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Scalfari: l'interviewe complète

Ma traduction. Pour savoir vraiment ce qui a été dit. Ou ce que Scalfari dit qu'il a été dit (14/7/2014)

¤ Nouvelle interviewe à Scalfari
¤ Nouvelle interviewe à Scalfari (suite)

>>> Voir aussi: Pédophilie dans le clergé: le cas de l'Argentine

     

Je m'abstiens pour l'instant de commenter les propos, sinon par des soulignements dans le texte. Je ne tiens pas à être accusée à nouveau de "semer la confusion doctrinale" (sic!!! mais c'est vraiment trop d'honneur!). D'autres s'en chargent mieux que moi.
Juste quelques remarques:

¤ Il ne fait aucun doute que certaines réponses du Pape sont tout à fait conformes à l'enseignement moral de l'Eglise, parfois même belles (comme lorsqu'il parle du rôle de la famille dans l'éducation des enfants, avec l'image poétique du parterre de fleurs).
Mais bien entendu, ce n'est pas celles-là qui font les manchettes (le titre de La Repubblica était à cet égard particulièrement caricatural), et le pape ne peut manquer de le savoir.

¤ Contrairement à ce qu'affirment les habituels pompiers avec la plus parfaite mauvaise foi, le problème n'est absolument pas Scalfari (en France, personne ne connaissait Scalfari avant le 1er octobre 2013, et peu de gens connaissent pour sa ligne éditoriale proche de "Libé" le journal qu'il a fondé; sa parole n'a strictement aucune importance); on peut encore moins dire que le vieux renard a piégé le Pape. Le Pape n'a nullement été piégé. Par ailleurs, les mutiples échanges affectueux (assez surprenants!) indiquent qu'il y a une vraie relation humaine, voire de l'amitié.
Les deux s'entendent bien, c'est la troisième fois qu'ils se rencontrent.
Il est indéniable que c'est lui, le représentant de la gauche la plus sectaire et la plus athée, le journaliste infatué de sa personne mais peu estimé de ses pairs pour ses capacités intellectuelles, et qui avait osé traité Benoît XVI de "modeste théologien" (cf. benoit-et-moi.fr/2009), que le Pape a choisi pour débattre avec les non-croyants. On est évidemment bien loin du niveau du débat Ratzinger/Habermas. C'est plus facile d'affronter un lumignon qu'une lumière.
Du reste, comme pape, Benoît XVI, s'il a dialogué avec les non-croyants, l'a fait avec une grande ampleur de vue, et dans le cadre d'interventions dans des Sièges prestigieux, l'ONU, le Bundestag, le Parlement de Londres...

¤ Enfin, on peut s'étonner qu'en ce moment précis, où l'Eglise est attaquée de toutes part, sa place dans le débat public remise en cause, et les fondements de la société mêmes ébranlés, les deux problèmes les plus importants que le pape pense avoir à traiter sont la lutte contre la pédophile dans le clergé (il devrait savoir que l'éradication du péché ne se décrète pas!) et... la mafia (un phénomène circonscrit à l'Italie, lui qui a prétendu déléguer aux évêques, en particulier ceux italiens, les relations avec le pays).

     

L'interviewe

COMME JÉSUS, J'UTILISERAI LE BÂTON CONTRE LES PRÊTRES PÉDOPHILES
www.repubblica.it
(traduction benoit et moi)
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Il est cinq heures de l'après-midi, le jeudi 10 Juillet et c'est la troisième fois que je rencontre le pape François pour converser avec lui.
De quoi? De son pontificat, entamé il y a un peu plus d'un an, et qui dans un laps de temps aussi court a déjà commencé à révolutionner l'Église; de la relation entre les fidèles et du Pape venu de l'autre côté du monde; du Concile Vatican II conclu il y a 50 ans, et seulement partiellement mis en œuvre dans ses conclusions; du monde moderne et de la tradition chrétienne et surtout de la figure de Jésus de Nazareth. Enfin, de nos vies, de ses peines et de ses joies, de ses défis et de son destin, de ce que l'on pourrait attendre d'un au-delà ou du néant que la mort apporte avec elle.

Nos rencontre, le Pape François les a voulues, car parmi les nombreuses personnes de tous les conditions sociales, de toutes les religions, de tous les âges qu'il rencontre dans son apostolat quotidien, il voulait aussi échanger des idées et des sentiments avec un non-croyant. Et c'est ce que je suis; un non-croyant qui aime la figure humaine de Jésus, sa prédication, sa légende, le mythe qu'il représente aux yeux de ceux qui lui reconnaissent une humanité d'une épaisseur exceptionnelle, mais pas de divinité.

