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Le Synode et les médias

Coupable naïveté ou calcul rusé? C'est la question que se pose Russell Shaw, un vieux routier de l'information sur l'Eglise, sur le site américain catholique de tendance "orthodoxe" Catholic world report. Traduction d'Anna (25/10/2014)

C'est une excellente analyse, lucide tout en restant modérée....

>>> Ci-contre: Russell Shaw (biographie)

"The Catholic news report" est un magazine catholique des jésuites et est dirigé par le Père Joseph Fessio qui a aussi fondé la maison d'édition Ignatius.

     

LE SYNODE ET LES MÉDIAS: COUPABLE NAÏVETÉ OU CALCUL RUSÉ
http://www.catholicworldreport.com
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A la fin de 1969, quand je fus nommé directeur des relations avec les médias pour les Evêques américains, je fis vite une découverte importante au sujet de mes nouveaux employeurs. A part une poignée d'exceptions, les évêques étaient péniblement naïfs quant au monde de l'information, convaincus pourtant de pouvoir manipuler les choses afin d'avoir l'histoire racontée comme ils la voulaient.
Ils avaient tort évidemment et finirent par l'apprendre, mais entre-temps leurs tentatives de manipulation furent une source continuelle de confusion, de conflit et d'embarras, pour l'Eglise et pour eux-mêmes.
Ces vieux souvenirs me sont venus à l'esprit alors que j'essayais de donner un sens aux communications chaotiques, pour ne pas dire catastrophiques, provenant du synode sur le mariage et la famille. Pour être franc, ce synode a été un des plus étranges exemples de mauvaise communication de l'Eglise depuis de nombreuses années.

Voici quelques-unes parmi les bourdes: une réunion internationale de plus de 200 personnes que ses managers ont essayé de mener dans le demi-secret après une intense et délibérée montée médiatique; une rencontre supposée oeuvrer sous les principes de la collégialité, produisant en fanfare un document qui traite de sujets très délicats (la fameuse relatio), sans qu'il ait été préalablement revu et approuvé par les évêques dont il affirme refléter les avis, provoquant ainsi leur opposition irritée; des réponses évasives et non réceptives de la part d'importants hommes d'église aux questions des journalistes pendant une conférence de presse cruciale.
Etc., etc..
A la fin, les Pères Synodaux ont colmaté leurs divergences avec un document de clôture d'où étaient éliminés les passages les plus sulfureux de la relatio. Cela fut accompagné par un discours apaisant du pape François, suivi par une standing ovation. Juste comme une grande famille heureuse, sauf qu'elle ne l'était pas.

Il y a deux façons possibles d'expliquer tout cela.

La première est que ce qui s'est passé à Rome était le résultat d'une extrême (et, en l'occurrence, coupable) naïveté de la part d'un petit groupe de participants au synode et du personnel du Vatican qui en étaient responsables.
L'autre est que cela est né d'un calcul rusé, on dirait même cynique, mais finalement contre-productif, visant à mettre devant le fait accompli les évêques qui n'étaient pas dans le cercle intérieur des soi-disant réformateurs.
Par charité je suis pour la première explication - naïveté coupable - mais d'autres verront les choses différemment.
En tous cas, les effets étaient les mêmes: confusion, consternation, rancune, conflit et persistante amertume ont été répandus à tous les niveaux de l'Eglise, de la salle synodale jusqu'aux paroisses locales, pendant que le scandale a été donné à un grand nombre de catholiques loyaux. Bienvenue dans l'Eglise Catholique une et unie cru (cuvée) 2014!

La premiere pièce à conviction dans cette pagaille impie a été la relatio - un rapport sur les délibérations, produit à la mi-synode le 13 octobre. Un texte d'une aussi piètre qualité a rarement été vu.

D'abord une rencontre annoncée comme un examen pastoral de la vie familiale dans le mariage d'aujourd'hui. Et ensuite un document se concentrant sur des gens dans la vingtaine, qui cohabitent, d'autres entre 30 et 40 ans divorcés et remariés, et sur les homosexuels dans les unions de même sexe. Si l'on examine sa prose gélatineuse, les couples mariées hétérosexuels qui font de leur mieux pour gérer les fardeaux de la vie matrimoniale d'aujourd'hui, et s'attendent à un petit encouragement de la part leur Eglise, n'étaient nulle part dans l'écran radar de ce synode.

Beaucoup a été dit ailleurs au sujet des nombreuses insuffisances de ce malencontreux document. Je ne fais ici qu'une remarque, concernant ce qu'il dit et qu'il ne dit pas, de la communication, en d'autres termes.

