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La rencontre "secrète" du Pape François à Caserta

François et Traettino

Qui sont les pentecôtistes? Massimo Introvigne dresse un tableau foumillant de détails de l'arrière-plan de la visite que le Pape François rendra le 28 juillet à un de leurs pasteurs. Avec le souci, un peu lourd, d'éteindre préventivement l'incendie prossible (22/7/2014)

>>> Les FOB, ou "friends of Bergoglio"

>>> Photo ci-contre: Le 2 juin, au Stade Olympique de Rome, le Pape participait à la XXXVIIe Convocation du Renouveau dans l’Esprit ou RNS (mouvement de catholiques proches des pentecôtistes, en Italie, voir ci-dessous): cf. www.news.va/fr/news/le-pape-debut-juin-au-stade-olympique....

     

LA RENCONTRE «SECRÈTE» DU PAPE FRANÇOIS À CASERTA
Massimo Introvigne
22/07/2014
http://www.lanuovabq.it
(Ma traduction)
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En 1996, j'ai publié un livre intitulé «Aspettando la Pentecoste. Il quarto ecumenismo. Intervista a Matteo Calisi e Giovanni Traettino» (en attendant la Pentecôte. Le quatrième œcuménisme. Interviwe de Matteo Calisi et Giovanni Traettino).
Avec ce livre-entretien, qui a eu un écho notable dans les milieux catholiques charismatiques et monde protestant italien, je portais à l'attention générale - naturellement en accord avec les interviewés - un dialogue auquel j'avais participé dans les années précédentes, et qui avait eu lieu loin des projecteurs des médias et de l'œcuménisme «officiel», entre une partie significative du monde catholique charismatique et de certains pentecôtistes protestants. Dans le même temps, la revue la plus lue dans le monde pentecôtiste et charismatique américain donnait la nouvelle du dialogue dont le pasteur Traettino était un protagoniste.

Ainsi a commencé un long chemin qui est passé par la Buenos Aires de celui qui était encore le Cardinal Bergoglio, et qui le 28 Juillet culminera avec la première visite privée d'un pape à un pasteur pentecôtiste. A cette date, en effet, François se rendra pour une rencontre «très privée» avec Traettino, à Caserte, où le pape sera déjà deux jours plus tôt, le 26 Juillet, pour une visite publique qui, selon les vaticanistes a été décidée afin de ne pas donner l'impression d'une impolitesse aux catholiques de Caserta, lesquels auraient pu penser qu'en regardant leur ville, le Pape pensait d'abord aux protestants.

Pourquoi le Pape va-t-il rendre visite à un pasteur pentecôtiste, au risque de déplaire à la fois à certains catholiques et à certains pentecôtistes et protestants ultra-conservateurs hostiles à l'œcuménisme, qui sur Internet parlent déjà d'un «scandale», d'une «honte» et de la reconnaissance implicite du rôle du Pape de la part de Traettino?
Pour répondre à cette question, il faut raconter une histoire assez longue, dans laquelle j'ai eu moi aussi - comme je l'ai dit - un petit rôle.
Mais, tout d'abord, il convient de rappeler qui les protestants pentecôtistes.

* * *

Le pentecôtisme est une nouvelle forme de protestantisme, née au début du XXe siècle - certes avec une préparation dans les décennies précédentes - et il est caractérisé par une méfiance envers les dénominations (confessions) et les organisations protestantes existantes, considérées comme «endormies», et pas vraiment capables d'enthousiasmer et d'évangéliser, et par une attention particulière aux phénomènes de type charismatique.
En particulier, les pentecôtistes découvrent - ou redécouvrent, car les précédents protestants et catholiques n'ont pas manqué - le «don des langues», ou glossolalie, lequel ne consiste pas à parler des langues étrangères, mais à émettre des sons et des mots qui ne correspondent à aucune langue connue et qui deviennent une partie de la prière. Pour les Pentecôtistes, le don des langues est la preuve que le fidèle a reçu le «baptême du Saint-Esprit», qui n'est pas un sacrement mais une expérience convaincante et exigeante de rencontre avec Jésus-Christ dans l'Esprit.