Le Pape considère qu'un entretien avec un tel non-croyant est mutuellement stimulant, et c'est pour cela qu'il veut le poursuivre; je le dis parce que c'est lui qui me l'a dit. Le fait que je sois aussi un journaliste ne l'intéresse pas du tout, je pourrais être ingénieur, instituteur, ouvrier (mais il ne l'est pas!!!).
Ce qui l'intéresse, c'est de parler avec quelqu'un qui ne croit pas, mais voudrait que l'amour du prochain professé il y a deux mille ans par le fils de Marie et Joseph soit le contenu principal de notre espèce, alors que malheureusement, cela se produit très rarement, submergés que nous sommes par les égoïsmes, par ce que François appelé «avidité pour le pouvoir et désir de possession». Il l'a défini dans une de nos conversations précédentes comme «le vrai péché du monde dont nous souffrons tous» et c'est l'autre forme de notre humanité; et c'est la dynamique entre ces deux sentiments qui construit dans le bien et le mal l'histoire du monde. Elle est présente en chacun, et du reste, dans la tradition chrétienne, Lucifer était l'ange bien-aimé de Dieu, porteur de lumière jusqu'à ce qu'il se révolte contre son Seigneur tenté de prendre sa place et son Dieu le précipita dans les ténèbres et le feu des damnés.

Nous parlons de ces choses, mais aussi des interventions du Pape dans les structures de l'Eglise, de l'adversité qu'il rencontre. (1)
Je dois dire qu'en plus de l'extrême intérêt de ces conversations, est né en moi un sentiment d'amitié affectueuse qui ne change rien à ma façon de penser, mais de sentir, alors oui. Je ne sais pas si c'est réciproque, mais la spontanéité de ce très étrange successeur de Pierre me fait penser ainsi.

Maintenant, je l'attends depuis quelques minutes dans la petite pièce au rez de chaussée de Santa Marta, où le pape reçoit ses amis et collaborateurs. Il arrive, très ponctuel, sans personne pour l'accompagner. Il sait que j'ai eu ces derniers jours quelque problème de santé et, en effet, il me demande tout de suite de mes nouvelles. Il met sa main sur la tête, une sorte de bénédiction, puis m'embrasse.
Il ferme la porte, place sa chaise en face de moi et nous commençons.

* * *

Pédophilie et mafia sont les deux thèmes sur lesquels François est intervenu ces jours derniers, et qui ont soulevé une vague de sentiments et aussi de polémiques tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Église. Le Pape est très sensible à l'un et à l'autre argument et il en avait déjà parlé à plusieurs reprises, mais il ne les avait pas encore abordés de plein fouet en particulier sur les points concernant le comportement d'une partie du clergé.

«La corruption d'un enfant - dit-il - est ce qu'il y a de plus terrible et de plus immonde que l'on puisse imaginer, surtout si, comme il ressort des données que j'ai pu examiner directement, une grande partie de ces faits abominables adviennent au sein de la famille ou au moins d'une communauté de vieilles amitiés. La famille devrait être le sanctuaire où le petit, l'enfant et l'adolescent est éduqué avec amour, encouragés dans la croissance stimulée à construire sa propre personnalité et à se retrouver avec celle des jeunes de son âge. Jouer ensemble, étudier ensemble, connaître le monde et la vie ensemble. Ceci avec ceux de son âge, mais avec les parents qui les ont mis au monde ou vu entrer dans le monde, la relation est comme cultiver une fleur, un parterre de fleurs, le protégeant du mauvais temps, le désinfectant des parasites, lui raconter les contes de la vie et, au fil du temps, sa réalité. Ceci est ou devrait être l'éducation que l'école complète et que la religion place sur le plan plus élevé de la pensée et du croire au sentiment divin qui apparaît dans nos âmes. Souvent, il se transforme en foi, mais laisse de toute façon une graine qui en quelque sorte féconde l'âme et la tourne vers le bien».

Tandis qu'il parle et dit ces vérités, le pape s'approche encore plus de moi. Il parle avec moi, mais c'est comme s'il réfléchissait avec lui-même, dessinant le cadre de son espérance qui coïncide avec celle de toutes les personnes de bonne volonté.

- Probablement - dis-je - est-ce en grande partie ce qui se passe.

Il me regarde avec des yeux différents, tout à coup devenus durs et tristes:

«Non, malheureusement, ça ne l'est pas. L'éducation telle que nous la comprenons, semble presque avoir déserté les familles. Chacun est absorbé par ses tâches personnelles, souvent pour assurer à la famille un niveau de vie supportable, parfois pour poursuivre sa propre réussite personnelle, d'autres fois pour des amitiés et des amours alternatifs. L'éducation, comme tâche principale envers les enfants semblent avoir fui hors des maisons. Ce phénomène est une très grave omission, mais nous n'en sommes pas encore au mal absolu. Non seulement l'absence d'éducation, mais la corruption, le vice, les pratiques honteuses imposées à l'enfant, puis pratiquées et mis à jour de plus en plus gravement au fur et à mesure qu'il grandit et devient un jeune, puis un adolescent. Cette situation est fréquente dans les familles, pratiquée par les parents, grands-parents, oncles, amis de la famille. Souvent, d'autres membres de la famille sont au courant, mais n'interviennent pas, pris au piège d'intérêts ou d'autres formes de corruption».

