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Le malaise d'Alessandro Gnocchi

Sa voix, il y a encore peu de temps associée à celle du regretté Mario Palmaro, était l'une des rares à oser rompre le choeur pro-Bergoglio.
Une interview sur le quotidien "Italia Oggi", à lire absolument (11/10/2014)

>>> Article récent du même: Synode: deux voix discordantes
>>> Dossier complet sur les réserves de Gnocchi et Palmaro à l'égard du Pape François: benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/hommage-a-mario-palmaro

     

Ce pape plaît encore trop

Du synode, un type foi light, pour que l'on puisse se sentir catholique même si ne veut pas l'être: c'est la préoccupation d'Alessandro Gnocchi auteur du livre «Questo Papa piace troppo» (ce Pape plaît trop)
Italia Oggi
Goffredo Pistelli
(ma traduction)
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Dans la bonne l'excellente, la superlative presse dont jouit le Pape François, Il Foglio est une petite tache. Une ombre au tableau presque imperceptible, puisque l'évêque de Rome s'est déjà retrouvé sur la couverture de Time comme homme de l'année, bien qu'à peine élu depuis quelques mois. Pour donner corps à cette petite, minuscule ombre, ils étaient deux, Alessandro Gnocchi et Mario Palmaro, tellement bons, tellement 'pointus' qu'ils ont convaincu le directeur, Giuliano Ferrara, de signer un livre avec eux: «Questo Papa piace troppo» (ed. Piemme) qui reprenait leurs critiques. Le verbe est au passé parce que Palmaro s'en est allé prématurément au printemps dernier, fauché par la maladie; et reste donc Gnocchi, 55 ans journaliste de la province de Bergame, indéfectible voix hors du choeur bergoglien.


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Question. Avec ce Synode extraordinaire sur la famille, qui a débuté dimanche, ce Jorge Bergoglio plaira encore plus?
Réponse. Je prédis que oui. Il fait tout pour y parvenir, et même les déclarations faites à la veille l'illustrent, comme celles sur les pasteurs qui ne peuvent pas charger les pauvres familles de poids qu'ils ne pourraient pas déplacer même avec un doigt.

Q. Comment l'avez-vous interprété? Est-ce une référence à la morale sexuelle?
R. Oui, on veut éliminer de la vie catholique une série de manières de faire, de vivre, de se comporter que le monde, aujourd'hui, considère comme trop lourdes. Manières qui pourtant font partie de la doctrine. Et d'ailleurs, personne ne force son prochain, avec le pistolet sur la tempe, à être catholique. Ce qui pourrait se traduire par une formule.

Q. Laquelle?
R. La tentive est de faire en sorte que l'on peut être catholique même sans l'être vraiment.

Q. Et pourtant, cette église super-inclusive, on a du mal à la voir: les messes continuent à être de moins en moins peuplées.
R. En effet. Le problème objectif, avec le monde d'aujourd'hui, ce n'est pas d'abaisser la barre. Ce n'est pas de cette façon que l'on résoudra le problème. On ne peut pas tout réduire à la communion des divorcés remariés, comme si c'était l'article 18 des catholiques (1).

Q. Pourtant, c'est ce qu'a écrit le directeur adjoint de Il Foglio, Maurizio Crippa, qui est catholique.
R. Oui, mais si l'article 18 est un symbole, le mariage est un sacrement, c'est le cœur de la foi et de la pratique de la foi.

Q. On dit qu'il veut aller à la rencontre des gens ...
R. Oui, mais seulement pour leur faire sentir qu'ils font partie de la communauté: il s'agit d'un choix banalement humain. En ce qui concerne la morale sexuelle, en revanche, on s'attaque de fait au sacrement de la confession, la reconnaissance de ses péchés. Et la messe devient une grande fête qui culmine dans un banquet où il y a de la place pour tout le monde.

Q. N'est-ce pas ce qu'elle devrait être?
R. Non, pas dans le sens que chacun fait ce qu'il veut. Soit dit en passant, si vous amenez un non-croyant à certaines célébrations religieuses, réduites à des happening, il tourne les talons et s'en va. Il y a des endroits beaucoup plus divertissants.

