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Sommes-nous en plein Vatican III?

En attendant le Synode sur la famille, une tribune lucide, et peut-être prophétique, d'Alessandro Gnocchi, dans Il Foglio (28/7/2014)

"Le changement sera masqué par la grande illusion que tout restera pareil"...

     

Au fur et à mesure que le Synode approche, je suis de plus en plus persuadée que nous allons assister à une révolution invisible. Au point que certains diront "Tout ça pour ça"...
Officiellement, il ne se passera rien, sinon peut-être une empoignade prévisible (et déséquilibrée) par médias interposés, entre les catholiques fidèles à la Tradition d'un côté (ultra minoritaires) et les normalistes de l'autre, s'évertuant contre toute évidence à nous convaincre de l'invraisemblable - arbitrée par les progressistes et les laïcistes oscillant entre condescendence et satisfaction.
Pour l'Eglise-institution-profane, l'honneur sera provisoirement sauf, et le fidèle de base n'y verra que du feu.
Mais la foi?

     

NOUS SOMMES-NOUS APERÇUS QUE NOUS SOMMES EN PLEIN VATICAN III?
Alessandro Gnocchi
Il Foglio, 27 juillet 2014
(texte en italien ici, ma traduction)
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Où va l'Eglise catholique? Est-il vrai que celle visible (l'Eglise Une Sainte est Vivante est immaculée dans son époux) risque de subir une "mutation génétique", ou bien celle-ci est-elle déjà advenue malgré nous, et en voyons-nous déjà les effets? Est-il encore temps d'y remédier, et comment?

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Dieu merci, il y a encore quelque bon chrétien pour garder un oeil sur le risque-tout qui tôt ou tard tentera de lui changer sa foi sous le nez. Armé d'une canardière (1), de doctrine et d'Évangile, il se tapit derrière le muret du prochain synode sur la famille pour découvrir si les comportemens homosexuels, le concubinage, les divorcés remariés, et autres 'mondanisations', deviendront monnaie courante dans les documents de la Sainte Eglise Romaine.
Ou bien il se camoufle dans les périphéries existentielles désolées, en attendant de disséquer quelque page magistrale où il est mis noir sur blanc que tout est définitivement changé. Mais, en plus d'être équipé d'armes obsolètes, et mal compris, il s'est posté au mauvais endroit.

Désormais, les endroits où l'on se bat pour sauver sa foi et la doctrine, ne sont plus ceux qui sont traditionnellement voués à cette fin.
Les catholiques innovateurs et les 'mondanisants' savent bien que le secret du pouvoir se cache dans cette ligne du «Guépard» dans laquelle Tancrède Falconeri professe que «si nous voulons que les choses restent comme elles sont, il faut que tout change» (2). Mais eux, ironiquement cléricaux, l'ont inversée, dans l'énigmatique «si nous voulons que tout change, il faut que tout reste pareil». Là où la dogmatique ne peut rien, voilà qu'arrive la pastorale, de sorte que la pratique dévore la théorie sans que personne n'ait rien à y opposer: tout change quand tout semble inchangé.

Dans les années 40 du siècle dernier, Ernesto Buonaiuti (3), le prince des modernistes, l'avait théorisé. «Jusqu'à maintenant - expliquait-il - on a voulu réformer Rome sans Rome, ou même contre Rome. Nous devons réformer Rome avec Rome, faire en sorte que la réforme passe à travers les mains de ceux qui ont besoin d'être réformés. Voici la vraie méthode, la méthode infaillible; mais elle est difficile. (...) Le culte extérieur durera toujours, comme la hiérarchie, mais l'Église en tant que maîtresses des sacrements et de ses ordres, modifiera la hiérarchie et le culte selon les époques: elle rendra la première plus simple et plus libérale, et le second plus spirituel; et par cette voie, elle deviendra un protestantisme; mais un protestantisme orthodoxe, graduel, et non pas violent, agressif, révolutionnaire, insubordonné».

Et aujourd'hui, face à une opération advenue de manière quasi irréversible, les bons chrétiens armés d'une canardière, de doctrine et d'Évangile se trouvent désorientés et vont à la chasse à l'adversaire là où ils ne le trouveront jamais. Ils sont convaincus que, comme au temps des chères vieilles hérésies, la doctrine se combat à coups de doctrine, les principes à coups de principe, les dogmes à coups de dogme parce qu'ils continuent d'appliquer des catégories et des méthodes jetées silencieusement à la mer depuis le Concile Vatican II.

