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Les fumées de Satan

Reprise: l'homélie prophétique de Paul VI, en 1972 (14/10/2014)

J'ai retrouvé, sur le site du Saint-Siège l'homélie, prononcée par le Pape le 29 juin 1972, en la solennité des Saints Pierre et Paul, pour célébrer le début de la dixième année de son Pontificat: enfin, pas exactement l'homélie, comme nous trouvons aujourd'hui celles de Benoît XVI, mais un compte rendu mot-à-mot, qui a sans doute été rédigé récemment.
Le texte n'est disponible qu'en italien, et j'en ai traduit la plus grande partie, qui suit les habituelles salutations d'ouverture. Il est d'une stupéfiante actualité.
(Benoit-et-moi, 15/7/2012)

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L'Église de Jésus, l'Eglise de Pierre
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Paul VI [dit] ne pas vouloir parler, dans son bref discours, de lui, de Saint-Pierre, parce que ce serait trop long et peut-être superflu pour ceux qui en connaissent déjà l'histoire merveilleuse, ni de lui-même, dont parlent déjà trop la presse et la radio, auxquelles par ailleurs il exprime sa reconnaissance. Voulant parler plutôt de l'Eglise, qui, à ce moment-là et de cette place, semble apparaître devant ses yeux comme détendue dans son paysage vaste et compliqué, il se limite répéter un mot de l'Apôtre Pierre, dans sa première lettre, recueillie dans le canon des écrits du Nouveau Testament. Ce beau message, adressé de Rome aux premiers chrétiens de l'Asie Mineure, d'origine en partie juive, en partie païenne, comme pour prouver dès lors l'universalité du ministère apostolique de Pierre, a un caractère paranétique (ndt :qui vise à rappeler des vérités fondamentales certaines concernant la loyauté envers Dieu), c'est à dire d'exhortation, mais ne manque pas d'enseignements doctrinaux, et la parole citée par le Pape en fait justement partie, au point que le récent Concile l'a mise à profit pour ses enseignements distincts. Paul VI invite à l'écouter comme prononcée par saint Pierre lui-même pour ceux à qui il s'adressait à l'époque.

Après avoir rappelé le passage de l'Exode qui raconte comment Dieu, parlant à Moïse avant de lui remettre la loi, dit: «Je ferai de ce peuple, un peuple sacerdotal et royal», Paul VI déclare que Saint Pierre a pris ce mot si exaltant, si grand et l'a appliqué au nouveau peuple de Dieu, héritier et successeur de l'Israël de la Bible, pour former un nouvel Israël, l'Israël du Christ. Saint-Pierre dit: Ce sera le peuple sacerdotal et royal qui glorifiera le Dieu de miséricorde, le Dieu du salut.

Ce mot, observe le Saint-Père, a été mal compris par certains, comme si le sacerdoce était uniquement un ordre, c'est-à-dire communiqué à ceux qui sont inclus dans le Corps mystique du Christ à ceux qui sont chrétiens. Cela est vrai à l'égard de ce qui est considéré comme le sacerdoce commun, mais le Concile nous dit, et la tradition nous l'avait déjà enseigné, qu'il y a un autre degré du sacerdoce, le sacerdoce qui a des facultés, des prérogatives spéciales et exclusives.

Mais ce qui concerne tous, c'est le sacerdoce royal et le pape insiste sur la signification de cette expression. Sacerdoce signifie la capacité d'adorer Dieu, de communiquer avec lui, de lui offrir quelque chose de digne en son honneur, de parler avec lui, de le chercher toujours dans une profondeur nouvelle, une découverte nouvelle, un amour nouveau. Cet élan de l'humanité vers Dieu, qui n'est jamais tout à fait atteint, ni suffisamment connu, est le sacerdoce de ceux qui sont entrés dans l'unique Prêtre, qui est le Christ, après l'inauguration du Nouveau Testament. Celui qui est chrétien est ainsi doté de cette qualité, ce privilège d'être en mesure de parler au Seigneur, en termes réels, comme de père à fils.

La nécessité de parler avec Dieu
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«Audemus dicere»: nous pouvons vraiment célébrer, devant le Seigneur, un rite, une liturgie de la prière commune, une sanctification de la vie, y compris profane qui distingue le chrétien de ceux qui ne sont pas chrétiens. Ce peuple est distinct, même s'il est mélangé au milieu de la grande marée de l'humanité. Il a sa propre distinction, une caractéristique unique. Saint Paul se dit «segregatus», détaché, séparé du reste de l'humanité justement parce qu'investi de prérogatives et de fonctions qui n'ont pas de ceux qui n'ont pas la chance extrême et l'excellence d'être membres du Christ.