- Vous, Sainteté, considérez-vous que le phénomène est fréquent et répandu?
«Malheureusement, il l'est, et s'accompagne d'autres vices, comme la diffusion de la drogue».

- Et l'Eglise? Que fait l'Église dans tout cela dans?
«L'Église lutte pour que le vice soit éradiqué et l'éducation récupérée. Mais nous aussi, nous avons cette lèpre chez nous».

- Un phénomène très répandu?
«Beaucoup de mes collaborateurs qui luttent avec moi me rassurent avec des données fiables qui évaluent la pédophilie dans l'Église au niveau de 2%. Cette constatation devrait me tranquilliser, mais je dois vous dire qu'elle ne me tranquillise pas du tout. Je la considère même très grave. 2% des pédophiles sont des prêtres et même des évêques et des cardinaux (2). Et d'autres, encore plus nombreux, savent mais se taisent, punissent, mais sans dire pourquoi. Je trouve cette situation intolérable et j'ai l'intention de l'affronter avec la sévérité qu'elle requiert (cf. Pédophilie dans le clergé: le cas de l'Argentine).

Je rappelle au Pape que lors de notre précédente rencontre, il m'a dit que Jésus était l'exemple de la bonté et de la douceur, mais que parfois il prenait le bâton pour l'abattre sur le dos des vauriens qui souillaient moralement le Temple.

«Je vois que vous vous souvenez très bien de mes paroles. Je citais des passages des évangiles de Marc et de Matthieu. Jésus aimait tout le monde, même les pécheurs qu'il voulait racheter, dispensant pardon et miséricorde, mais quand il utilisait le bâton, il l'empoignait pour chasser le diable qui avait pris possession de cette âme» (3).

- Les âmes - cela aussi vous me l'avez dit lors de notre précédente rencontre - peuvent se repentir après une vie de péchés, même au dernier moment de leur existence et la miséricorde sera avec eux.
«C'est vrai, c'est notre doctrine, et c'est le chemin que le Christ nous a indiqué (4)».

- Mais il peut arriver que certains repentirs de la dernière minute de vie soit intéressés. Peut-être inconsciemment, mais intéressés à se garantir un possible au-delà. Dans ce cas, la miséricorde risque de finir dans un piège.
«Nous ne jugeons pas, mais le Seigneur sait et juge. Sa miséricorde est infinie, mais ne tombera jamais dans le piège. Si la repentance n'est pas authentique, la miséricorde ne peut exercer son rôle de rédemption».

- Vous, Saint-Père, avez toutefois rappelé à plusieurs reprises que Dieu nous a doté de libre arbitre. Vous savez bien que si nous choisissons le mal, notre religion n'exerce pas la miséricorde envers nous. Mais il y a un point que je tiens à souligner: notre conscience est libre et autonome. Elle peut en toute bonne foi faire le mal convaincu, cependant, que de ce mal naîtra un bien. Quelle est, dans des cas de ce genre qui sont très fréquents, l'attitude des chrétiens?
«La conscience est libre. Si elle choisit le mal, parce qu'elle est convaincue qu'il en dérivera un bien du haut des Cieux, ces intentions et leurs conséquences seront évaluées. Nous ne pouvons pas dire plus parce que nous n'en savons pas plus. La loi du Seigneur, c'est au Seigneur de l'établir, pas des créatures. Nous savons seulement, parce que c'est le Christ qui nous l'a dit, que Père connaît les créatures qu'il a créées et rien pour lui n'est mystérieux. Du reste, le livre de Job examine à fond cette question. Vous rappelez-vous que nous en avons parlé? Il faudrait examiner à fond les livres sapientiaux de la Bible, et l'Evangile quand il parle de Judas Iscariote. Ce sont des thèmes de fond de notre théologie».

- Et aussi de la culture moderne que vous voulez comprendre à fond et avec laquelle vous voulez vous confronter».
«C'est vrai, c'est un point capital de Vatican II et nous devrons l'affronter au plus vite».

- Votre Sainteté, il y a encore à parler du thème de la mafia. Vous avez le temps?
«Nous sommes là pour ça».

