais temps a été la cause donnée par le Père Lombardi mais la matinée avait été meublée d'obligations auxquelles il ne s'était pas soustrait. Il paraît que Saint Ignace de Loyola recommande de suivre son médecin, ce qu'il s'empresse de faire.
J'ai en tête la dernière visite de Benoît XVI à ses séminaristes le 8 février 2013. Comment ne pas avoir retenu l'accueil chaleureux, détendu des 190 séminaristes présents, venus du monde entier, l'ensemble en soutanes noires était saisissant. Une tâche blanche, le Saint-Père, fatigué, saluant depuis son estrade mobile au fur et à mesure qu'il passait devant les visages souriants tendus vers lui, humble comme à son habitude et il parlait d'optimisme!! Une lectio divina donnée à trois jours de la renonciation, toujours aussi fouillée, aussi précise avec les mêmes gestes des mains pour souligner ses propos commentant le texte choisi. Le cardinal Vallini à ses côtés paraissait boire ses paroles. Dans l'assemblée silencieuse, écoutant avec des visages graves parfois éclairés d'un sourire, certains paraissaient dépassés par la profondeur des propos et la somme des connaissances livrées par ce pape âgé qui était pénétré de ce qu'il présentait avec son cœur, son intelligence. L'applaudissement final a été un triomphe. Cerise sur le gâteau, comme les autres années, Benoît XVI a diné avec eux dans leur réfectoire.

15 mai 2014 : annonce du report de la visite au Divin Amour fixée pour le 18 mai. Aucune date ultérieure n'a été évoquée. Compte-tenu du voyage en Terre Sainte était-il raisonnable de prévoir un déplacement si proche? Un meilleur timing aurait pu éviter cette annulation de dernière minute, comme quoi l'organisation au Vatican, même avec beaucoup d’intervenants, n'est pas parfaite mais elle ne peut pas prévoir les changements d'humeur de l'évêque de Rome.!!

16 mai 2014 : léger rhume, décision de se reposer après la messe du matin et suspension de tous les RDV de la journée.
Là je repense à Benoît XVI le 8 décembre 2012 pour l'hommage à l'Immaculée place d'Espagne. Un temps épouvantable, je revois encore notre Pape Benoît tassé dans son fauteuil, épuisé, le visage amaigri, creusé par la fatigue, mais présent jusqu'au bout. Je n'avais qu'une hâte : que la cérémonie se termine et qu'il puisse regagner ses appartements pour se reposer. Il n'avait pas récupéré pendant les vacances et l'épuisement et l'amaigrissement s'installaient de plus en plus, ajoutant à mon affectueuse inquiétude.

8 juin 2014 : dimanche de Pentecôte : j'ai retenu que l'Eglise est appelée à "semer" la pagaille (pour moi c'est dangereux car la pagaille risque d'échapper au contrôle) sinon sa place est "en service de réanimation"; il faut se faire à ce genre de propos mais pour moi ce n'est pas lumineux, m'explique qui peut.

9 juin 2014 : indisposition du pape; messe de 7h dite puis RDV suspendus pour la fin de la matinée mais il donne une longue interview à La Vanguardia.

10 juin 2014 : messe du matin non assurée.

19 juin 2014 : fête du Saint-Sacrement (Corpus Domini) au rituel bien établi et bien rodé (cf. récit benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/la-procession-du-corpus-domini-orpheline-du-pape). A Saint-Jean du Latran alors que la basilique se vide peu à peu pour former la procession eucharistique traditionnelle, François, impavide, quitte les lieux discrètement et réapparaît tout aussi discrètement à Sainte-Marie Majeure pour le service minimum et se retire dans l'édifice sans un geste, sans un sourire, sans un mot, avec la tête des mauvais jours, même pas un petit rien empreint de sobriété pour remercier ceux et celles qui avaient suivi cette longue cérémonie. À défaut de suivre à pied il aurait pu, entouré de ses cérémoniaires, rester comme le faisait Benoît XVI en prière devant le Saint-Sacrement dans le véhicule. Celui-ci n'hésitait pas à changer de position la dernière année, pour alterner agenouillement et repos sur un siège mais il était présent et été agenouillé pour l'arrivée à Sainte-Marie Majeure. Je suis persuadée que, compte-tenu du coefficient de popularité de François, toute la foule n'était pas venue uniquement par ferveur. Mettre ce soudain besoin de s'effacer pour permettre que cette célébration traditionnelle très suivie retrouve toute son intériorité m'a laissée rêveuse. Benoît XVI savait fort bien se mettre en retrait, souriant, saluant avec discrétion mais s'effaçant derrière la fonction. Je précise que je n'appréciais pas plus le culte de la personnalité qui s'était développé autour de Jean-Paul II.