Q. Où réside l'erreur que ferait une bonne partie de l'Eglise?
R. Penser que les gens sont plus naïfs qu'ils ne le sont en réalité. J'ai trois enfants âgés de 18 à 25 ans: on ne se rapproche pas d'eux en simplifiant et en banalisant les choses.

Q. Qu'est-ce qui va se passer au Synode?
R. L'objectif du pape, du cardinal Walter Kasper et de l'Église qui aujourd'hui est majoritaire, est de sortir de cette assemblée avec un mandat pour une pastorale plus libre et plus commode, sans que personne ne puisse dire que la doctrine a été touchée.

Q. Une procuration en blanc, comme chez nous pour le Jobs Act (2).
R. En fin de compte, cela signifie ratifier ce qui se passe déjà: nous en sommes désormais à la pastorale do-it-yourself dans plusieurs paroisses, où les divorcés remariés reçoivent déjà la communion.

Q. Il y a une autre partie de l'Église qui, en revanche, ne semble pas vouloir céder.
R. Oui, il y a des évêques qui se sont manifestés: Walter Brandmüller, Raymond Leo Burke, Carlo Caffara, Velasio De Paolis et Gerhard Ludwig Müller. Vous savez, il ne s'agit pas de «technicité» théologique: pour ceux qui croient, on risque la profanation de l'Eucharistie.

Q. Parmi les critiques de François qui figuraient dans votre livre, avec le recul de plusieurs mois, laquelle vous semble devoir être renforcées?
R. Celle de la médiaticité du pontife. Sur cette ligne, il est allé très loin et la ligne de cette papauté est de faire prévaloir la figure de Jorge Bergoglio sur celle du pape. Il y a un canevas typiquement médiatique, il y a la création de la star, de l'idole. Pourtant, le fait d'être pape devrait porter à autre chose.

Q. Quelle est la plus grande contradiction?
R. L'accent sur le profil bas de Bergoglio. On en parle tellement que la vraie humilité, aujourd'hui, pour lui, serait de se revêtir de toute la splendeur voulue pour se présenter comme le Vicaire du Christ. Un peu comme à l'époque où on mettait ses beaux habits pour aller à la messe le dimanche, comme signe de profond respect.

Q. Dites-moi une chose qui vous plaît, chez ce pape.
R. Il a une grande énergie, y compris intellectuelle, qui se décline dans des expressions qui, à nous occidentaux, paraissent peut-être un peu étrangères, mais qui ne sont certainement pas banales.

Q. Giuliano Ferrara a écrit l'autre jour que peut-être «il poursuit de saints objectifs avec de mauvais moyens». Se pourrait-il que Bergoglio soit tout simplement lui-même, et qu'il n'y ait pas de dessein raffiné de réforme de l'Eglise?
R. Ferrara a étudié toute l'histoire de la Compagnie de Jésus et il dit qu'il est vraiment comme Pierre Favre, le jésuite qu'il a récemment canonisé, donc cœur et sentiment. L'objectif de Bergoglio est certainement de changer la structure de l'Église par cette façon de penser, cette mystique cœur.

Q. J'en déduis que c'est un mal...
R. Oui, un mal parce qu'il obscurcit cette partie rationnelle qui est essentielle au catholicisme.

Q. Foi et raison, pour citer Benoît XVI.
R. Sans raison, on ne va nulle part.

D. Nous assistons à des situations paradoxales: un grand consensus pour Bergoglio et un malaise maximum pour les catholiques. Dimanche dernier, les «Sentinelle in piedi», des gens qui restent immobiles en lisant des livres, pour protester contre les excès de la loi anti-homophobe imminente, ont été agressés (cf. Il faudrait des "veilleurs" aussi au Synode).
R. La pensée, les gestes de ce pape produisent de la haine envers ces gens parce qu'ils sont perçus comme des freins pour l'action libératrice. Avec son «Qui suis-je pour juger les homosexuels», en se désistant devant le monde, le pape les a mis hors-jeu. En restant fermes, des sentinelles debout en fait, ils se sont trouvés hors-jeu, pour parler en termes de football.

