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Quand le pape parle (trop) des choses terrestres

Teresa attire mon attention sur deux articles très éclairants issus de la blogosphère anglophone (11/7/2014)

Le premier, du site That the bones you have crushed may thrill, date du 3 juillet, après celui du même auteur que j'ai traduit hier (Le message à double face de Benoît XVI ).

Et si Pierre cesse de parler de la vie éternelle?
That the bones you have crushed may thrill, 3 juillet 2007

Il me semble que la plus grande tentation pour l'Eglise catholique est de devenir ce que le pape François a dit qu'elle ne doit jamais devenir - une ONG ne diffèrant pas des organisations caritatives à travers le monde - avec sa mission spirituelle radicale de prêcher l'Évangile aux nations émoussés par les valeurs purement humanistes de l'époque.
Pourtant, en regardant «La voix du pape et de l'Eglise», Radio Vatican a en ce moment quelque chose d'une atmosphère «ONG», qui est déconcertante.
Une grande partie du contenu est tout à fait louable, dans un sens humanitaire, mais il n'y a pas beaucoup d'enseignements sur ce que l'Eglise croit vraiment - la foi de l'Eglise. Ne pourrait-il pas y avoir, en plus de l'Eglise s'exprimant sur les injustices qui ont lieu dans le monde, quelque élément de la foi surnaturelle en laquelle, au Baptême et à la Confirmation, nous professons et proclamons que nous croyons.

Aujourd'hui, un prêtre blogueur demande pourquoi il y a une tendance apparente parmi les blogueurs catholiques à rester discret et à bloguer beaucoup moins (cf. Où sont passés les blogueurs?). Il me semble que les grandes questions auxquelles la papauté et l'Église font face aujourd'hui sont certainement de grandes questions, mais que ces questions ne sont pas LA vraie question.LA grande question à laquelle je fais face en tant que blogueur catholique est la suivante:

«Que feront les catholiques ou que diront les catholiques si Pierre suit l'exemple de la majorité des évêques dans l'Église et cesse de parler de la vie éternelle, parlant au contraire seulement de la vie dans ce monde?»

C'est réellement ce qui est au cœur des conflits entourant le Synode. Croyons-nous encore en la vie éternelle? Si Pierre le suggère, en ne disant rien - ou presque rien - sur la vie éternelle, alors l'Eglise doit-elle encore la professer? Si Pierre ne parle que de la vie dans ce monde, alors, parle-t-il pour le Christ et l'Église tout entière ou seulement pour lui-même?

Là où est Pierre, là est l'Église, là où est l'Église, là est la vie éternelle, mais que faire si le Successeur de Pierre et l'écrasante majorité des successeurs des apôtres gardent le silence sur la vie éternelle?

     

Le second, du blog Harvesting the fruit ("Récolter les fruits", que je découvre à l'instant) revient, le 8 juillet, sur l'interviewe accordée par le pape François à Franca Giansoldati le 30 juin dernier, et la décortique avec plus de minutie (et plus de sévérité, mais on verra que ce n'est pas injustifié) que moi qui avais seulement noté que "L'interviewe aborde plus les thèmes sociologiques, peu susceptibles d'engendrer des polémiques (les maux dont souffre une mégapole comme Rome et la corruption des politiques occupent une bonne partie de l'interviewe) que religieux: ceux-ci sont à peine évoqués".

Le peuple qui marche dans l'obscurité a vu une grande lumière
Harvesting the fruit, 8 juillet 2007

La dernière interview pape François a été accordée à Franca Giansoldati du quotidien italien Il Messaggero et publiée le dimanche 30 Juin 2014.
Comme chacune des précédentes incursions du pape dans la presse laïque, cette interview contient un certain nombre de déclarations très troublantes; celle qui reçoit le plus d'attention ayant à voir avec l'idée que les communistes ont volé le «drapeau des pauvres» qui appartient en propre à l'Eglise.
On a déjà beaucoup écrit sur ce sujet; j'ajouterai seulement que l'on se tromperait en imaginant, comme les (??) papes semblent le suggérer, que la véritable préoccupation pour les pauvres a quoi que ce soit à voir avec l'agenda communiste. (...)
Pas plus qu'un authentique souci pour les pauvres, dans le plein sens du terme, ne guide le pontificat de François.
Dans l'ensemble de son discours sur les pauvres, bien trop souvent, les paroles du Pape François lancent dans le débat autant d'authentique substance catholique que de slogans populistes des ennemis de l'Eglise.
Soyons clairs: je suis tout à fait disposé à admettre que l'homme Jorge Bergoglio se soucie du sort des pauvres et souhaite soulager véritablement leurs souffrances temporelles. [Nota Bene: leurs souffrances temporelles.]
Et pourtant, comme le contenu de cette dernière interviewe le confirme, le programme de ce pontificat, y compris son approche aux pauvres, est si entièrement terre à terre dans sa portée que la plupart des commentaires du Saint-Père cadrerait parfaitement dans un document programmatique du Parti démocrate.

