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La mission d'évangélisation de l'Eglise

L'unique base de l’effort missionnaire chrétien et du dialogue: Jésus-Christ comme seul sauveur du monde. Un magistral exposé du théologien italien Inos Biffi, parue dans l'OR du 8 août dernier (13/8/2014)

     

Un lecteur a traduit pour mon site une réflexion publiée dans les pages de l’Osservatore romano le 8 août dernier par Inos BIFFI, professeur émérite de la Faculté de Théologie de Lugano, et Directeur (en février 2013) de l’Institut d’Histoire de la théologie de Lugano.
L'article avait été traduit en anglais et publié sur le site Rorate caeli (j'ai trouvé la version originale en italien ici: ilsismografo.blogspot.ch)

Mon lecteur commente:

La vision de l’évangélisation présentée ici est totalement catholique, et elle est l’antithèse de la vision de François qui tout récemment encore a (aurait?) confié à Scalfari qu'il voyait dans le prosélytisme «une bêtise magistrale», car l’essentiel est de «se connaître et de s’écouter, et de faire connaître le monde qui nous entoure» (fr.radiovaticana.va)
Une vision qui semble une constante chez lui: on se souvient que lors de sa rencontre avec le clergé, à Assise, en octobre dernier, il disait déjà: «L’Église croît, mais ce n’est pas pour faire du prosélytisme : non, non ! L’Église ne croît pas par prosélytisme. L’Église croît par attraction, l’attraction du témoignage que chacun de nous donne au Peuple de Dieu» (w2.vatican.va) .

Après l’épisode de Caserta, et la rencontre avec la communauté pentecôtiste de son ami le pasteur Trattino, il est bien difficile, compte tenu du sujet de fond abordé et du timing, de ne pas voir dans la réflexion d'Inos Biffi une mise au point, et une prise de distance par rapport aux propos du pape.

J’ai jugé bon de signaler certains passages qui me semblent significatifs: POURQUOI MENTIONNER TANT DE FOIS les risques de dénaturation de la mission de l’Eglise et leurs conséquences? Il ne parle pas formellement du protestantisme, c’est entendu. Il parle du christianisme, sans plus de précision. Mais il lie quand même formellement, et plusieurs fois, christianisme et Eglise. Eglise au singulier. Bien évidemment, un homme d’Eglise peut toujours faire des réflexions sur tel ou tel sujet, à temps et à contre-temps. Et je n’aurai pas la prétention d’assurer avec certitude que cet article est lié aux très nombreuses ouvertures de François auprès de ses amis protestants. Mais il n’en demeure pas moins qu’il a choisi de reprendre plusieurs fois, comme je le disais, des risques de dénaturation. Alors, pourquoi l’a-t-il fait, s’il ne pensait pas que ces risques étaient bien présents aujourd’hui ?

     

LA SEULE BASE DE L’EFFORT MISSIONNAIRE CHRÉTIEN ET DU DIALOGUE :
JÉSUS-CHRIST COME SEUL SAUVEUR DU MONDE


Par Innos BIFFI (*)
L’Osservatore Romano, 8 août 2014.
Traduit de l’anglais sur Rorate caeli
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Non seulement l’Eglise prie pour la conversion au Christ de tous les hommes, mais elle y consacre également son total engagement. Cela fait partie de sa mission essentielle. Après sa résurrection, le Christ a confié à son Eglise un commandement précis : « Tout pouvoir m’a été donné au Ciel et sur la Terre. Allez donc auprès des hommes de toutes les nations et faites d’eux mes disciples ; baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ».

Cet apostolat chrétien, cette évangélisation en tout lieu, de « tous les peuples » et de « toutes les créatures », voilà la soucieuse intention du Christ et en fait, depuis le début, l’Eglise s’est elle-même pensée en termes de radical effort missionnaire.

Cette mission permanente et universelle dans le monde fait partie de la nature-même de l’Eglise. Si elle devait en être diminuée en quoi que ce soit, elle ne serait plus l’Eglise du Christ. Annoncer l’Evangile signifie proclamer que c’est seulement dans le message de l’Evangile et dans son acceptation que chacun peut être sauvé. Les paroles de Jésus sont péremptoires : « Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné » (Marc 16, 16). Affirmer que quelqu’un qui, de bonne foi, adhère à une religion peut être sauvé signifie plutôt le fait de reconnaître que la volonté de salut universel opère dans la vie de ceux qui font le bien, en écoutant une conscience claire et droite.

Quelle que soit la vérité ou la sainteté présente dans toute religion, il y a l’empreinte du Christ et le désir de Lui. Par conséquent ceci montre bien comme il est trompeur de considérer – dans le but de montrer du respect à toutes les religions – qu’il faut éviter de proclamer l’Evangile de Jésus-Christ comme seul Sauveur. Au contraire, il faut seulement y voir le fait qu’une personne demeure dans une fidélité pleine et cohérente à son propre « credo ».

