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L'Eglise "miséricordieuse" de François

L'évêque paraguayen démis par le Pape écrit au cardinal Ouellet. Et il laisse percer son amertume (26/9/2014).

>>> Photo vraisemblablement prise lors du'une visite ad limina

>>> Cf. Le Pape, les abus sur mineurs, et Danneels (Marco Tosatti)

C'est l'article de Marco Tosatti qui m'a conduite à m'intéresser à cette affaire, qui ne fera sans doute pas les gros titres en France (encore que la situation de l'Eglise ici décrite pourrait avoir un équivalent chez nous), mais qui me paraît emblématique du nouveau cours.
Comme je l'ai dit, il n'est pas question de nier les fautes de l'évêque (lui-même les confesse humblement, encore faut-il que celles dont on l'accuse aient effectivement été commises), mais de relever la contradiction entre le «qui suis-je pour juger» présentant au monde l'image d'un Pape plein de bonté et de "miséricorde", et l'arbitraire de la décision qui frappe l'évêque, alors qu'il n'a eu aucun moyen de se justifier auprès de François.
Cette lettre a été reproduite sur un site en espagnol, et traduit en italien sur le site Chiesa e post-concilio, qui souligne:

Le modus operandi lui-même, de «coup d'Etat», n'est pas très catholique! Mgr Livieres est encore à Rome et l'annonce de sa destitution a eu lieu en son absence. Hier matin, des «envoyés» du Saint-Siège non spécifiés, accompagnés par les forces de police (!!!) ont pris possession de l'archidiocèse qui serait maintenant gardée par des forces de sécurité, armées. La mère de l'évêque, âgée de 89 ans, a été éloignée et le bâtiment a été verrouillé avec des cadenas.

Un détail non dénué de signification: la notice wikipedia en français de Mgr Livieres a été mise à jour à la vitesse de l'éclair, s'appuyant en particulier sur un article de l'AFP reproduit sur le portail d'Orange (!!).
Je trouve donc juste de donner la parole à la défense!

On observera que la lettre est d'une grande dignité - même dans sa sévérité envers le pape - mais que l'évêque garde un ton déférent et amical en s'adressant au cardinal Ouellet.

     

La lettre de Mgr Rogielo Rivieres

25 Septembre 2014
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Votre Eminence,

Je vous remercie pour la cordialité avec laquelle vous m'avez reçu le lundi 22 et le mardi 23 du mois courant, dans le Dicastère que vous présidez. Et aussi pour la communication téléphonique récente sur la décision du Pape de déclarer vacant le siège du diocèse de Ciudad del Este, nommant Mgr Ricardo Valenzuela Administrateur apostolique.

J'ai appris que le Nonce, presque simultanément avec l'annonce que Votre Eminence allait me faire, a tenu une conférence de presse au Paraguay et est en route vers le diocèse, pour en prendre le contrôle immédiat. L'annonce publique par le Nonce avant la notification écrite du décret est une irrégularité de plus dans ce processus anormal. On peut penser que l'intervention fulgurante sur le diocèse est dûe à la crainte de la réaction négative de la majorité des fidèles, puisqu'ils ont exprimé leur soutien pour ma personne et ma gestion lors de la visite apostolique. En ce sens, je me souviens des paroles d'adieu du cardinal Santos y Abril (le visiteur apostolique dont la notice wikipedia vient elle aussi d'être mise à jour!): «J'espère qu'ils accepteront les décisions de Rome avec la même ouverture et la même docilité avec laquelle ils m'ont accueilli». M'indiquait-il ainsi que le cours de l'action avait déjà été décidé avant l'information finale et l'examen du Saint-Père? En tout cas, aucune rébellion n'est à craindre. Les fidèles ont été formés dans la discipline de l'Église et ils savent obéir à l'autorité légitime.

Nos conversations et, apparemment, puisqu'on ne les a pas vus, les documents officiels, expriment comme justification d'une décision aussi grave, la tension dans la communauté ecclésiale entre les évêques du Paraguay d'une part, ma personne et mon diocèse de l'autre: «nous ne sommes pas en communion», aurait déclaré le Nonce dans sa conférence.

Pour ma part, je crois que j'ai démontré que les attaques et les manœuvres visant à la destitution dont j'ai fait l'objet ont déjà commencé dès ma nomination comme évêque (ndt: en 2004), avant même que je pose le pied dans le diocèse - comme il ressort de la correspondance de l'époque entre les évêques du Paraguay et le Dicastère que votre Eminence préside, comme preuve probante de ce fait. Mon cas n'était pas l'unique dans lequel une Conférence épiscopale s'est systématiquement opposée à une nomination faite par le pape, et déclarée contre sa pensée. Dans mon cas, j'ai eu la grâce que les papes Jean-Paul II et Benoît XVI m'aient soutenu pour que je puisse continuer. Je dois en déduire qu'à présent, le pape François a décidé de me révoquer ce soutien.

Je voudrais simplement souligner que je n'ai jamais reçu de détails écrits sur la Visite apostolique et, par conséquent, je n'ai pas pu répondre de façon appropriée. En dépit de tous les discours sur le dialogue, la compassion, l'ouverture, la décentralisation et le respect de l'autorité des Églises locales, je n'ai même pas eu l'occasion de parler avec le pape François, au moins pour lui éclaircir certains doutes ou inquiétudes. Par conséquent, je n'ai pas pu recevoir une correction paternelle - ou fraternelle, si vous préférez - de sa part. Sans intention de plaintes inutiles, cependant, une telle procédure informelle, selon des modalités indéfinies et subies, ne me semble pas juste, ne laisse place ni à une défense légitime, ni à la correction adéquate d'erreurs possibles. J'ai seulement reçu des pressions orales pour me pousser à renoncer.