Tout au long de l'interviewe, le pape François s'est vu offrir une série d'occasions pour désigner Jésus-Christ comme Celui qui seul peut soulager les souffrances de ceux qui vivent dans cette vallée de larmes; les pauvres, les riches et tous les autres.
Et pourtant, à chaque fois, il a ramené la conversation vers la terre.
Par exemple, lorsqu'on lui a demandé s'il y a «une hiérarchie de valeurs à respecter dans la gestion des affaires publiques», le pape a répondu:
«Certainement, de toujours protéger le bien commun ... Aujourd'hui, le problème de la politique - je ne parle pas seulement de l'Italie, mais de tous les pays, le problème est mondial -, c'est qu'elle a été dévaluée, ruinée par la corruption, par le phénomène de la corruption».

Là, vous pensiez que la politique corrompue est le résultat d'hommes en charge de l'autorité civile qui ont perdu de vue la source de toute autorité, le Christ-Roi. Eh non, le problème est la corruption.

Invité à commenter davantage la corruption politique, le Saint-Père propose:
«Nous vivons non pas tant l'âge des changements, mais un changement d'âge. Par conséquent, il s'agit d'un changement de culture; précisément dans cette phase, des choses de ce genre émergent. Un changement d'âge entraîne une décadence morale, non seulement en politique, mais dans la vie financière et sociale».
Vraiment? Comment le Vicaire du Christ peut-il ne pas insister sur le fait que l'homme s'éloignant lui-même de Dieu est la source de toute corruption?
Ce à quoi Mme Giansoldati réagit en lui envoyant une "softball" (balle molle) priant pratiquement le pape de mentionner une perte de la foi comme la cause des maux de la société, en disant: «Même les chrétiens ne brillent pas par leur témoignage ...»
Sur quoi l'évêque de Rome insiste: «C'est l'environnement qui facilite la corruption».
Il poursuit dans sa critique de la corruption politique, comme un problème systémique informe dans lequel les bonnes personnes «sont englouties par un phénomène endémique, à plusieurs niveaux, transversal».

Si ce n'était pas assez pour amener quelqu'un à se demander si, en fait, la personne qui répond aux questions n'est pas Hillary Clinton, Mme Giansoldati a alors recours à une question à choix multiples posée au Pape:
«Qu'est-ce qui vous fait le plus peur, la pauvreté morale ou la pauvreté matérielle d'une ville?» demande-t-elle.
Super! La question peut-elle être plus simple?
Je veux dire, Notre-Seigneur lui-même nous a fait savoir comment nous devons prioriser nos vies vis-à-vis des pauvres. Et le pape Léon XIII a enseigné avec beaucoup de clarté que « la morale chrétienne, lorsqu'elle est pratiquée correctement et complètement, conduit d'elle-même à la prospérité temporelle»( Rerum Novarum - 28)
Cette fois, le Pape va-t-il enfin donner la bonne réponse?
«Les deux m'alarment», répond le pape. «Un affamé, par exemple, je peux l'aider pour qu'il n'ait plus faim, mais s'il a perdu son travail et ne peut plus trouver d'emploi, cela a à voir avec une autre pauvreté. Il n'a plus de dignité. Il peut aller à la Caritas et ramener à la maison des vivres, mais il expérimente une pauvreté très grave qui lui ruine le coeur. Un évêque auxiliaire de Rome m'a dit que beaucoup de gens vont à la cantine et en secret, pleins de honte, ils ramènent de la nourriture chez eux. Leur dignité est progressivement appauvrie, ils vivent dans un état de prostration».

