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La théologie papale

ou l'a-théologie de François, selon Maurizio Blondet (4/7/2014)

     

J'ai découvert Maurizio Blondet grâce au Père Scalese qui l'avait en estime: benoit-et-moi.fr/2009-II ;
Ancien collaborateur de l'Avvenire, il a quitté le quotidien de la CEI avant d'ouvrir son propre site Effedieffe. Un site que l'on peut qualifier de libre, et très bien informé (son auteur ayant un "carnet" d'adresses" bien fourni), totalement hors des clous du politiquement correct.
Il a accordé récemment une longue interviewe à Antonio Mastino qui l'appelle (par plaisanterie) 'Le complotologue'...

Son site est en accès payant, et apparemment protégé par un strict 'copyright', mais ce dernier article a été reproduit sur le site italien chiesaepostconcilio, je me permets donc d'en traduire une partie pour mes lecteurs.
Précision: on est évidemment loin de la françoismania, mais c'est documenté, et cela aide à comprendre certaines contradictions, dans un magistère papal auquel nous commençons à nous habituer tant bien que mal..

     

LA THÉOLOGIE PAPALE. TENTATIVE DE RECONSTRUCTION PAR CONJECTURE
Maurizio Blondet
1er Juillet 2014
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D'un site catholique, je lis que la revue internationale de théologie Concilium a consacré son dernier numéro au thème «Du "anathema sit" à "Qui suis-je pour juger?"», à partir de la célèbre phrase du pape François sur l'homosexualité: "Qui suis-je pour juger," prononcé au retour du Brésil, en Juillet 2013.

Les auteurs «estiment que les formules et les dogmes ne peuvent pas inclure l'évolution historique, mais chaque problème doit être placé dans son contexte historique et socio-politique. Le concept d'orthodoxie doit être dépassé, ou au moins réduit, car il est utilisé comme "point de référence pour étouffer la liberté de pensée et comme arme pour surveiller et punir "...
Ils définissent l'orthodoxie comme "une violence métaphysique". A la primauté de la doctrine doit être substituée celle de la pratique pastorale ».

Concilium est la revue fondée par Karl Rahner, Hans Kung et Congar, «à laquelle collaborent plus de 500 théologiens du monde entier»: nous nous empressons d'exprimer notre gratitude à une revue aussi prestigieuse et fréquentée, parce qu'enfin, elle clarifie la doctrine catholique que nous devons suivre depuis que François est pape. Parce qu'il n'y a pas de doute que ce qui est écrit dans Concilium reflète la pensée du pape; par exemple, il a dit il y a quelque temps à la Civiltà Cattolica : «Ceux qui aujourd'hui recherchent toujours des solutions disciplinaires, ceux qui tendent de manière exagérée vers la sûreté doctrinale, qui tente obstinément de récupérer le passé perdu, ont une vision statique et involutive. Et de cette manière la foi devient une idéologie parmi d'autres».

Il est plus ou moins clair que Bergoglio voit en la théologie et la dogmatique de deux mille ans un fardeau et un obstacle à l'action pastorale. Mais le mérite de Concilium est de développer les pensées que le pape confie ça et là à des homélies improvisés, des interviews occasionnelles, des phrases familières souvent laissés en suspens au milieu (du genre: «Si demain arrivait ici une expédition de martiens, et que l'un dise: "Je veux le baptême!", que se passerait-il? ...»). Que se passerait-il, il ne nous l'a pas dit. Mais heureusement Concilium compléte ces phrases à moitié, remplit les points de suspension, fournit leur contenu; elle explicite ce qui dans la théologie du Pape est implicite, n'est pas dit, est laissé en suspens. Et donc, elle nous permet de répondre à la question que nous nous sommes souvent posés: quelle est la théologie de Bergoglio?