Le pentecôtisme protestant a connu une croissance qu'il n'est pas exagéré de qualifier de phénoménale. De quelques milliers d'adeptes qu'il avait au début du XXe siècle, dans un nombre restreint de localités aux États-Unis et en Grande-Bretagne, il est arrivé aujourd'hui à plus de 600 millions de fidèles, près d'un tiers des plus de deux milliards de chrétiens dans le monde, ainsi que les trois quarts des protestants, qui sont environ 800 millions. Comme il arrive toujours dans l'histoire du christianisme, nés en signe de protestation contre les communautés organisées, les pentecôtistes ont produit eux aussi des dénominations, certaines très grandes comme les Assemblées de Dieu, qui comptent dans le monde 35 millions de fidèles et qui en Italie, avec plus d'un millier de communautés locales et 150 mille fidèles, représentent environ la moitié du pentecôtisme protestant dans notre pays.

Que ce soit dans le monde ou en Italie, la première vague pentecôtiste qui est allée constituer de grandes dénominations, a été suivie d'une seconde, qui préfère généralement s'organiser en communautés locales ou en fédérations où chaque groupe local maintient un degré discret d'autonomie. En Italie, un peu plus de la moitié des pentecôtistes protestants - qui au total sont environ 313 mille - fait partie de cette deuxième aire, où il y a aussi l'Eglise évangélique de la Réconciliation, résultat de la fusion du Mouvement évangélique International 'Fiumi di Potenza' et du Centre italien de Communion et Restauration (nom certainement inspiré par "Communion et Libération"!), fondée au début des années 1980 par Giovanni Traettino, un pasteur baptiste qui - après une expérience politique dans le Parti Communiste Italien d'alors - était entré en contact avec l'expérience pentecôtiste en Angleterre et avait reçu le «baptême de l'Esprit Saint» en 1977 (...).
La communauté du Pasteur Traettino compte aujourd'hui en Italie vingt-cinq églises locales, avec un millier de fidèles.

Dans les années 1960 se produit aux États-Unis, d'où il s'étend ensuite au monde entier, un phénomène nouveau: sous l'influence de prédicateurs, de missionnaires et de théologiens protestants pentecôtistes, le «baptême de l'Esprit Saint» et l'expérience de la glossolalie se répandent à partir de 1960 chez les épiscopaliens - la branche américaine des anglicans - et depuis 1967 chez les catholiques (suivront ensuite les orthodoxes). Ces épiscopaliens et ces catholiques n'ont pas l'intention de changer leur identité religieuse et de devenir protestants pentecôtistes, mais d'intègrer certaines façons de prier et certaines formes de spiritualité dans leur identité d'origine. Pour les catholiques, la rencontre avec les protestants pentecôtistes est l'occasion de redécouvrir des éléments de la théologie et de la dévotion à l'Esprit Saint déjà présents dans leur tradition: c'est pourquoi ils préfèrent être appelés «charismatiques» plutôt que «pentecôtiste», et ils donnent naissance au Renouveau Charismatique Catholique qui en Italie sera appelé Renouveau dans l'Esprit (RNS) (cf. photo plus haut). Les catholiques charismatiques, qu'ils adhèrent au RNS, ou à des communauté d'alliance qui expériment différentes formes de vie commune, sont aujourd'hui plus d'une centaine de millions dans le monde (1).

La présence des pentecôtistes protestants pose un problème évident à l'œcuménisme. Les spécialistes distinguent deux phases dans le plus ancien œcuménisme entre protestants - une première théologique et une deuxième de coopération missionnaire, qui toutefois excluent les catholiques - et une troisième qui cherche à engager un dialogue également avec l'Eglise catholique, en particulier avec la fondation en 1948 du Conseil oecuménique des Eglises (COE), auquel les catholiques n'adhérent pas, mais avec lequel, depuis les années 1950 ils ont développé des rapports intenses et cordiaux. Pour un œcuméniste catholique, depuis des décennies, dialoguer avec les protestants signifie dialoguer avec les communautés «historiques» - luthériens, calvinistes, et ainsi de suite, ainsi qu'avec les anglicans, qui techniquement ne sont pas protestants - qui font partie du COE.