* * *

«Je ne connais pas à fond le problème de la mafia, je sais, malheureusement, ce qu'ils font, les crimes qui sont commis, les intérêts énormes que les mafias administrent. Mais la façon de penser des mafieux, les dirigeants, les simples soldats, m'échappe. En Argentine, il y a comme partout les délinquants, les voleurs, les assassins, mais pas les mafias. C'est cet aspect que je veux examiner, et je le ferai en lisant les nombreux livres qui ont été écrits à ce sujet et les nombreux témoignages. Vous êtes originaire de Calabre, peut-être pouvez-vous m'aider à comprendre».

- Le peu que je peux vous dire, c'est ceci: la mafia - que ce soit la calabraise, la sicilienne et la Camorra napolitaine - ce ne sont pas des délinquants dispersés, ce sont des organisations qui ont leurs propres lois, leurs codes de comportement, leurs propres redevances. Des Etats dans l'Etat. Cela ne doit pas vous paraître paradoxal si je dis qu'ils ont leur propre éthique. Et cela ne doit pas vous paraître anormal si j'ajoute qu'ils ont leur propre Dieu. Il existe un Dieu de la mafia».
«Je comprends ce que vous dites. C'est un fait que la majorité des femmes liées à la mafia par la parenté, épouses, filles, sœurs, fréquentent assidument les églises de leurs pays où le maire et d'autres autorités locales sont souvent mafieux. Ces femmes pensent-elles que Dieu pardonnera les fautes horribles de leurs conjoints?».
- Sainteté, les conjoints eux-mêmes fréquentent souvent les églises, les messes, les mariages, les funérailles. Je ne crois pas qu'ils se confessent, mais souvent ils communient et baptisent les nouveau-nés. C'est là le phénomène».
«Ce que vous dites est clair et du reste, il ne manque pas de livres, d'enquêtes, de documentation. Je dois ajouter que certains prêtres ont tendance à glisser sur le phénomène mafieux. Naturellement, ils condamnent les crimes individuels, ils honorent les victimes, ils aident comme ils peuvent leurs familles, mais la dénonciation publique et constante de la mafia est rare. Le premier grand Pape qui l'a fait, justement en parlant dans ces terres, fut Wojtyla. Je dois dire que son discours a été applaudi par une foule immense».

- Pensez-vous que dans cette foule qui appalaudissait, il n'y avait pas de mafieux? autant que je sache, il y en avait beaucoup. Le mafieux, je le répète, applique son propre code et sa propre éthique: les traîtres doivent être tués, les désobéissants punis, parfois l'exemple est donné par l'assassinats d'enfants ou de femmes. Mais pour le mafieux, ce ne sont pas des péchés, ce sont leurs lois, Dieu n'a rien à y voir, encore moins les saints patrons. Avez-vous vu la procession d'Oppido Mamertina?
«Il y avait des milliers de participants. Ensuite, la statue de Notre-Dame de Grace s'est arrêtée devant la fenêtre du boss qui est en prison pour une condamnation à perpétuité. Justement, tout cela est en train de changer et va changer. Notre dénonciation de la mafia ne sera pas faite de temps en temps mais sera constante. Pédophilie, mafia: l'Église, le peuple de Dieu, les prêtres, les Communautés, auront entre autres devoirs ces deux questions très principales».

* * *

Une heure est passée et je me lève. Le pape m'embrasse et me souhaite de guérir le plus vite possible.
Mais je lui pose encore une question:
- Sainteté, vous travaillez assidument pour intégrer la catholicité avec les orthodoxes, les anglicans ...

Il m'interrompt et poursuit:
«Avec les Vaudois ( l'église évangélique vaudoise), que je trouve des religieux de premier ordre, avec les pentecôtistes et naturellement, avec nos frères juifs»

- Eh bien, beaucoup de ces prêtres ou pasteurs sont régulièrement mariés. Comment va évoluer au fil du temps ce problème dans l'Eglise de Rome?
«Peut-être ne savez-vous pas que le célibat a été établi au Xe siècle, c'est-à-dire 900 ans après la la mort de notre Seigneur. L'Eglise catholique orientale a à ce jour la faculté que ses prêtres se marient. Le problème existe certainement mais n'est pas d'une grande ampleur. Il faut du temps, mais il y a des solutions et je les trouverai.

A présent, nous sommes à l'extérieur du portail de Santa Marta. Nous nous embrassons de nouveau. J'avoue que j'ai été ému. François a caressé ma joue et la voiture est partie.

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NDT
(1) Cette partie de l'entretien n'a donc pas été reproduite. Pourquoi?
(2) Le Pape ne cesse pourtant de répéter dans ses homélies matinales qu'il ne faut pas médire de son prochain, et que les commérages sont la plaie de la communauté ecclésiale.... Il semble ici que lui-même ne se tienne pas à ce sage principe.
(3) D'où le titre raccoleur de La Repubblica
(4) Dans la transcripton de cette réponse sur La Repubblica, il y a trois guillemets, donc un de trop, ou un qui manque: comment l'interprète le P. Lombardi?

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