Mettant de côté pour le moment le fait extraordinaire que le pape n'ait pas dûment mis l'accent sur le problème de la pauvreté morale (ce que tout catholique raisonnablement bien formé aurait été naturellement amené à faire), portons une attention particulière à ce qu'il a dit.
Après avoir répondu qu'il est alarmé à la fois par la pauvreté «morale» et «matérielle», le pape François poursuit en donnant des exemples, «Par exemple ...».
En ce qui concerne la pauvreté matérielle, le pape souligne la faim et le chômage. Quand il s'agit d'illustrer la pauvreté morale, cependant, le mieux qu'il puisse faire est de parler des blessures à la «dignité humaine» dont témoignerait le fait qu'ils se sentent mal dans leur peau.
Il va même jusqu'à dire des pauvres «ils vivent sans espoir» (ndt: c'était traduit ainsi en anglais sur Zenit, mais le texte original en italien dit "dans un état de prostration"), et pourtant incroyablement, il s'arrête avant de citer la source d'espoir pour toute l'humanité!
A ce point, les thèmes du travail des enfants et de la prostitution des enfants sont soulevés, et juste quand vous pensez que cela ne peut pas être pire, le Saint-Père déclare: «Je pense que ce sont des problèmes qui peuvent être résolus avec une bonne politique sociale».

Le Saint-Père continue en expliquant la nécessité de «services sociaux qui suivent les familles, en les accompagnant pour sortir de situations lourdes».
Une fois de plus, Mme Giansoldati tente (en vain) de refocaliser l'attention du pape sur le travail d'être pape: vous savez, s'exprimer en tant que Vicaire du Christ et chef visible de la Sainte Eglise catholique.
«Mais l'Eglise travaille beaucoup ... » dit-elle, avant que le Saint-Père n'interrompe:
«Et elle doit continuer à le faire. Les familles en difficulté doivent être aidées, un travail en amont qui nécessite un effort commun».

Travail en amont. Effort commun. Services sociaux. Politiques sociales.

Eh bien, je suppose que ça pourrait être pire. Au moins, il n'a pas dit «il faut tout un village» (ndt: "it takes a village" est le titre d'un livre publié par Hilary Clinton en 1996, au moment de la deuxième campagne électorale de son mari, dans lequel elle présentait sa vision de l'éducation des enfants aux Etats-Unis).

Imperturbable, Mme Giansoldati persiste.
«Est-ce que l'Évangile parle plus aux pauvres ou aux riches pour les convertir?», demande-elle.
A quoi le pape François répond:
« La pauvreté est au cœur de l'Évangile. On ne peut pas comprendre l'Evangile sans comprendre la pauvreté réelle, en tenant compte qu'il y a aussi une pauvreté très belle de l'esprit: être pauvre devant Dieu parce que Dieu vous comble. L'Evangile s'adresse indistinctement aux pauvres et aux riches. Et il parle de la pauvreté est de la richesse. Il ne condamne pas du tout les riches, mais plutôt les richesses quand elles deviennent des objets idolâtré. Le dieu de l'argent, le veau d'or».

Ceci, mes amis, est ce qui se rapproche le plus d'un langage de pape de la part de l'évêque de Rome, et même ici, ses paroles mattent l'Eglise dans l'embarras.
La «pauvreté» n'est pas le coeur de l'Evangile, Jésus-Christ est le coeur de l'Evangile, et chaque chrétien authentique, y compris les hérétiques, le sait.
Comment est-il possible que la rhétorique du pape soit si invariablement vide?
François, le pape de tant de mots, fournit la réponse:
«Je suis le premier pape qui n'a pas pris part au Concile et le premier qui a étudié la théologie après que le Concile et, à ce moment-là, pour nous, la grande lumière était Paul VI»

     

Deux articles qui brossent un tableau, il faut le dire, un peu inquiètant, à moins de céder à l'irénisme ambient, qui se traduit chez lss catholiques (en Italie comme chez nous) par ce que Stefano Fontana, dans La Bussola d'aujourd'hui, qualifie du néologisme de "concordisme".

Voici que s'avance l'Eglise du concordisme
Stefano Fontana, La Nuova Bussola Quotidiana, 11 juillet 2007

(...)
De la foi catholique dérive une culture, une vision organique et complète de la réalité et de la vie.
Ce ne sont pas seulement des idées, des fragments, ou des attitudes, qui en dérivent, mais une vision de la réalité dans laquelle tout se tient. La foi catholique, comme l'a dit le cardinal Bagnasco dans un discours inaugural mémorable, n'est pas une «foi nue», mais elle porte en elle une vie, une doctrine, une anthropologie, une éthique, un ensemble de contenus tenant ensemble.

C'est précisément ce qui a été perdu en grande partie. La conséquence est que sont mises sur pied des initiatives culturelles - d'une chaîne de télévision catholique (TV 2000) à un hebdomadaire diocésain, d'une radio à une école - qui ne font pas de proposition reconnaissable en tant que catholique.