Mais cela n'est encore rien, parce que désormais, même le mythique Concile a fait son temps. Il n'y a pas de pape qui l'ait cité aussi peu que François, qui ne se soucie pratiquement pas de l'herméneutique de la rupture et encore moins de celle de la réforme dans la continuité.
Désormais, le monde catholique vit en plein Vatican III convoqué et célébré par voie médiatique. Le lieu romain a été remplacée par la scène mondiale, chose qui n'aurait pas peu inquiété un Marshall McLuhan (4), qui avait su définir le prince de ce monde comme un grand ingénieur en électronique.
Les schémas préparatoires ont été préparés et diffusés par les médias, et la discussion est volontiers ouverte au moindre courant d'air mondain. Et, petit à petit seront rédigés ces canons auxquels Vatican II s'était dérobé par peur de la modernité. Mais, selon les préceptes du 'guépardisme' clérico-innovateur, le changement sera masqué par la grande illusion que tout restera pareil. Et c'est pourquoi ce sera le monde qui communiquera le changement en cours dans l'Eglise, laquelle au contraire, s'abstiendra de le ratifier formellement.

Il y a cinquante ans, à l'ère géologique de Vatican II, on croyait encore que la formule «anathema sit» devait concrétiser en quelques lignes brèves et très claires la foudre contre l'erreur et l'hérésie lancée depuis la citadelle au nom et pour le compte de Dieu. C'est pourquoi les Pères conciliaires étaient restés un pas en-deçà: la trêve avec le monde exigeait l'incertitude, le doute, l'ambiguïté opportunément interprétée en guise de dialogue et de reddition, et certainement pas la déclaration explicite.

Maintenant que l'étreinte avec la modernité incarnée par le pontificat de François a été confirmée et acclamée tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Eglise, il n'y a plus d'hésitation. L'«anathema sit» revient en vogue, mais au nom et pour le compte du monde et par respect pour la nature médiatique, où l'on justifie l'événement, non plus au bas d'une constitution ou d'un décret, mais sur les premières pages des journaux.
Depuis le «Qui suis-je pour juger?» prononcé sur la question homosexuelle, qui en 0,21 secondes, conduit à 360 mille résultats sur Google, jusqu'à l'excommunication lancée contre la mafia sur l'esplanade de Sibari (ndt: lors du voyage en Calabre), anathème qui donne 412 mille résultats en 0,35 secondes, il est facile de se faire une idée des règles que le monde distillera à partir du récit papal.

Mais il est facile de prédire que bientôt le feu se déplacera intra-muros et les premier à tomber, comme tant de zouaves à la Porta Pia (5), seront les bons chrétiens armés de canardières, de doctrine et d'Évangile, postés en garde de la foi.
Ainsi, chaque jour, pour savoir si vous êtes toujours catholiques, il faudra lire la première page de la Repubblica.

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Notes de traduction

(1) Canardière (obsolète): Sorte de long fusil portant très loin, propre à la chasse des canards sauvages et des autres oiseaux qu’on ne peut approcher que difficilement.

(2) Allusion au roman "Le Guépard", de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, dont Visconti a tiré un film célèbre. Le roman prend pour cadre les tourments révolutionnaires du Risorgimento, et, là aussi, le passage d'un ordre ancien à un ordre nouveau; le neveu du prince, le cynique Tancrède, dit à ce dernier « Crois-moi mon petit oncle, si nous ne nous en mêlons pas, ils vont nous fabriquer une république.... pour que tout reste comme avant, il faut que tout change », qu'on peut résumer ainsi: entrons dans le mouvement de peur que celui-ci ne nous dépasse et ainsi nous pourrons le diriger à notre guise

(3) Ernesto Buonaiuti (1881-1946), était un prêtre catholique, historien du christianisme, philosophe de la religion et théologien italien qui est considéré comme la figure de proue du modernisme.

(4)Herbert Marshall McLuhan (1911-1980) était un intellectuel canadien et théoricien de la communication. Il est un des fondateurs des études contemporaines sur les média. Il s'est rendu célèbre par la formule « Le message, c'est le médium » (qui colle parfaitement à François!!) autrement dit que le médium de communication a plus d'importance que son contenu.

(5) Allusion aux zouaves pontificaux lors de la prise de Rome, en 1870

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