Le projet de texte (draft) invoque le principe de la "gradualité", c'est à dire, en gros, que les gens procèdent en général vers la conversion par étapes au lieu que par un seul grand bond.
Mais si ce que font les couples qui cohabitent, les catholiques en deuxième mariage sans annulation du premier mariage, et les gens en des unions de même sexe n'est pas si mauvais, pourquoi devraient-ils, même graduellement, s'engager à ne plus le faire et chercher la conversion? Et si c'est vraiment mauvais, pourquoi les cardinaux, archevêques et évêques, les maîtres officiels du message chrétien enfin, ne devraient-ils pas le dire?
Il semble qu'en guérissant les malades, Jésus ait eu l'habitude de leur dire: ne pèche plus. La relatio a beaucoup insisté sur la guérison mais a omis de dire pourquoi ll'objet de sa préoccupation a besoin d'être guéri.

Il n'est pas surprenant que les discussions des petits groupes (circuli minores) qui ont suivi l'inopportune publication de ce très défectueux document aient pris une position unanimement négative à l'égard de la relatio et de sa prétention d'être le résumé vrai et précis des positions des évêques. Un des véritables points culminants du synode a été quand les évêques se sont opposés à la maladroite tentative de son secrétaire général le cardinal Lorenzo Baldisseri de bloquer la publication des rapports des petits groupes.
Finalement le synode a eliminé le pire de la relatio dans son rapport final. Mais à ce point le mal était fait, grâce aux reportages des médias qui ont rendu soigneusement le ton et la substance de la relatio. Le Pape François, dans un geste tardif de transparence, a insisté pour que ce qui avait été éliminé soit malgré tout publié (ndr: on peut y voir la volonté du prince que les sujets qui avaient été recalés par l'Assemblée soient remis sur le taps l'an prochain)

Pendant et depuis le synode j'ai souvent entendu des gens essayer de justifier la relatio: "Ce n'est pas un changement dans la substance, mais dans le ton."
Cela aussi et naïf ou bien d'un cynisme coupable. Il y a un demi siècle McLuhan (*) nous a expliqué que le médium est le message. Le ton dans lequel quelque chose est dit est un élément central du médium et donc du message lui-même. Le changement du ton dans lequel les sujets de la relatio sont discutés change aussi la substance du message.
J'ai aussi souvent entendu dire que les médias ont dramatisé et déformé ce qui se passait dans le synode. Ce n'est qu'un exercice de victimisation. Faire passer (les journalistes) pour des boucs émissaires est une tactique familière, dans l'Eglise et ailleurs, mais cette fois elle ne marche pas. Les médias ont rapporté cette histoire avec précision et avec plus de sensibilité que ne la méritaient les responsables du fiasco. Le blâme est à chercher ailleurs.

L'ineptie, le manque du savoir-faire de la communication ne sont qu'une partie de l'explication, et les responsables du désastre ressemblent ici aux évêques américains de 1969. Les erreurs comprennent aussi une maladroite politique du secret, l'incompétence des porte-paroles dans les rencontres directes avec la presse, la diffusion d'un projet de document qui ne reflétait pas les opinions d'un nombre significatif de ceux qu'il prétendait représenter et une tentative flagrante de faire taire les voix contraires.

L' impression est forte que quelque chose de bien plus inquiétant que l'ineptitude était à l'oeuvre: une intention calculée de manipuler la procédure et de contrôler les résultats pour servir les prétendus réformateurs libéraux. Quelqu'un que je connais s'exprime en ces termes: "La deuxième semaine de ce synode a été pour moi en tant que catholique la plus troublante de toutes, depuis celles juste après l'Humanae Vitae, alors que le désaccord explosait de partout. La différence est que cette fois les dissidents étaient cardinaux et évêques."


Le synode de 2014 était le Premier Acte. L'Acte Deux de ce spectacle sera en octobre prochain avec un synode formulant des recommandation spécifiques. Il sera suivi, probablement en début 2016, d'une synthèse de la part du Pape. Les pressions et les manœuvres pour modeler ces événements seront intenses dans l'année qui vient.

Dans ce contexte, ce qui vient de se passer à Rome peut se révéler une sorte de bénédiction. Grace à leur incompétence et leur zèle le programme des prétendus réformateurs libéraux est révélé. Un vilain spectacle qui nous a été accordé pour un prix terrible, mais au moins le reste de l'Eglise a été mis en garde.

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(*) Marshal McLuhan, 1911-1980, théoricien canadien de la communication (v. Wikipedia)

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