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Les mémoires de Louis Bouyer

"Les mémoires enflammés du converti que Paul VI voulait faire Cardinal", vus par Sandro Magister (17/9/2014)

>>> Ci-contre, la fiche-éditeur du livre: www.editionsducerf.fr
>>> Cf. L'estime mutuelle de deux théologiens (Monique)

>>> Voir aussi la "critique" du livre par Etienne de Montety pour le Figaro.

     

Récemment, Monique attirait notre attention sur la sortie des mémoires de Louis Bouyer, dans lequel le théologien ex-luthérien converti au catholicisme, épris de belle liturgie, racontait comment il avait rencontré le jeune Joseph Ratzinger lors des travaux du Concile, et la sympathie mutuelle qu'ils avait spontanément ressentie.
Une autre lectrice, Anne-Marie B, me signalait un peu plus tard:

Je reviens sur les Mémoires de Louis Boyer, dont vous avez signalé le 24 août dernier les propos d'estime envers Joseph Ratzinger, pour vous signaler que tout le chapitre dédié au Concile Vatican II («Autour d'un Concile») est particulièrement intéressant et illuminant. En particulier, à propos des manigances d'Annibale Bugnini (dont Piero Marini était secrétaire, et dont on parle pour remplacer le cardinal Cañizares au Culte divin) pour extorquer l'accord de Paul VI à ses réformes et manipulations de la liturgie.

Louis Bouyer est justement le sujet du dernier billet de Sandro Magister sur son blog personnel <Settimo Cielo>. Est-ce un hasard si presque simultanément, sur son blog multilingue <Chiesa>, il confirme la «dé-Ratzingérisation» en cours, avec la disgrâce du Cardinal Burke, lui aussi amoureux de la liturgie et réputé proche du Pape émérite, nommé à la tête de l’Ordre Souverain et Militaire de Malte, un placard doré qui l'écarte totalement de la Curie (http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350870?fr=y )

     

LES MEMOIRES ENFLAMMÉS DU CONVERTI QUE PAUL VI VOULAIT FAIRE CARDINAL
http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2014/09/16/le-fiammeggianti-memorie-del-convertito-che-paolo-vi-voleva-far-cardinale/
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Paul VI fut sérieusement sur le point de le faire cardinal, s'il n'avait été retenu par la féroce réaction d'opposition que sa nomination aurait certainement provoquée parmi les évêques français, avec en tête celui qui était alors archevêque de Paris et président de la conférence des évêques, le cardinal François Marty, un personnage d'«ignorance crasse» et «dépourvu de la plus élémentaire capacité de jugement».

Celui qui a manqué la pourpre et qui estampille ainsi l'un de ses ennemis jurés, c'est le grand théologien et liturgiste Louis Bouyer (1913-2004), comme nous l'apprenons de ses flamboyants «Mémoires» publiés à titre posthume cet été par les Éditions du Cerf dix ans après la sa mort.

Grandi luthérien et devenu pasteur à Paris, Bouyer se convertit au catholicisme en 1939, attiré plus que tout par sa liturgie, dont il se signale bientôt comme un génial admirateur avec son essai chef-d'œuvre «Le mystère pascal» sur les rites de la Semaine Sainte.

Appelé à faire partie d'une commission préparatoire au Concile Vatican II, Bouyer en saisit d'emblée à l'œil nu les grandeurs mais aussi les misères, et très vite, ils s'en retira. Il trouvait insupportable l'œcuménisme à bon marché, d'«Alice au pays des merveilles», de cette saison rugissente.
Parmi les quelques théologiens du Concile sauvés par lui, il y a le jeune Joseph Ratzinger, qui dans le livre est évoqué seulement par des louanges. Et inversement, parmi les rares ecclésiastiques de haut rang qui ont apprécié à première vue, le talent et les mérites de ce théologien et liturgiste tellement hors des schémas, se détache Giovanni Battista Montini, quand il était encore archevêque de Milan.

Devenu pape sous le nom de Paul VI, Montini voulut Bouyer dans le Conseil pour la réforme des livres liturgiques, présidé «en théorie» par le cardinal Giacomo Lercaro, «généreux», mais «incapable de résister aux manœuvres du scélérat et mielleux» Annibale Bugnini, secrétaire et factotum du même organisme, «dépourvu de culture autant que d'honnêteté».

Il arriva à Bouyer de devoir remédier in extremis une horrible formulation de la nouvelle prière eucharistique II, de laquelle Bugnini voulait effacer même le «Sanctus». Et il dut réécrire un soir, sur la table d'une trattoria du Trastevere, avec le liturgiste bénédictin Bernard Botte, le texte de ce nouveau canon qui est aujourd'hui lu durant les messes, avec le souci de devoir livrer le tout le lendemain matin.

Mais le pire, c'est quand Bouyer rappelle le péremptoire «C'est le pape qui le veut» par lequel Bugnini avait l'habitude de faire taire les membres de la commission chaque fois qu'on s'opposait à lui, par exemple pour démanteler la liturgie des défunts ou pour purger les psaumes des versets «imprécateurs» dans l'office divin.

Paul VI, conversant ensuite avec Bouyer d'une de ces réformes «que le pape s'était trouvé à approuver sans en être satisfait plus que moi» lui demanda: «Mais pourquoi vous êtes vous entêtés dans cette réforme?». Et Bouyer: «Mais parce que Bugnini nous a assuré que vous la vouliez absolument». Et Paul VI: «Mais comment est-ce possible? Il m'a dit que vous étiez unanimes à l'approuver...».

Paul VI exila le "méprisable" Bugnini à Téhéran comme nonce, rappelle Bouyer dans ses «Mémoires», mais alors que le mal était déjà fait. Pour la petite histoire, le secrétaire personnel de Bugnini, Piero Marini, devait devenir de 1983 à 2007 le metteur en scène des cérémonies pontificales, et aujourd'hui même, il y a des rumeurs qui le donnent comme futur préfet de la Congrégation pour le Culte Divin.

Dans la dernière année de sa vie, Paul VI invita Bouyer à passer avec lui «quelques semaines de vacances à Castel Gandolfo». Mais à ce signe extraordinaire d'amitié et d'estime le théologien, suchargé d'engagements,ne put donner suite. Et il le regretta, car le 6 août 1978, le bien-aimé Pape Paul VI mourait.

Un an plus tard, le cardinal Jean Villot révéla à Bouyer que Paul VI aurait voulu le faire cardinal, s'il n'avait pas redouté l'âpreté des réactions intra-ecclésiales.

A la nouvelle de sa nomination manquée, Bouyer rappelle qu'«il se sentit soulagé», aussi parce que sa pensée est immédiatement allée au sort malheureux d'un autre grand théologien et liturgiste qui lui s'était vu décerner la pourpre, le jésuite Jean Daniélou (1) ,«cible de viles calomnies par ses propres frères» avant et après sa mort en 1974.

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(1) Relire sur mon site "Le cardinal Daniélou outragé": benoit-et-moi.fr/2012%20(II)

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