Un symptôme très expressif en est aujourd'hui le concordisme, dont sont malades journaux catholiques et télévision.
Dans une culture où il n'y a désormais plus rien de catholique, ils voient des relents de catholicisme partout. Et si telle personne, tel événement n'ont rien de spécifiquement catholique, ils lui trouveront quelque chose d'implicitement catholique. Sont créés de la sorte les rapprochements les plus étranges, y compris celui avec les athées, ceux qui plus athées ne peuvent pas être, et la foi catholique. Chaque romancier, chaque texte théâtral, chaque livre, chaque philosophe qui meurt, tous les antéchrist vivants, dissimulaient selon eux au moins quelque chose de catholique.
On reste abasourdis par la témérité de ces rapprochement concordistes.
Toute prise de postion contre la mafia, toute requête de solidarité, toute défense de l'environnement, lutte contre le sida, promotion de la femme ... a quelque chose de catholique, même si toutes répondent au contraire à des visions de la réalité qui n'ont rien à voir avec le catholicisme. Il n'y a aujourd'hui pas un journal catholique qui ne soutienne la proposition de «revenu citoyen» qui est absolument contraire à tous les principes de la doctrine sociale de l'Église.

Certes, il y a des bribes de vérité, même dans l'erreur la plus évidente. Pourtant, il ne suffit pas de bribes pour faire un ensemble. La foi catholique produit un tout culturel et non pas de simples idées ou des fragments. Ce n'est pas avec le bricolage qu'on est catholique et on ne peut pas satisfaire aux requêtes de Fides et Ratio sur les exigences de «l'univers de la raison» - en glanant à droite à gauche.

Mais nous devons faire l'effort d'aller à la racine de cette attitude. La foi catholique a un contenu de connaissances et de révélation qui ouvre la fenêtre du monde, le baignant de la lumière qui vient de l'extérieur. Regardant les dogmes de sa propre foi, et non pas les tendances sociologiques, ou les statistiques des sciences sociales, le catholique puise les vérités pour sa vie personnelle et collective. Aujourd'hui, ceci n'est plus considéré comme vrai par de nombreux catholiques. Ainsi, pour eux, il ne peut y avoir de proposition culturelle catholique, et il ne sert à rien qu'une chaîne de télévision ou un journal soit dirigé par un catholique, c'est à dire par quelqu'un qui a (en principe) la vérité en tête. Beaucoup de journaux catholiques sont engagés dans des batailles anti-catholiques. Beaucoup d'écoles catholiques enseignent une philosophie anti-catholique. Beaucoup d'organisations catholiques participent à des campagnes anti-catholiques.

Il y a tout un courant théologique, aujourd'hui très largement dominant, qui pense que l'exigence que je viens de décrire est une violence de la foi catholique au monde et à l'homme. Dans l'Eglise, le fidèle ne recevrait pas cette lumière qui vient de l'extérieur, dont elle transmettrait le dépôt au fil du temps. Au contraire, il connaîtrait les vérités de la foi à partir de sa situation. Ainsi, il peut seulement comprendre et interpréter mais pas comprendre quelque chose qui vient vraiment «de l'extérieur». L'homme est dans cet horizon existentiel parce qu'il fait partie du problème sur lequel il s'interroge, et ne peut donc pas accéder à une vérité qui conduirait à un point de vue absolu. Il ne lui reste donc qu'à marcher avec les autres, sans exigence, à recueillir des miettes de vérité ici et là, à composer et décomposer des projets existentiels. Écouter, partager, être proche, comprendre, accepter tout sans prendre rien comme définitif. La foi devient attitude d'accompagnement, aptitude à la recherche et le dialogue, capacité à se poser des questions avec les autres.

L'expression «qui suis-je pour juger?» complètement détachée du contexte dans lequel elle a été prononcée, devient ainsi le symbole de cette foi sans doctrine et sans vérité. Parmi les nombreux sens que le mot «juger» peut avoir, il y en a aussi un qui est proprement cognitif. Le «jugement» est l'acte par lequel l'intellect connaît la réalité, capte les véritables liens entre les choses. S'il n'est plus possible de juger, parce que l'on serait arrogant, alors il n'est plus possible de connaître la réalité. On comprend alors que la foi - ainsi que la raison - peut être juste une narration, une expérience, un point de départ pour le dialogue et la confrontation. Si la vie est un talk-show où les interprétations - y compris celle de la foi - s'entremêlent, alors pour diriger une chaîne catholique, on peut aussi appeler un non-catholique, ou même un anti-catholique.

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