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Un sentiment croissant d'incertitude

Parole de l'éditorialiste et ex-directeur du Catholic Herald, William Oddie: Pour maintenir l'unité de l'Eglise, la loyauté envers le Pape est désormais mieux exprimée par le silence (12/7/2013)
Merci à Teresa sans qui je n'aurais pas vu l'article de William Oddie!

Sur un sujet voisin:
¤ Où sont passés les blogueurs?
¤ Quand le pape parle (trop) des choses terrestres

     

Dans un de ses derniers billets sur Settimo Cielo, intitulé "AFFAIRE DE FOUS", Sandro Magister rapporte l'épisode récent d'un "curé de campagne" du diocèse de Novara qui avait eu le malheur d'écrire (peut-être dans le bulletin paroissial):

«Pour l'Eglise, qui agit au nom du Fils de Dieu, le mariage entre baptisés est toujours et seulement un sacrement. Le mariage civil et la cohabitation ne sont pas un sacrement. Par conséquent ceux qui se placent en dehors du sacrement en contractant le mariage civil vivent une infidélité continue.
Il s'agit d'un péché, non pas occasionnel (par exemple, un homicide), ou d'une infidélité par légèreté ou par habitude, [mais] que la conscience appelle au devoir de s'amender à travers un repentir sincère et le vrai but et toujours se détourner du péché et des occasions qui conduisent à lui».

Sandro Magister explique que «le cardinal Lorenzo Baldisseri, secrétaire général du Synode l'a immédiatement exposé à la risée publique définissant le 26 juin les paroles du prêtre comme une folie, une opinion strictement personnelle d'un pasteur qui ne représente personne, même pas lui-même. Et la veille, l'évêque de Novara, Franco Giulio Brambilla, s'était senti l'obligation d'une nette prise de distance tant des tons que du contenu du texte du curé, en raison de la comparaison inacceptable, bien qu'introduite comme exemple, entre la cohabitation et l'homicide. L'exemplification, même écrite entre parenthèses, est inappropriée, trompeuse, et donc erronée».

* * *

Fort bien.

Mais, toujours selon Sandro Magister, il se trouve que presque en même temps, le 25 juin (veille de la publication de l'Instrumentum Laboris en vue du Synode sur la famille), le cardinal canadien Thomas Collins, archevêque de Toronto, présenté comme une étoile montante du sacré collège et entre autres appelé par le pape François pour faire partie de la commission cardinalice renouvelée de surveillance sur l'IOR, lors d'une interview pour le blog catholique américain "The Word on Fire", abordait la question de la communion aux divorcés remariés en ces termes:

«Les catholiques divorcés et remariés ne peuvent pas recevoir la sainte communion dès lors que, quelles que soient leur disposition personnelle ou les raisons de leur situation, connues peut-être de Dieu seul, ils persistent dans une conduite qui est objectivement contraire au commandemant clair de Jésus. C'est le point-clé. Le point-clé n'est pas qu'ils ont commis un péché; la miséricorde de Dieu est abondamment assurée à tous les pécheurs. L'homicide, l'adultère, et d'autres péchés, peu importe la gravité, sont pardonnés par Jésus, en particulier à travers le sacrement de la réconciliation, et le pécheur pardonné reçoit la communion. En matière de divorce et de remariage du problème réside dans la décision consciente, pour diverses raisons, de persister dans une situation permanente d'éloignement du commandement de Jésus».

Soit pratiquement la même chose que le curé de campagne.

Ce cafouillage ecclésial impliquant deux cardinaux bien en cour (et un pauvre curé!) inspire à William Oddie (*) un commentaire intéressant dont voici la traduction.
Lui aussi a lu le commentaire du Père Ray Blake que j'ai traduit ici: Où sont passés les blogueurs?

* * *

(*) William Oddie est actuellement éditorialiste au Catholic Herald, l'hebdomadaire catholique britannique de ligne opposée à la ligne "conciliaire" représentée par The Tablet. Il en fut le directeur de 1998 à 2004. Au lendemain de l'élection de François, il avait écrit un billet intitulé "Les pères ne démissionnent pas" (cf. benoit-et-moi.fr/2013-II/).
Il explique avoir été jusqu'à présent un soutien convaincu du Pape François, et son témoignage n'en a que plus de force.

     

POUR MAINTENIR L'UNITÉ DE L'EGLISE, LA LOYAUTÉ ENVERS LE PAPE EST DÉSORMAIS MIEUX EXPRIMÉE PAR LE SILENCE. JE CRAINS QU'IL N'AIT RAISON
William Oddie
www.catholicherald.co.uk
11/7/2014
(ma traduction)
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Qu'est-ce qui se passe au juste quand des évêques et des curés peuvent aussi radicalement différer sur les questions les plus élémentaires de la foi et de la morale - sur des enseignements qui sont clairement expliqués dans le Catéchisme de l'Église catholique - et quand simultanément un cardinal décrit ces enseignements comme «une folie» et qu'un autre les expose simplement comme l'enseignement immémorial de l'Église? Est-ce que quelqu'un sait encore ce que l'Église croit?

