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Les enjeux du Synode sur la famille

Excellente analyse de Stefano Fontana, sur La Bussola aujourd'hui. La bataile se jouera sur le thème de la primauté accordée à la doctrine, ou à la pastorale. Et, sans changer la doctrine, on pourrait voir émerger un "esprit du Synode" (23/7/2014)

     

La grande question (sur laquelle nous craignons d'avoir déjà des indications) est évidemment: de quel côté penche le Pape? Un Pape pour qui, au moins si l'on en juge par ses gestes et ses paroles jusqu'à présent, la doctrine passe au second plan (cf. La théologie papale)

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A noter:

En réponse au cardinal Kasper, la revue culturelle suisse Nova & Terra a mis en ligne un argumentaire multilingue, signé par huit théologiens américains, dont sept dominicains, et intitulé "Récentes propositions pour l'accompagnement pastoral des personnes divorcées et remariées: Evaluation théologique".
Version en français ici: nvjournal.net/files/essays-front-page/recentes-propositions-evaluation-theologique.pdf

     

SYNODE FAMILLE, LES ENJEUX SONT AILLEURS
Stefano Fontana
http://www.lanuovabq.it
23 juillet 2014
(ma traduction)
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Le prochain Synode sur la famille est attendu par beaucoup avec une certaine inquiétude. On a le sentiment de deux courants de pensée qui, dans ce contexte, se mesurent entre eux. Dans cette phase pré-synodale, après l'exposé du cardinal Walter Kasper, les deux courants préparent leurs troupes, élaborant des stratégies et des tactiques.
Beaucoup résolvent le problème en se fiant au pape, qui, dit-on, tirera ensuite les conclusions et fera la synthèse. Mais le pape n'est pas là pour faire une synthèse entre deux ou plusieurs concurrents sur le terrain, il n'est pas un faiseur de paix, le médiateur d'un débat télévisé, ni le secrétaire d'un parti capable de faire la synthèse entre les courants.

L'inquiètude ne s'atténue pas, mais elle augmente même à mesure que nous approchons de la date du début du Synode, pour une raison simple à identifier, mais profonde, et difficile à démêler dans sa complexité.
Cette source d'incertitude et d'inquiètude est le rapport entre doctrine et pastorale,
qui autrefois s'appelaient théorie et pratique et qui aujourd'hui est souvent appelé vérité et miséricorde. Le thème du Synode, on le sait, est la famille et le mariage. En particulier, l'attention se concentrera sur le thème de la communion pour les divorcés remariés.
Cependant, à bien y regarder, le thème réel, sur lequel se jouera - humainement parlant - la bataille est précisément celui de la doctrine et de la pastorale. Sur ce thème, les jeux tactiques sont en train dedonner le meilleur d'eux-mêmes et la rhétorique du langage théologique fait déjà des étincelles.

Ceux qui réaffirment avec insistance la doctrine sur le mariage et disent, sûrs d'eux, que le Synode ne pourra pas la changer - dernier en date le Cardinal Collins, de Toronto - affirment une vérité qui, littéralement, convient aussi aux partisans de la ligne Kasper, l'avant-garde du changement. En effet, eux aussi disent que la doctrine ne peut pas être touchée, mais que de nouvelles attitudes pastorales sont néanmoins urgentes. Tout le monde sait, cependant, que dans certains cas, de nouvelles attitudes pastorales expriment une nouvelle conception de la doctrine. Les progressistes assurent vouloir seulement des changements pastoraux, et non doctrinaux, mais ni eux ni leurs adversaires ne croient vraiment qu'ils seront seulement pastoraux.
Ce faisant, cette phase pré-synodale ne parvient pas à clarifier grand-chose malgré l'énorme quantité de discours et de déclarations, y compris de haut niveau, à la fois pour le contenu et pour les auteurs.

Le fait est que, sur la relation doctrine-pastorale, il existe aujourd'hui de nombreuses visions, qui peuvent sommairement se réduire à deux. Pour l'une, la pastorale dépend de la doctrine (théologie de la pastorale), pour l'autre, la pastorale ne fait qu'un avec la doctrine ou même vient en premier (théologie pastorale). Le Magistère a toujours clairement fait savoir que la version correcte est la première. Mais la pratique théologique dominante est désormais, et depuis longtemps, la seconde. Ces deux visions seront aussi en compétition lors du prochain Synode. Nous pourrions aussi définir les deux visions comme une vision métaphysique pour la première et une vision herméneutique pour la seconde.

Et en effet, dans la théologie d'aujourd'hui, métaphysique et herméneutique sont en lutte. L'un des derniers soutiens autorisés de la vision métaphysique a été Joseph Ratzinger-Benoît XVI, pour lequel la rencontr de la foi chrétienne avec la pensée grecque a été providentielle (ndt: cf. en particulier, le discours de ratisbonne). Mais même en lisant Fides et ratio, le choix pour la métaphysique à la place de l'herméneutique ne fait pas de doute.
Au cours de la période post-conciliaire, cependant, et en compétition avec le magistère officiel, l'autre vision, celle herméneutique, est devenue à la mode.

La vision de la primauté de la doctrine sur la pastorale a besoin de l'instrument de la métaphysique, qui permet de comprendre la foi comme véritable connaissance de la vérité échappant au temps, bien qu'ayant des répercussions historiques fondamentales.
La vision de la primauté de la pastorale sur la doctrine a besoin, au contraire, de l'instrument de l'herméneutique, parce qu'ici, la vérité est comprise comme quelque chose à découvrir et aussi à faire. La vérité de la foi ne nous aurait pas été donnée dans un sens transcendant, métaphysique et définitoire, mais existentiellement, dans les relations spatio-temporelles. Font alors partie des vérités révélées, à la fois l'annonce et la réception de l'annonce dans un cercle, justement, herméneutique.
Déjà lors du Concile, on avait vu émerger le problème sur lequel s'étaient accumulés par la suite de nombreux malentendus. En effet, il est tout de suite devenu évident que le désir de Jean XXIII de maintenir fermement la doctrine et de penser à la reproposer de façon nouvelle présupposait la primauté de la doctrine sur la pastorale. Mais, principalement en raison de l'influence de Karl Rahner, la vision de la primauté de la pastorale sur la doctrine a très vite émergé, produisant des changements doctrinaux à partir d'exigences pastorales.

Les choses se passeront-elles ainsi lors du prochain Synode sur la famille? Il y a une forte probabilité que l'équivoque continue à cette occasion.
Jusqu'ici, je n'ai pas vu d'interventions visant à éclaircir le vrai thème du Synode, précisément la relation entre doctrine et pastorale.
Dans cette zone nébuleuse, on pourra introduire de nouveaux équivoques, on pourra même voir naître un «esprit du Synode» - en quelque sorte déjà en place avec l'aide des médias - en faisant passer des innovations doctrinales non pas à travers la modification explicite de la doctrine, mais à travers une pratique pastorale renouvelée.

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