Comme les archéologues épigraphistes sont capables de reconstruire les inscriptions latines sur des pierres tombales anciennes cassés, où il manque des lettres et des mots - aujourd'hui aussi, nous pouvons reconstruire sous forme de conjecture la théologie implicite papale à laquelle nous sommes obligés d'obéir aujourd'hui. Grâce à la revue Concilium, une lumière d'une clarté aveuglante éclaire certaines actions du pape qui semblent en contradiction avec ses paroles.

Certains, un peu perdus, ne pouvaient pas comprendre comment s'accorde le «qui suis-je pour juger? ..» avec la nommination d'un commissaire, sans aucune explication, pour les Franciscains de l'Immaculée, la punition et la résidence surveillée pour le Fondateur, le Père Manelli. Cela semblait être une contradiction. Plus généralement, comme l'a noté le vaticaniste Sandro Magister (benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/les-jugements-du-pape), le pape, continuellement «nous exhorte à ne pas juger ... Celui qui juge "a toujours tort", a-t-il dit dans son homélie le 23 Juin à Santa Marta. Et il a tort, a-t-il poursuivi, "parce qu'il prend la place de Dieu, qui est le seul juge". Il s'arroge "le pouvoir de juger tout: les personnes, la vie, tout". Et "avec la capacité de juger", il considère qu'il a «la capacité de condamner».
Et pourtant «François est le pape qui juge, proclame, absout, condamne, promeut, destitue. Mais dans le même temps, il prêche constamment qu'il ne faut jamais juger ni accuser ni condamner».
Il a accompli une purge systématique de prélats et de théologiens jugés indésirables par lui et par son école, de don Antonio Livi au Père Cavalcoli (ndt: c'étaient les confrères et théologiens amis cités par don Ariel Levi di Guardo); il a brutalement démis des ministres du Vatican comme Mgr Piacenza; démis des évêques qu'il détestait en Argentine. Pas d'opposition? Nous ne devons pas juger, c'est bon; mais lui juge, et il tranche.

Dans les homélies à Santa Marta, il ne manque jamais une occasion de condamner - sans les nommer - les chrétiens, fils dévots de l'Église qui (comme le pauvre Mario Palmaro) ont protesté pour les ses lettres et ses entretiens indulgents avec Eugenio Scalfari où il ratifiait des choses comme «la question pour ceux qui ne croient pas en Dieu est d'obéir à sa conscience. Le péché, même pour ceux qui n'ont pas la foi, c'est quand on va à l'encontre de la conscience»; mais c'est du relativisme, ont dit les bons chrétiens, c'est une erreur non seulement théologique, mais aussi psychologique..

Eh bien, qu'a fait le pape François? Aucune réponse, aucune explication ni correction. Une homélie après l'autre, il appelle les fidèles laïcs qui le critiquent de noms variés "pélagiens", "onctueux", "tristes", "ayant peur de la joie", "chrétiens chauves-souris", il les insulte et les condamne ... mais sans dire précisément à qui il fait allusion (cf. benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/les-insultes-du-pape-franois).

Maintenant, peut-être trouverez-vous cette façon de faire déloyale et peu chrétienne, surtout en contradiction flagrante avec la phrase souvent citée par les laïcs en liesse, «Qui suis-je pour juger ...» (un homosexuel)?
Mais nous savons désormais, grâce à Concilium , qu'il n'y a pas de contradiction. Que les phrases «Je ne juge pas» et la répression brutale des Franciscains de l'Immaculée , sans explication , dérivent de la même théologie.