21 juin 2014 : visite intense en Calabre avec grande activité mais dans une ambiance et avec des thèmes chers à son cœur : pauvreté, chômage, défense des jeunes, lutte contre la mafia, alors!!

27 juin 2014 : visite au Gemelli annulée en dernière minute (cf. récit de Mastino benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/le-roman-feuilleton-de-la-sante-du-pape); prévue à 15h30, un premier retard a été annoncé puis vers 16h ou 16h30 annonce de sa non-venue. Un responsable a fort peu apprécié : intense travail d'organisation, déception des 5000 personnes qui attendaient le pape, tout cela pour rien. Fort heureusement le cardinal Scola a célébré la messe en lisant d'une voix monocorde l'homélie préparée par le pape et sans faire aucune allusion au changement impromptu. C'est la deuxième fois que cette déconvenue lui est réservée. La première était le 5 décembre 2013, rencontre avec François prévue à la fin d'une catéchèse pour parler de l'Exposition de Milan 2015. Le cardinal n'était pas venu seul, Milan n'est pas tout à côté du Vatican et là déplacement pour rien. Avec moi, mais je ne suis ni pape, ni cardinal, ni docile, mais bien élevée, il n'y aurait pas de troisième rencontre à prévoir.

LA SANTE DU PAPE
------
Concernant l'état de santé du pape le P. Lombardi est rassurant avec toujours les mêmes formules : impossible de changer, toujours les mêmes mots d'une parfaite banalité. Un pape est un homme, pourquoi chercher à dissimuler la vérité mais il faut tenir compte des rumeurs et des tractations qui se mettent très vite en route dans ce petit état où il faut bien faire passer le temps. Comme j'ai de la mémoire je me souviens des bulletins diffusés par Navarro-Valls pendant les derniers temps de Jean-Paul II. Alors que cet homme souffrait le martyr, ne parlait plus qu'avec peine et seulement avec son secrétaire et en polonais, le porte-parole, avec un aplomb à toute épreuve affirmait que le Saint-Père était bien et présentait comme preuve un agenda truffé de RDV; aberrant pour moi. Qui pouvait croire cela? Neuf ans après je me pose encore la question.

UN CARACTERE DIFFICILE ?
-------
Je n'invente rien. Je me contente de le suivre à travers les articles qui parlent de lui, de sa personnalité, qui rapportent fidèlement des traits de caractère qui sont bien éloignés du pape au large sourire réservé à certaines circonstances je précise.
J-M Guénois paraît prendre une certaine liberté de ton parfois pour rédiger ses articles. Cet évêque de Rome qui est adulé des foules est quand même affublé d'épithètes sévères sur son comportement à Buenos-Aires : froideur, visage fermé, obéissant à son bon vouloir, menant à terme ce qu'il a décidé de faire d'une main de fer, tranchant, autoritaire, consultant beaucoup mais imposant sa décision (ibid). Il est même dit qu'il faisait peur, je n'en suis pas surprise tant son visage peut être dur; cela aussi est signalé par C. Pigozzi qui parle de la mauvaise humeur du pape tenu de faire ce qui ne lui convient pas, d'où sa façon d'en faire supporter les conséquences lors des célébrations. Je me réfère aussi à l'article de JM Guénois du 1er juillet : « Son emploi du temps peut changer d'un instant à l'autre y compris avec les plus importants des cardinaux ».

Je n'oublie pas les très nombreuses semonces qui saupoudrent les homélies des messes du matin. Il parait que le cardinal de Buenos-Aires trouvait l'excuse de l'indisposition pour escamoter les obligations déplaisantes (ibid). Je déplore que l'évêque de Rome continue sur cette lancée.
Pour moi, avec François, il y a deux cas de figures : s’il s’agit d’une obligation qui lui agrée, tout va bien, mais dans le cas de déplacements et célébrations imposés par le respect du protocole, des habitudes séculaires, il y aurait certes à redire.
Où est le respect des autres et de la valeur de ce travail qu'il prône tant? Pourquoi s'encombrer d'obligations qui pèsent lorsqu' il est possible de les balayer d'un revers de la main pour se sentir plus libre? Le Père Lombardi, qui était si malheureux du temps de Benoît XVI car il devait sans arrêt rattraper les manquements du pontificat, se sent-il tellement mieux d'avoir à annoncer les changements d'emploi du temps soudains du pape jésuite? A sa place je ne saurais pas trouver les mots.

Où sont la politesse exquise, la délicatesse, le savoir-vivre de Benoît XVI, sa considération parfaite et discrète pour tout travail, tout geste fait vers lui? Même épuisé, le sourire un peu triste était là pour remercier. Je l'entends encore s'excuser, au début d'une audience, pour sa pauvre voix éraillée, cela lui avait valu des applaudissements ou pour son retard. Si notre pape de l'époque avait agi avec autant de désinvolture il aurait été lynché; mais quand on a pour François les yeux de Chimène que ne pardonne-t-on pas ? On va même jusqu'à dire qu'il a inventé la miséricorde, là je proteste. La miséricorde divine appartient à l'Eglise donc à tous les papes. Pourtant il me semble impossible de passer sous silence l'institution de dimanche de la divine Miséricorde le 30 avril, le jour de la canonisation de Faustine Kowalska par Saint Jean-Paul II.