Cependant, à partir des années 1970, les communautés du COE deviennent minoritaires au sein du monde protestant, car, surtout aux États-Unis et dans le Tiers-Monde on voit se développer les groupes conservateurs, au sein desquels se trouve également la grande majorité des pentecôtistes, lesquels ne veulent pas adhérer au COE dont ils critiquent les positions progressistes et «libérales» en matière de théologie, morale, vie et famille. Aujourd'hui, beaucoup de communautés du COE acceptent l'avortement, et quelques-unes, même, les «mariages» homosexuels. Le COE est réduit à représenter moins d'un quart des protestants du monde. Les trois autres quarts - «évangéliques», c'est-à-dire conservateurs, parmi lesquels il y a beaucoup de pentecôtistes - restent hors du COE et se sont même dotés d'organismes alternatifs de coopération.

De nombreux spécialistes de l'œcuménisme catholique, formés à une école pour laquelle le COE «était» le monde protestant, ont longtemps continué à ignorer la condition toujours plus minoritaire du protestantisme «historique» et ont été réticents à s'engager dans un dialogue avec les pentecôtistes - c'est-à-dire, répétons-le, avec la majorité absolue des protestants dans le monde - parce qu'ils ne les connaissaient pas et les trouvaient «bizarres», et parfois aussi à cause de préjugés idéologiques progressistes, sur la base desquels un dialogue avec le COE «avancé» et «libéral» dans le domaine théologique et moral était de toutes façons préféré à celui avec les «sectes» évangéliques et pentecôtistes, par définition réactionnaires et rétrogrades, sinon agents du Parti républicain américain.
Pour leur part, de nombreux pentecôtistes nourrissaient de forts préjugés anti-catholiques - résidus du protestantisme conservateur dont ils étaient issus - ou jugeaient l'Église catholique comme une simple partie d'une galaxie progressiste à l'orthodoxie morale et théologique douteuse, qui comprenait également les protestants «libéraux» avec qui les catholiques dialoguaient.

Bien qu'il n'y eût pas manqué de gestes prophétiques - comme l'invitation faite aux pentecôtistes à participer en qualité d'observateurs, mais à titre personnel, au Concile Vatican II - cette situation d'impasse se poursuivit pandant plusieurs décennies. La croûte - qui amène à présenter comme dialogue œcuménique mondial celui dont les pentecôtistes, soit trois quarts des protestants et un tiers des chrétiens dans le monde, sont exclus - se rompit dans les années 1980 grâce au Renouveau Charismatique Catholique, qui partage avec les pentecôtistes certaines façons de prier et sait comment leur parler. Les premières expériences structurées et significative, personnellement suivies et encouragées par Saint Jean-Paul II, eurent lieu précisément en Italie, entre les communautés charismatiques catholiques et les pasteurs pentecôtistes.

La rencontre en 1981 entre un représentant des communautés charismatiques, Matteo Calisi, de Bari, et le pasteur pentecôtiste Giovanni Traettino joua un rôle crucial dans le lancement de ce dialogue, qui mûrira lentement - et non sans opposition, à la fois dans le monde catholique et dans celui des pentecôtistes - jusqu'à la création en 1990 de structures permanentes, parmi lesquelles la Consultation Charismatique Italienne, née en 1993.

Dans la même année, naquit aux États-Uni ce qui est aujourd'hui appelé Alliance Defending Freedom, un groupe de dirigeants chrétiens et juristes évangéliques - dont de nombreux pentecôtistes - et de catholiques engagés sur le terrain concret de la défense de la liberté religieuse, de la vie et de la famille. Et en 1995, un groupe de leaders évangéliques, avec là encore de nombreux pentecôtistes et catholiques - y compris l'archevêque de New York, le cardinal John Joseph O'Connor - signe aux États-Unis un document intitulé «Evangéliques et Catholiques Ensemble», qui ne plaît pas à tout le monde - Traettino, en Italie, le trouve excessivement «politique» et fonctionnel à des fins, y compris électorales, typiquement américaines (ndt: probablement le trouve-t-il trop marqué à droite)- mais dont la souscription souligne toutefois que beaucoup de choses ont changé.