La question m'a ramené avec force, une fois de plus, à l'un des blogs les plus obsédants que j'ai lu depuis un certain temps, y étant revenu à plusieurs reprises depuis que je l'ai lu vendredi dernier. Il est très court, je serais tenté de l'appeler le dernier message du P. Blake (cf. Où sont passés les blogueurs?)

Je regarde mon propre blog, et je vois que j'en suis la parfaite illustration. De plus en plus, mon cœur n'y est tout simplement pluss; et je blogue moins qu'avant. Maintenant, de plus en plus, je pense que le silence est tout.
Sous Benoît, une glorieuse bataille était vigoureusement en cours, une lutte permanente, axée sur et motivée par le pape lui-même, pour revenir à l'Église voulue par le Concile, une bataille pour l'herméneutique de la continuité. C'était une bataille que nous sentions que nous étions en train de gagner.
Puis vint le coup de tonnerre de la démission de Benoît.

Après un interrègne insoutenable, un nouveau pape a été élu, un homme bon et saint avec un cœur de pasteur. Tout semblait aller bien, même s'il n'avait pas une inclination aussi dogmatique que Benoît: tout cela était laissé à la CDF. Je me suis moi-même retrouvé à expliquer que François était du point de vue herméneutique absolument bénédictin, entièrement orthodoxe (**), tout ce qu'un pape devrait être, juste avec une façon d'agir différente. Je le crois toujours (!!).
Mais il y a un sentiment croissant d'incertitude dans l'air, qui ne peut être ignoré. «On savait où l'Eglise et le pape étaient» dit le P. Blake.
A présent, nous avons un pape qui peut être adoré par tellement d'ennemis de l'Eglise catholique, comme l'avorteuse Jane Fonda, qui a tweeté la semaine dernière «Nous aimons le nouveau pape. Il se soucie des pauvres, déteste le dogme».

En d'autres termes, pour Fonda et ses semblables, l'Église n'est plus une entité dogmatique, n'est plus une menace. C'est ce que le monde suppose aujourd'hui: tout est en proie à des changements permanents. Les remariés bientôt - pensent-ils - se verront dire qu'ils peuvent recevoir la Sainte Communion de façon aussi insouciante que n'importe qui: c'est ce que le cardinal Kasper a impliqué au consistoire en Février. Le pape était-il d'accord avec lui? Il semble y avoir une certaine incertitude, malgré le fait que le Saint-Père ait déjà soutenu l'insistance du cardinal Mueller pour que rien ne change.

Nous verrons ce que nous verrons au Synode, que je redoute de plus en plus.
Mais quoi qu'il arrive maintenant, il semble que le matin confiant et heureux du pontificat de Benoît XVI a disparu, pour ne plus jamais revenir; et moi - et bien d'autres, il me semble - nous sentons qu'il y a moins de choses que nous pouvons dire.

* * *

(**) Cette affirmation, répétée comme un mantra sur presque tous les blogs catholiques depuis 16 mois, évoque de plus en plus la "méthode Coué"; les commentateurs "laïcistes", eux, ne s'y sont pas trompés, et ce n'est pas uniquement une exagération médiatique de leur part quand ils parlent, au moins, de rupture.

     

Juste un mot...

... que je rajoute au commentaire presque exhaustif d'Yves Daoudal.

Je peux comprendre les motifs des blogueurs "institutionnels" souvent journalistes qui travaillent pour les grands titres (ils risquent de perdre leur job, ou au moins d'être ostracisés parmi leurs pairs, ou bien s'ils sont catholiques, ils peuvent comme William Oddie être soucieux de l'unité de l'Eglise), et ceux des prêtres blogueurs (ils risquent le blâme de leur hiérarchie et/ou pensent eux aussi oeuvrer pour le bien de l'Eglise comme le Père Blake), qui pour des raisons essentiellement différentes s'interdisent de prendre du recul par rapport à la pensée dominante.
Ils évoluent évidemment dans une autre sphère que les "petits" blogueurs indépendants, précieuses sources d'information, mais d'audience limitée, presque (***) les seuls où - comme au temps de Benoît XVI, à vrai dire - on peut trouver "autre chose" (à condition de vérifier par recoupements), et donc amorcer une vraie réflexion, qui ne veut pas dire rebellion.

Oui, je peux les comprendre, mais je pense qu'ils ont tort.

Le Pape François, si ouvert à la discussion, si désireux de s'ouvrir aux périphéries existentielles qu'il débat avec Eugenio Scalfari, ne devrait pas se formaliser de la critique respectueuse et argumentée.
Si tout le monde s'aligne, la pensée dominante risque très vite de devenir pensée unique. Une pensée unique transversale, de l'Eglise au Monde civil, avec l'appauvrissement (et la chape de plomb) qui en découle, dont nous ne souffrons déjà que trop dans tous les domaines.
Sous Benoît XVI, il n'y a jamais rien eu de tel.

* * *

(***) Il y a évidemment des exceptions, celle de Sandro Magister étant la plus remarquable (même s'il s'auto-censure probablement), mais je pense que son prestige lui assure une vraie indépendance, exceptionnelle dans le milieu des médias. N'oublions pas qu'il travaille pour le groupe "L'Espresso-la Repubblica", et qu'il a pourtant toujours défendu Benoît XVI.

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