Paul VI ajoute, par conséquent, que les fidèles qui sont appelés à la filiation de Dieu, à la participation au Corps mystique du Christ, et sont animés par l'Esprit Saint, et faits temple de la présence de Dieu, doivent exercer ce dialogue, cet échange, cette conversation avec Dieu dans la religion, dans le culte liturgique, dans le culte privé, et étendre le sens du sacré aussi aux actions profanes. «Que vous mangiez ou buviez - dit saint Paul - faites-le pour la gloire de Dieu». Et il le dit à plusieurs reprises dans ses lettres, comme pour revendiquer pour le chrétien la capacité de fonder quelque chose de nouveau, d'éclairer, de sanctifier, même les choses temporelles, externes, transitoires, profanes.

Nous sommes invités à donner au peuple de Dieu, qui s'appelle Eglise, un sens vraiment sacré. Et nous nous sentons la nécessité de contenir la vague de profane, de sécularisation qui monte et qui veut confondre et recouvrir le sens religieux dans le secret du cœur, dans la vie privée ou même dans les affirmations de la vie extérieure. Il y a une tendance aujourd'hui à dire qu'il n'y a pas lieu de distinguer un homme d'une autre, qu'il n'y a rien qui puisse faire cette distinction. Et même, on tend à rendre à l'homme son authenticité, son 'être' comme tout le monde. Mais l'Église, et aujourd'hui Saint Pierre, rappelant le peuple chrétien à la conscience de soi, lui disent qu'il est le peuple élu, distincts, «acquis» par le Christ, un peuple qui devrait avoir une relation spéciale avec Dieu, un sacerdoce avec Dieu. Cette sacralisation de la vie ne doit pas être aujourd'hui effacée, expulsée de la coutume et de la réalité de tous les jours, presque comme si elle ne devrait plus y figurer.

Sacralité du Peuple chrétien
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Nous avons perdu, note Paul VI, l'habit religieux, et de nombreuses autres manifestations extérieures de la vie religieuse. Sur ce point, il y a beaucoup à discuter, beaucoup à concéder, mais il faut maintenir le concept, et avec le concept, aussi quelque signe de la sacralité du peuple chrétien, c'est à dire ceux qui sont incorporés au Christ, Prêtre suprême et éternel.

Aujourd'hui certains courants sociologiques ont tendance à étudier l'humanité en dehors de ce contact avec Dieu. La sociologie de Saint Pierre, au contraire, la sociologie de l'Eglise, pour étudier les hommes, met en évidence justement cet aspect sacré, de conversation avec l'ineffable, avec Dieu, avec le monde divin. Cela doit être affirmé dans l'étude de toutes les différences humaines. Aussi hétérogène que se présente le genre humain, nous ne devons pas oublier cette unité fondamentale que le Seigneur nous confère, quand il nous donne la grâce: nous sommes tous frères en Jésus-Christ lui-même. Il n'y a plus ni Juif ni Grec, ni Scythe, ni Barbare, ni homme ni femme. Nous sommes tous un en Christ. Nous sommes tous sanctifiés, nous participons tous à ce degré d'élévation surnaturel que le Christ nous a conféré. Saint Pierre nous le rappelle: c'est la sociologie de l'Eglise que nous ne devons pas oblitérer ni oublier.
Sollicitude et affection pour les faibles et les désorientés
Paul VI se demande ensuite si l'Eglise d'aujourd'hui peut se confronter avec tranquillité avec les paroles que Pierre a laissées en héritage, qu'il propose à la méditation. «Rappelons-nous en ce moment avec un immense amour - dit le Saint-Père - de tous nos frères qui nous quittent, des nombreuses personnes qui fuient ou oublient, de ceux qui peut-être même n'ont jamais pris conscience de la vocation chrétienne, même si elles ont reçu le Baptême. Comme nous voudrions vraiment tendre les mains vers eux, et leur dire que le cœur est toujours ouvert, que la porte est accessible, et comme nous aimerions les faire participer à la grande, ineffable fortune de notre bonheur d'être en communication avec Dieu, qui ne nous enlève rien de la vision temporelle et du réalisme positif du monde extérieur»

Peut-être que cette communication avec Dieu, nous oblige à des renoncements, à des sacrifices, mais alors qu'il nous prive de quelque chose, il multiplie ses dons. Oui, il nous impose des renoncements, mais il nous donne en surabondance d'autres richesses. Nous ne sommes pas pauvres, nous sommes riches parce que nous avons la richesse du Seigneur. «Eh bien - ajoute le pape - nous voudrions dire à ces frères, dont nous sentons presque la déchirure dans les entrailles de notre âme sacerdotale, combien ils nous sont présents, combien maintenant, et toujours, et plus, nous les aimons et combien nous prions pour eux et combien nous cherchons par cet effort qui les poursuit, les entoure, à mettre fin à l'obstacle qu'eux-mêmes mettent à notre communion avec le Christ».