LE TEMPS DES REFORMES
-----
Le temps des vacances est là, avec un emploi du temps allégé mais les grandes manœuvres pour le réforme de la curie et le synode pour la famille ne sont pas exemptes d'attentions. Dans tous les cas il faudra attendre fin 2015 et encore 2016 pour avoir des conclusions et des décisions ; patience!!
On parle beaucoup de pastorale; je veux bien mais je ne suis pas persuadée que la frange progressiste des médias, de ceux qui luttent contre l'Eglise, et que ceux qui espèrent tant de ce pape se contenteront de paroles pleines de bons sentiments, d'écrits remplis d'empathie, de sages conseils lénifiants. Ce qu'ils veulent c'est la disparition de la famille "classique" pour faire place à une société dans laquelle la libre décision sera reine, sans obstacle, sans contraintes : chacun vivant comme il l'entend. Je souhaite bien du plaisir surtout lorsque l'on connaît les réponses aberrantes, farfelues, agressives obtenues par le sondage. On y retrouve la profonde incompréhension, la totale méconnaissance de l'enseignement de l'Eglise et l'indifférence grandissante à son égard. Plus on cède sur des petits points, plus l'opposition fait du forcing pour obtenir de plus en plus : c'est humain et valable pour tous les domaines. Je suis défaitiste me direz-vous, je ne crois pas, mais je suis bien trop lucide pour croire au pouvoir absolu des mesures pastorales d'encadrement. Pour les plus forcenés, en vue d’obtenir tout ce qu'ils veulent, et Dieu sait que les desiderata sont nombreux, il faudra bien plus que des sages paroles d'amour, émanant d'un très grand souci pastoral, ce qui est attendu est un renversement de la doctrine, la transformation des " non" en "oui".

Je suis rationnelle, pragmatique et tout ce qui n'est pas logique attire à coup sûr mon attention. J'ai beaucoup de mémoire et les contradictions sont vite repérées et retenues. J'ai beau être une catholique frileuse, de bout de banc, j'ai des principes et je pense que le pape, quel qu'il soit, à la tête de plus 1 milliard deux cents millions de catholiques et face à tant d'autres personnes qui écoutent sa parole et en font ce qu’elles veulent, cet homme, pour moi, doit représenter une figure qui ne doit pas être trop proche de la grande masse pour garder sa spécificité.

Les slogans de François : « qui suis-je pour juger? », « je me conforme à ce que les cardinaux m'ont demandé de faire », le mot qui revient trop souvent au sujet d'une réforme très importante : « pastoral(e)(es) », tout ce vocabulaire ne me convient pas du tout. Je ne suis pas papiste, d'ailleurs je ne suis pas grand-chose, mais j'aimerais trouver de la part du chef de l'Eglise catholique une prise de position ferme en ce qui concerne ce qui est conforme à la doctrine ou pas. Lorsque François redit sa soumission aux consignes des cardinaux exprimées lors des réunions précédant le conclave, ce n'est pas à un chef religieux que je pense mais à un patron confronté à une entreprise en ébullition qui choisit de lâcher du lest pour calmer le jeu et faire redémarrer l'activité. Que ferait-il s'il n'avait pas ce poids sur les épaules : moins ou plus dans le changement? J'aurai appris une chose avec cette élection : c'est que l'action de l'Esprit Saint m'apparaît très humaine.

* * *

Peut-être ce temps de détente nous apportera-t-il la joie, grâce à des visites au monastère, d'avoir des nouvelles fraîches de notre pape émérite. Plus le temps passe plus je suis persuadée que la voie qu'il a choisie était la bonne puisqu'il il a pris sa décision après une prière intense en cœur à cœur avec le Seigneur. Il mène la vie à laquelle il aspirait profondément tout en priant et soutenant l'Eglise. Le monde ne lui est pas devenu étranger puisqu'il le suit par la presse, la télévision, à travers des visites : une vie calme, équilibrée, dans une ambiance sereine, pleine d'affection, qui lui a permis de retrouver des forces; les nouvelles sont unanimes : esprit vif, au service de sa grande intelligence et une bonne forme pour les années qu'il porte.

J'ai bien conscience de ne pas être tendre pour juger François. Je ne suis pas à charge. Je reconnais que fatigue il doit y avoir mais aussi un facteur personnel de décision lié à son bon vouloir. J'apprécie le respect porté aux autres.

A bientôt
Jeannine

  © benoit-et-moi, tous droits réservés