Essayez de bien comprendre cette théologie.
Vous pourriez vous méprendre. Conclure que le fondateur des franciscains a été puni, et son ordre mis sous tutelle, pour le fait d'être orthodoxe, et, comme l'explique Concilium a donc commis «une violence métaphysique».
Vous pourriez croire que les théologiens ou laïcs qui se réfèrent à l'orthodoxie sont suspendus, purgés, expulsés des chaires pontificales et appelés «chauves-souris», parce qu'ils sont accusés d'utiliser la dogmatique de deux mille ans «comme point de référence pour étouffer la liberté de pensé et comme arme pour contrôler et punir»...
Mais si vous pensiez ainsi, vous feriez erreur, vous n'auriez pas encore compris la subtilité et la profondeur de la théologie bergoglienne. Le point clé de cette théologie est «ne pas donner d'explications.» Frapper, épurer, insulter, démettre, sans dire pourquoi. Ceci est la conséquence nécessaire du fait que l'Eglise bergoglienne se veut a-dogmatique. Ayant «dépassé» les dogmes, elle n'a plus à justifier les punitions qu'elle impose en accusant la victime de quelque violation dogmatique ou doctrinale; sinon, on revient à l'ancien système, où l'orthodoxie était utilisée comme une arme pour surveiller et punir. Aujourd'hui, on punit sans donner la raison - la conséquence nécessaire du dépassement de la doctrine est que les sanctions continuent à affluer, mais en silence. On ne peut pas, on ne doit pas donner le motif.

Et dans la nouvelle théologie a-dogmatique, entièrement pastorale et caritative, la bastonnade et la punition s'accordent splendidement, harmonieusement, avec la phrase « qui suis-je pour juger ..?». Que le bastonné se réjouisse: personne ne le juge. On n'instruit plus de procès canonique, on n'élève aucune accusation formelle et formulée dans les mots (à partir de laquelle l'accusé pourrait même essayer de se défendre, cette chauve-souris onctueuse et triste) - nous ne sommes plus aux temps de l'Inquisition, cela, c'est du passé! - Aujourd'hui, on donne des coups à l'aveugle dans le noir, un coup de bâton, et basta. Le bastonné ne demande pas pourquoi. Le pourquoi, on ne peut pas, on ne doit pas l'exprimer. C'est la a-théologie a-dogmatique qui l'exige.

Puisque le chrétien de base d'aujourd'hui doit être constamment «à l'écoute du Pape François» car il est clair qu'il n'écrira jamais une véritable encyclique de sa main, qu'il ne mettra jamais noir sur blanc ce qu'il entend par «vérité» que nous somme obligés de suivre, et mensonge que nous devons fuir; nous devons tirer sa doctrine - qui devient la doctrine de l'Église - de ses paroles. Occasionnelles. Parfois, en marge d'interventions officielles.
...

L'article se poursuit encore longuement, étayant les conjectures de faits tous contrôlables tirés de l'actualité récente, dont la plupart ont été documentés dans ces pages, via Tosatti et Magister: les inimitiés et antipathies du Pape (en particulier le cardinal Scola), les promotions et les démissions, les relations avec la CEI, les "ventriloques" du Pape et autres exégèses de la pensée papale, les rendez-vous annulés au dernier moment.
Blondet consacre à ce sujet un paragraphe (Théologie de la mauvaise éducation!) où il récapitule les derniers engagements non tenus, en particulier la visite manquée à l'hôpital Gemelli.

Prenant acte des rumeurs qui ont couru dans les médias, il ajoute (il n'a pas rencontré les mêmes personnes qu'Arnaud Bédat):

Je suis en mesure de tranquilliser les gens sur la santé du Pape: quand il s'absente, ou quand il pose un lapin, c'est parce qu'il en a envie.
A la curie de Buenos Aires (ndt: où Blondet s'est lui aussi rendu pour "enquêter" sur le Pape Bergoglio), on m'a dit qu'il faisait la même chose quand il était cardinal: une paroisse l'invitait, prêtres et fidèles préparaient l'évènement pendant des mois, et de pieuses femmes préparaient un repas de fête - et lui arrivait au pas de charge, disait la messe au pas de charge, et s'en allait au pas de charge, sans dire un mot, laissant les gens autour de la table tristement dressée.
A la curie de Buenos Aires, ils étaient tous sincèrement surpris de voir à la télé Bergoglio qui, habillé en pape, «sourit! et qui embrasse les enfants!».
Beaucoup me l'ont décrit comme revêche, peu aimable, un arbitre autoritaire qui suscitait plus de peur que de sympathie...

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