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La phase 2 du Pontificat de François

Un article de John Allen avec lequel je me sens en "syntonie zéro", mais qui est néanmoins fort intéressant (2/11/2014)

Je suis tombée dessus hier en traduisant l'article de Matteo Matzuzzi «Relax, God’s still in charge» .
Il rapporte à sa façon la polémique suscitée aux Etats-Unis par les propos de l'archevêque de Philadelphie, Mgr Chaput qui, parlant de la confusion (litote!) du Synode, a osé parlé de "l'oeuvre du diable".
Mgr Chaput devait être sur la bonne route, car lorsque les propos d'un ecclésiastique ne reçoivent AUCUN écho dans les médias laïcistes, voire suscitent leurs applaudissements (je ne parle pas du cas le plus fréquent, où les prélats se taisent, comme c'est massivement le cas en France!), il y a (il a) de quoi s'inquiéter sur la façon dont il annonce la Parole de Dieu.

On observera la façon dont John Allen, sous le faux prétexte d'un traitement équitable de l'information renvoie dos à dos conservateurs et progressistes (alors qu'il prend clairement parti pour les seconds), en l'espèce Mgr Chaput et le cardinal Kasper - ici qualifié de "gentle soul" - , minimisant le caractère raciste de sa diatribe contre les africains et oubliant délibérément que celui-ci a démenti une interview qu'il avait vraiment donnée.

Sur la "phase 2" du Pontificat de François, je recopie ce que j'écrivais hier:

En réalité, cela fait longtemps que les "normalistes" attendaient la fin de la fameuse lune de miel.
Ce qu'il y a de curieux, c'est qu'elle ne se passe pas du tout dans le sens qu'ils avaient espéré, qui devait conforter leur théorie de continuité.
Ils croyaient que la lune de miel avec les médias prendrait fin quand le pape dirait enfin ce qu'il faudrait bien qu'il dise un jour ou l'autre comme pasteur universel de l'Eglise catholique.
Or, force est de constater que cette lune de miel-là persiste...

Enfin, une curiosité, la fin de l'article. C'est exactement ce que j'avais pensé en lisant le discours de François:

Une clé [pour passer la phase 2] pourrait être d'atteindre les conservateurs qui soupçonnent que François, ou ses alliés, ont tenté de fausser le jeu contre eux durant le synode, et qui se demandent en général si le pape apprécie leurs préoccupations.
À cet égard, François s'est peut-être aidé lui-même lundi, quand il a assisté à l'inauguration d'un buste en bronze en l'honneur de Benoît XVI à l'Académie pontificale des Sciences, où François a salué son prédécesseur comme un "grand pape".
...
Bien que François pensât sans doute chaque mot, un tel hommage à un pontife qui est toujours un héros pour l'aile la plus traditionnelle de l'église a également été de la bonne politique.

PHASE 2 DE L'ERE FRANÇOIS: LA LUNE DE MIEL EST TERMINEE
http://www.cruxnow.com
28 Octobre 2014
(ma traduction)
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Un incident a éclaté la semaine dernière au cours d'une conférence donnée par Mgr Charles Chaput de Philadelphie, et parrainée par First Things magazine, généralement considéré comme le plus intelligent journal d'opinion catholique conservateur d'Amérique.
En soi, il n'est pas particulièrement important, mais il illustre quelque chose de plus large. Nous entrons dans la deuxième phase de la papauté de François, dans laquelle une période de bons sentiments a cédé la place à une ère de tension.

Avant de poursuivre, une mise en garde: Cette analyse vaut largement en Occident. Les gens, disons, en Ukraine ou au Nigeria ou aux Philippines - pays tous avec de grandes populations catholiques - n'ont pas nécessairement la même conversation.

Bien que le discours de Chaput ne portât pas sur le Synode 2014 des évêques à Rome, il y a eu une question de l'auditoire à ce sujet. Soulignant qu'il n'y avait pas été et qu'il voulait parler aux évêques qui y étaient avant de tirer des conclusions, Chaput a néanmoins déclaré que «l'image publique» de l'événement avait créé de la confusion, et que «la confusion vient du diable».
Un rapport intermédiaire de ce sommet contenait des propos audacieusement progressistes sur l'homosexualité et d'autres sujets brûlants, bien que le document final adopté le 18 octobre fût nettement plus réservé.
Deux observateurs de longue date de la scène catholique, David Gibson de Religion News Service et Michael Sean Winters, de National Catholic Reporter, ont écrit des articles suggérant que Chaput avait dynamité le synode. Winters est allé plus loin, impliquant que Chaput avait critiqué François par procuration puisque le synode était l'affaire du pape.
En retour, plusieurs blogueurs et écrivains catholiques conservateurs ont pris à partie Gibson et Winters pour avoir déformé les propos de Chaput - et ainsi de suite.

D'une certaine manière, le contretemps n'est pas sans rappeler ce qui est arrivé au cardinal allemand Walter Kasper durant le Synode (???). Kasper est devenu le héros du progressisme pour avoir défendu le changement dans l'interdiction aux catholiques divorcés et remariés civilement de recevoir la communion. Une phrase isolée de lui, sur les évêques africains «qui ne doivent pas nous dire ce qu'il faut faire» est devenu une cause célèbre, principalement de la part des médias perçus comme conservateurs.
A présent, quelque chose de semblable est arrivé à Chaput avec sa petite phrase «la confusion vient du diable», cette fois de la part de sources considérées comme penchant un peu vers la gauche.