Se référant à la situation de l'Eglise d'aujourd'hui, le Saint-Père affirme avoir le sentiment que «par quelque fissure, la fumée de Satan est entrée dans le temple de Dieu». Il y a le doute, l'incertitude, la problématique, l'agitation, l'insatisfaction, l'affrontement. On n'a plus confiance en l'Eglise; on fait confiance au premier prophète profane qui vient nous parler dans quelque journal ou par quelque slogan social, pour le poursuivre et lui demander s'il a la formule de la vraie vie. Et nous ne réalisons pas que nous en sommes au contraire les propriétaires et les maîtres. Le doute est entré dans nos esprits, et il est entré par les fenêtres qui devaient être ouvertes à la lumière. De la science, qui est faite pour nous donner des vérités qui ne détachent pas de Dieu, mais nous le font rechercher encore plus et célébrer avec plus d'intensité, est venue au contraire la critique, est venu le doute. Les scientifiques sont ceux qui courbent le front le plus pensivement et le plus douloureusement. Et ils finissent par enseigner: «Je ne sais pas, nous ne savons pas, nous ne pouvons pas savoir». L'école devient apprentissage de confusion et de contradictions parfois absurdes. On célèbre le progrès, pour pouvoir ensuite le démolir avec les révolutions les plus étranges et les plus radicales, pour nier tout ce qui a été conquis, pour revenir au début après avoir tellement exalté les progrès du monde moderne.

Dans l'Église aussi règne cet état d'incertitude. On croyait qu'après le Concile, il y aurait une journée ensoleillée dans l'histoire de l'Eglise. Il est venu à la place une journée de nuages, de tempête, de ténèbres, de recherche, et d'incertitude. Nous prêchons l'œcuménisme et nous nous détachons de plus en plus des autres. Nous essayons de creuser des abysses plutôt que de les combler.


Pour un «credo» vivifiant et rédempteur
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Comment cela est-il arrivé?
Le pape confie aux personnes présentes une pensée qu'il a eue: qu'il y ait eu l'intervention d'un pouvoir adverse. Son nom est le diable, cet être mystérieux auquel il est également fait allusion dans l'Épître de saint Pierre. Plusieurs fois, par ailleurs, dans l'Evangile, sur les lèvres du Christ, revient la mention de cet ennemi de l'humanité. «Nous (ndt: il s'agit du pluriel "de majesté") croyons - observe le Saint-Père - en quelque chose de surnaturel venu dans le monde justement pour troubler, pour étouffer les fruits du Concile œcuménique, et pour empêcher l'Eglise de déborder de la joie de revenir à la pleine conscience de soi. C'est justement pour cela que nous voudrions pouvoir, plus que jamais en ce moment, exercer la fonction assignée par Dieu à Pierre, de confirmer les frères dans la Foi. Nous voudrions vous communiquer ce charisme de la certitude que le Seigneur donne à celui qui le représente sur cette terre». La foi nous donne la certitude, la sécurité, quand elle est basée sur la Parole de Dieu acceptée et consentie avec notre raison elle-même, et notre esprit humain lui-même. Celui qui croit avec simplicité, humilité, sent qu'il est sur la bonne voie, qu'il a un témoignage intérieur qui le renforce dans la difficile conquête de la vérité.

Le Seigneur, conclut le Pape, se montre Lui-même lumière et vérité à ceux qui l'acceptent dans sa Parole, et Sa Parole devient non plus obstacle à la vérité et au chemin vers l'"être", mais plutôt une marche sur laquelle nous pouvons monter et être vraiment conquérants du Seigneur qui se montre à travers le chemin de la foi, cette anticipation et assurance de la vision définitive.

En mettant l'accent sur un autre aspect de l'humanité de notre temps, Paul VI rappelle l'existence d'un grand nombre d'âmes humbles, simples, pures, droites, fortes, qui suivent l'invitation de Saint-Pierre à être «forts dans la foi». Et nous voudrions que cette force de la foi, cette certitude, cette paix triomphe sur tous les obstacles.

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