Que mes adversaires et la presse locale aient été récemment informés à travers les médias, non pas de ce qui s'était passé, mais de ce qui se passerait, jusque dans le moindre détail, est sans aucun doute un autre signe que quelque haute autorité du Vatican, le nonce apostolique et certains évêques dans le pays manœuvraient de manière orchestrée, mouchardant de manière irresponsable pour «orienter» le cours de l'action et l'opinion publique.

Comme fils obéissant de l'Église, néanmoins, j'accepte cette décision, bien que je la considére infondée et arbitraire, et dont le pape devra rendre compte à Dieu plus qu'à moi.
Au-delà des nombreuses erreurs humaines que j'ai commises, et pour lesquelles je demande déjà pardon à Dieu et à ceux qui ont souffert, j'affirme une fois de plus à ceux qui veulent écouter que le fond de l'affaire a été une opposition et une persécution idéologique.

La véritable unité de l'Église, on l'édifie à partir de l'Eucharistie et du respect, de l'observance et de l'obéissance à la foi de l'Église enseignée de façon normative par le Magistère, articulée dans la discipline de l'Eglise et vécue dans la liturgie. Aujourd'hui, cependant, on cherche à imposer une unité fondée non pas sur la loi divine, mais sur des accords humains et le maintien du statu quo. Au Paraguay, concrètement, sur la formation insuffisante d'un unique séminaire national - les insuffisances ont été signalées non par moi, mais d'autorité, par la Congrégation pour l'éducation catholique dans la lettre aux évêques de 2008. Par contre, et sans critiquer ce que font les autres évêques, même si il y aurait matière en abondance, j'ai essayé de mettre en place un séminaire diocésain selon les normes de l'Église. Je l'ai fait aussi, non seulement parce que j'en ai le devoir et le droit, reconnu par les lois générales de l'Église, mais avec l'approbation spécifique du Saint-Siège, ratifiée de façon non équivoque lors de la dernière visite ad limina, en 2008.

Notre séminaire diocésain a donné d'excellents fruits reconnus par les récentes communications élogieuses du Saint-Siège à au moins trois reprises durant le pontificat précéden
t, de la part des évêques qui nous ont rendu visite et, finalement, des Visiteurs apostoliques. Toutes les indications données par le Saint-Siège en ce qui concerne les améliorations sur la façon de faire avancer le séminaire, ont été fidèlement exécutées.

L'autre critère d'unité ecclésiale est la coexistence acritique entre nous, basée sur l'uniformité de pensée et l'action - ce qui exclut les dissenssions dans la défense de la vérité - et la légitime variété des dons et des charismes.

Cette uniformité idéologique est imposée par l'euphémisme de la «collégialité».

Ceux qui souffrent des conséquences de ce que je décris, ce sont les fidèles, puisque les Églises particulières sont maintenues dans un état de létargie, avec un grand exode vers d'autres confessions, presque sans vocations sacerdotales ou religieuses, et avec peu d'espoir d'un dynamisme authentique et d'une croissance durable.

Le vrai problème de l'Eglise au Paraguay est la crise de foi et de vie morale qu'une mauvaise formation du clergé perpétue, associée à la négligence des pasteurs. Donc, cette réduction problématique de la vie de foi aux idéologies à la mode, avec le relâchement complice de la vie et de la discipline du clergé, n'est qu'un signe des temps.
Comme je l'ai dit, il ne m'a pas été donné de recevoir des informations du cardinal Santos y Abril sur la Visite apostolique. Mais s'il pensait que le problème de l'Eglise au Paraguay était un problème de sacristie qui se résout en changeant de sacristain, il serait tragiquement et profondément dans l'erreur.

L'opposition à tout renouveau, tout changement dans l'Église au Paraguay a eu non seulement sa raison dans les évêques, mais aussi le soutien de groupes politiques et associations anti-catholiques, en plus avec l'appui de certains religieux de la Conférence des Religieux du Paraguay - ceux qui connaissent la crise de la vie religieuse dans le monde n'en seront pas surpris.
Tout cela est fait avec l'intention de montrer des «divisions» dans Église diocésaine. Mais la vérité démontrée et prouvée, c'est la large acceptation par les laïcs du travail que nous avons effectué.

De la même manière qu'avant d'accepter ma nomination comme évêque, j'ai ressenti le besoin d'exprimer mon sentiment d'incapacité devant une si grande responsabilité, après avoir accepté la charge, avec tout le poids de l'autorité divine et les droits et devoirs qui m'incombent, j'ai maintenu la grande responsabilité morale d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. C'est pourquoi j'ai refusé de renoncer de ma propre initiative, voulant témoigner jusqu'à la fin de la vérité et de la liberté spirituelle qu'un pasteur doit avoir. Un travail qui, je l'espère, se poursuivra maintenant dans ma nouvelle situation au service de l'Église.

Nous devons considérer que le diocèse de Ciudad del Este a grandi et multiplié ses fruits dans tous les aspects de la vie ecclésiale, pour la joie du peuple fidèle et dévot qui cherche les sources de la foi et de la vie spirituelle, et non des idéologies politisées et des croyances diluées qui s'adaptent aux opinions dominantes.
Ce peuple a ouvertement et publiquement exprimé son soutien au travail apostolique que nous avons effectué. Le peuple et moi avons été ignorés et rejetés.

Votre très affectionné dans le Christ,
+ Rogelio Livieres
Ex-évêque de Ciudad del Este (Paraguay)

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