Deux observations s'imposent.

1. Premièrement, les deux controverses, Kasper et Chaput, illustrent l'importance du contexte dans la présentation de commentaires de personnalités publiques, en l'occurrence des ecclésiastiques de haut rang.
Quiconque connaît Kasper se rend compte qu'il est une personnalité aimable ("gentle soul") qui n'insulterait pas quelqu'un délibérément. Il a servi en tant que haut responsable du Vatican pour les relations avec les Juifs et les autres églises chrétiennes précisément en raison de sa capacité à se débrouiller avec à peu près tout le monde. C'est le type qu'on prend pour éteindre les incendies, pas pour les commencer.
Dans le contexte, sa remarque certes mal avisée sur les Africains semble signifier que les différentes parties du monde ont des problèmes différents, et devraient être autorisées à développer leurs propres solutions. Cette nuance n'a pas été rencontrée dans la plupart des discussions - en partie, peut-être, parce que certaines personnes n'ont pas envie de sauver Kasper de lui-même.

Une remarque similaire pourrait être faite pour Chaput. Toute personne qui le connaît se rend compte qu'il est un homme de fortes convictions sur les risques d'assimilation à la culture laïque, et qui n'a pas peur de les exprimer. Il est légitime de penser qu'il peut être un peu mal à l'aise avec certains des vents nouveaux qui soufflent dans l'ère François.
Pourtant Chaput est également loyaliste envers le pape, et l'idée qu'il pourrait accuser publiquement un pontife de favoriser le travail du diable est invraisemblable. Si vous lisez le texte intégral de sa réponse, il semble clair qu'il parlait de la présentation médiatique du synode, pas nécessairement de l'événement lui-même. (s'il a été juste envers les médias est un autre débat)

* * *

2. Second point, nous sommes entrés dans la phase suivante de la papauté de François.
Nous sommes passés d'une période de lune de miel dans laquelle la plupart des catholiques se sont contentés de se prélasser dans le fait que le pape était le personnage le plus populaire de la planète, à une époque où un nombre croissant de personnes semblent "avoir la gâchette sensible".
Pour cela, nous devrions probablement remercier le Synode des Évêques. Il met en évidence la ligne de front dans l'ère François, au moins en ce qui concerne la famille et la morale sexuelle.
Ces lignes de front sont:

¤ L'Église catholique fera-t-elle la paix avec les unions de même sexe - pas en termes de donner une approbation morale ou d'abandonner son enseignement sur le mariage, mais de trouver une façon moins conflictuelle de parler de ces relations et une posture plus accueillante pour les personnes vivant ainsi?
¤ L'Église catholique peut-elle identifier une valeur morale dans toutes sortes de choix de vie qui sortent des limites de son enseignement, comme les couples vivant ensemble sans être mariés? L'Eglise peut-elle dire que, bien que ces dispositions ne soient pas idéales, elles peuvent tout de même avoir des éléments positifs tels que la fidélité et le soutien mutuel?
¤ Le catholicisme assouplira-t-il son interdiction de donner la communion aux catholiques qui divorcent et se remarient en dehors de l'Église, comme un acte de miséricorde, ou bien cela équivaudra-t-il à une retraite de la doctrine selon laquelle le mariage est permanent?

Ce sont toutes là des questions incendiaires, et les gens des deux camps y mettent une grande passion. Le camp progressiste tend à se sentir enhardi, supposant que le pape est avec eux. Beaucoup de conservateurs se sentent alarmés pour exactement la même raison, craignant que François ne les soutienne pas.
Dans ce contexte, de nombreux militants et penseurs semblent glisser vers le mode bataille, prêts à bondir sur tout faux pas ou présumé tel des adversaires. En d'autres termes, la guerre froide non déclarée dans le catholicisme, entre ceux que le nouveau ton du pape met en émoi, et ceux qui sont ambivalents à ce sujet, vire au chaud.
D'une façon générale, François a navigué avec brio durant la première phase. Que lui faut-il pour passer à travers la deuxième phase?

Une clé pourrait être d'atteindre les conservateurs qui soupçonnent que François, ou ses alliés, ont tenté de fausser le jeu contre eux durant le synode, et qui se demandent en général si le pape apprécie leurs préoccupations.

À cet égard, François s'est peut-être aidé lui-même lundi, quand il a assisté à l'inauguration d'un buste en bronze en l'honneur de Benoît XVI à l'Académie pontificale des Sciences, où François a salué son prédécesseur comme un «grand pape».
Benoît, a-t-il dit, est grand «pour la force et la pénétration de son intelligence, grand pour son importante contribution à la théologie, grand pour son amour de l'Église et des êtres humains, grand pour sa vertu et sa religiosité».
«Loin de se dissiper avec le passage du temps - a dit François - l'esprit de Benoît paraîtra de plus en plus grand et plus puissant de génération en génération»
Bien que François pensât sans doute chaque mot, un tel hommage à un pontife qui est toujours un héros pour l'aile la plus traditionnelle de l'église a également été de la bonne politique.

En guise de conclusion, voici une prédiction quant au moment où la troisième phase de l'ère François commencera: peu après Octobre 2015, quand le processus de réflexion s'achèvera avec le prochain Synode des évêques sur la famille et que la décision à prendre arrivera sur le bureau du pape.

Rien de tel que certaines décisions réelles pour faire à nouveau bouger les choses



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