Certains observateurs ont soutenu qu'avec Benoît XVI, le pape allemand, l'œcuménisme catholique s'est à nouveau concentré sur les communautés historiques, à commencer par les luthériens, de sorte que les rencontres les plus importantes entre les communautés charismatiques catholiques et les pasteurs pentecôtistes ouverts au dialogue ont émigré en Amérique latine, sous les auspices du cardinal Bergoglio qui là-bas a rencontré Traettino et est devenu ami avec lui. En réalité, non seulement on a continué à se rencontrer en Italie - j'ai moi-même été rapporteur d'une rencontre œcuménique qui s'est tenue à Assise en 2012 - mais Benoît XVI lui-même, rencontrant les luthériens en 2011 lors de son voyage en Allemagne, leur a dit que l'œcuménisme ne pouvaient plus ignorer l'«immense dynamisme missionnaire» des nouvelles formes de christianisme qui, tout en n'ayant pas que des aspects positifs, constituent aussi une réaction salutaire à la dilution de la doctrine et la théologie morale proposée par certains progressistes (2).

Le dialogue entre catholiques et pentecôtistes protestants présente encore de nombreux problèmes. Dans le domaine pentecôtiste, c'est parfois plus facile avec les mouvements plus petits qu'avec les grandes dénominations, et c'est peut-être plus facile avec un pasteur indépendant qui vient d'une expérience politique de gauche (!!!) comme Traettino qu'avec des leaders américains qui traînent derrière eux un bagage volumineux de relations politiques à sens unique avec des groupes et des fondations dits «de droite», mais parfois liés à des potentats économiques souvent hostiles à l'Église catholique et ambiguës sur de nombreuses questions morales.
Toutefois, la portée de l'acte du Pape François ne doit pas être sous-estimée. Elle rappelle à de nombreux professionnels catholiques de l'œcuménisme que la saison où l'on pouver considérer le COE et le protestantisme progressiste des communautés historiques comme les seuls interlocuteurs du dialogue, rejetant la majorité évangélique et pentecôtiste comme trop conservatrice ou réactionnaire - cette saison est définitivement archivée.

* * *

(1) A propos de la branche française, voir le dossier sur le site de la CEF: www.eglise.catholique.fr/espace-presse/dossiers-de-presse/368245-le-renouveau-charismatique-aujourdhui/

(2) Ce paragraphe est franchement superflu, il ne sert qu'à accréditer une continuité ici totalement inexistante.
En réalité, Benoît XVI a dit ceci:
Devant une forme nouvelle de christianisme, qui se diffuse avec un immense dynamisme missionnaire, parfois préoccupant dans ses formes, les Églises confessionnelles historiques restent souvent perplexes. C’est un christianisme de faible densité institutionnelle, avec peu de bagage rationnel et encore moins de bagage dogmatique et aussi avec peu de stabilité. Ce phénomène mondial –dont me parlent toujours des Évêques du monde entier- nous place tous devant la question : Qu’est-ce-que cette nouvelle forme de christianisme a à nous dire de positif et de négatif ? En tous cas, elle nous met de nouveau face à la question de savoir ce qui demeure toujours valable, et ce qui peut ou doit être changé, par rapport à la question de notre choix fondamental dans la foi.
(www.vatican.va)
Contrairement à ce que laisse supposer Introvigne, c'était de la part du Pape, tout sauf un encouragement à un oecuménisme inclusif aussi large.

Note complémentaire

Parlant de la relation de Jorge Maria Bergoglio avec les évangéliques, John Allen faisait allusion à un certain "évêque" anglican et charismatique, Tony Palmer, un ami du Pape qui l'avait reçu en janvier dernier au Vatican.
La nouvelle est parue aujourd'hui: Tony Palmer vient de se tuer dans un accident de moto (www.patheos.com/blogs/catholicnews/2014/07/christian-leader-friend-to-pope-francis-dies-in-motorcycle-accident/ )
Il est intéressant (et inquiétant) de relire ce que Palmer disait au lendemain de l'élection de François (www.abri-vcf.com):

Le temps de l’ « Apartheid spirituel » arrive à sa fin, et je crois que le Pape François sera l’un des partisans de sa chute.
...
Nous vivons maintenant dans une ère post-Protestante, avec un pape qui s’accorde ouvertement avec des frères et sœurs de toutes les dénominations Chrétiennes, au point de s’agenouiller publiquement pour que les leaders évangéliques prient pour lui et lui imposent les mains.

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