Il est bien certain que les religions doivent être respectées. Nul ne peut être forcé à croire en l’Evangile. Dieu Lui-même est le gardien de la liberté religieuse intérieure. Mais cela n’implique pas qu’il faille faire de toutes les religions l’équivalent de l’Evangile. Cela n’implique pas non plus l’obscurcissement du Christ comme seul Sauveur de tous les temps.

Le désir passionné du cœur du Christ était que les fils d’Abraham L’accueilleraient comme le Messie. En fait, le christianisme est basé sur la foi des Juifs qui ont cru dans le Christ, comme sa mère, Marie, comme Joseph, Zacharie, Elizabeth, Jean-Baptiste, Siméon et Ane, les Apôtres et toute l’Eglise de Dieu (Galates 1, 13), depuis le commencement. Ceux qui ont vu en Jésus l’accomplissement et le τελος de la Loi (Romains 10, 4). Nous oublions trop souvent que cette « Eglise de Dieu » est née de la foi des Juifs qui ont cru dans le Christ, et que ceux-ci ne se sont pas limités à Paul seul. S’ils n’avaient pas accueilli Jésus comme le Messie, le christianisme se serait éteint dès le début.

Nous voyons ici la raison pour laquelle la relation entre le christianisme et le judaïsme n’est pas comparable à la relation entre le christianisme et les autres religions. Le Dieu des chrétiens est le même Dieu de la Genèse, qui « au commencement créa le ciel et la terre » (Genèse 1, 1), et qui, en Jésus, a été révélé comme Père, Fils et Saint-Esprit. Et Il est le Dieu que l’Eglise proclame à tous les hommes, en prêchant Jésus, le Fils unique, le seul Sauveur de tous. Dans cette proclamation, l’Eglise suit la même mission du Christ et donc, la raison d’être profonde de la révélation a commencé avec la Genèse. Elle a la conscience que, si elle devait admettre d’autres sauveurs à côté du Christ, elle placerait sa propre foi dans des idoles. Et si elle tournait le dos à la pleine révélation de Dieu qui créa le ciel et la terre dans la Trinité qui s’est manifestée dans la personne de Jésus de Nazareth, elle rejetterait le Dieu créateur lui-même.

L’origine, la cause et le contenu du but missionnaire de l’Eglise se sont établis de cette façon. Et l’Eglise est appelée à se justifier uniquement en Jésus-Christ, et à partager avec Lui l’œuvre d’évangélisation.

Ceci ne veut pas dire que l’Eglise rejette le « dialogue » avec les religions. Quel que soit le but du dialogue, il ne pourra jamais détruire la croyance de l’Eglise que seulement dans l’Evangile, il y a le salut, de la même manière pour tous, que le commandement reçu du Christ est de proclamer l’Evangile, que c’est une nécessité et que ce n’est pas accessoire. Comme il ne peut jamais être mis en doute que l’Eglise elle-même, à toute époque et en tout lieu, doit utiliser toute sa force pour faire de tous les hommes des disciples du Seigneur. De plus, il en a toujours été ainsi depuis le tout début de la vie de l’Eglise.

Si une proclamation « faible » de l’Evangile avait prévalu, ou si les chrétiens avaient travaillé à la construction de temples païens avec leurs dieux, ou s’ils s’étaient satisfaits de rechercher ce qui les unit aux autres religions, à un niveau minimaliste, sans une conscience claire de la différence liée au fait d’être chrétiens, nous n’aurions pas eu le témoignage des martyrs. Le dialogue n’implique pas le risque du martyre qui, sans aucun doute, est toujours à sa manière une situation tragique. Mais en rapport avec ce qui vient d’être dit nous n’aurions plus ni la Foi ni l’Eglise, si l’Eglise devait diluer la Foi et devenir l’ombre d’elle-même, dans un scénario qui conduit à la mort. Nous n’aurions plus ni la Foi ni l’Eglise si l’effort missionnaire qui est au cœur de son existence s’épuisait, si l’œuvre missionnaire devenait une source d’anxiété, si l’Eglise perdait cette certitude qu’il n’y a qu’un seul Dieu, en défiant ceux qui disent qu’il y a de la place pour de nombreux dieux, dieux qui sont en fin de compte uniquement des idoles. Nous n’aurions plus ni la Foi ni l’Eglise si l’Eglise hésitait à proclamer qu’il n’y a qu’un seul Seigneur, le Fils de Dieu, que l’Eglise dans tout son être est appelée à prêcher au monde entier.

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Note : Innos BIFFI est Professeur émérite et directeur de l’Institut d’Histoire de la Théologie (Université de Lugano), Docteur en théologie, ordinaire émérite de théologie systémique et d’histoire de la théologie à la Faculté théologique de l’Italie Septentrionale, membre de l’Académie pontificale de Saint Thomas d’Aquin.

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