Q. Un paradoxe, en effet.
R. Oui, parce que la ligne a reculé: Benoît XVI était plus en avant et il les maintenait dans le jeu.

Q. Que pensez-vous des arguments avancés par Antonio Socci dans son dernier livre, «Non è Francesco» sur l'invalidité de l'élection papale de François?
R. Je n'ai pas la science théologique et canonique pour le dire, et peut-être Socci non plus. Je ne sais pas quelle fiabilité a sa reconstruction, mais elle ne me passionne pas.

Q. Pourquoi?
R. Parce qu'il y a une personne assise sur le trône de Pierre, l'Église me dit que c'est le Pape et je la crois. Après quoi, à mon avis, cette personne répand des idées et accomplit des actes qui nuisent à l'Eglise. A Socci, aussi longtemps que François lui a plu, ces actes et ces idées convenaient.

Q. Et alors?
R. Peut-être que dire qu'il n'a pas été élu est une façon de se sentir libre de le critiquer.

Q. Et au contraire, on peut?
R. Bien sûr, le droit canonique, au §212, reconnaît aux fidèles le droit d'exprimer des réserves «sur ce qui concerne le bien de l'Église» (cf. benoit-et-moi.fr/2013-III/actualites/peut-on-critiquer-le-pape). Et l'infaillibilité pétrinienne est circonscrite: les interviews, par exemple, ne l'engagent pas.

Q. Vous êtes un fervent catholique et ce pape ne vous plaît pas. Et que dire de l'Esprit Saint qui descend sur Conclave? S'est-il trompé?
R. Saint-Vincent de Lérins a dit: certains papes, le Seigneur les donne, d'autres, il les tolèrent, d'autres encore, il les inflige.

Q. Oui, mais vous, en homme de foi, que pensez-vous?
R. Je me donne des réponses, mais je ne peux pas les avoir toutes. Je me fie aveuglèment à la Providence, qui nous pousse à faire ce que nous faisons. Bien sûr, il était plus facile d'être catholique sous Pie XII.

Q. Un sujet sur lequel nous avons beaucoup discuté est la tiédeur de François envers les persécutions dans le monde islamique. Qu'en pensez-vous?
R. L'Eglise d'aujourd'hui, après avoir largué le sens du sacré, est en difficulté dans ses relations avec les autres religions. L'islam est fort et tient ensemble la vie quotidienne et le sacré. Le christianisme, au contraire, s'est mondanisé. Mais s'il ne peut même pas amener les gens à s'agenouiller à la messe, comme peut-on espérer que ces hommes de se dressent face à une autre foi, si agressive?

Q. Que'est-ce qui vous rend le plus amer, en tant que catholique?
R. La désintégration de la liturgie, dont les signes et les mots sont le cœur de la foi. Ce qui vous met à genoux devant la croix. Tout cela a été presque complètement perdu.

Q. Ce n'est pas la faute de Bergoglio, il faut le dire.
R. Non, en effet, cela a commencé beaucoup plus tôt. L'autre aspect est celui de la morale. L'autre jour, un ami, un croyant, qui vit depuis des années dans sa maison, séparé d'avec sa femme, croyante, elle aussi, juste pour avoir accès aux sacrements, m'a dit: «J'ai fait tout cela pendant des années et maintenant on me dit que j'ai été un crétin».

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(1) Allusion à un article du code du travail limitant le recours au licenciement, actuellement remis en cause par le gouvernement Renzi, et objet de vifs débats en Italie (http://www.lepoint.fr/monde/italie-renzi-se-bat-contre-sa-gauche-22-09-2014-1865305_24.php)
(2) Allusion à la même polémique (http://www.lepoint.fr/monde/matteo-renzi-obtient-la-confiance-pour-son-jobs-act-09-10-2014-1870668_24.php)

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