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Un Synode extraordinaire... à plus d'un titre

Formidable (et sévère) analyse d'un proche de Benoît XVI, membre du Schülerkreis, le Père Vincent Twomey, qui fut doctorant du Professeur Ratzinger à Ratisbonne (16/10/2014)

Cette analyse est particulièrement intéressante car elle est de Vincent Twomey, un religieux de la Société du Verbe Divin, spécialiste en théologie morale que l'on peut dire proche de Benoît XVI, qui fut son élève à Ratisbonne, comme doctorant, et qui est un membre éminent du Ratzinger Schülerkreis (cf. Le Ratzinger Schülerkreis en 2014 et Maigres échos de la messe de fin du Schülerkreis ).
Nous l'avons rencontré à plusieurs reprises dans ces pages (tinyurl.com/p3uajap).
Il est en particulier l'auteur d'un livre intitulé "Pope Benedict XVI: The Conscience of Our Age, a theological portrait", dont j'avais traduit la (passionnante!) préface ici: beatriceweb.eu/Blog.
C'est grâce à mon amie Teresa que j'ai trouvé cet article, et Anna l'a traduit.

     

UN SYNODE EXTRAORDINAIRE, À PLUS D'UN TITRE.
Article en anglais www.catholicworldreport.com
Traduction Anna
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Ce Synode est extraordinaire à plus d'un titre.
Il est extra-ordinaire dans le sens d'être simplement préparatoire au Synode vrai ou ordinaire qui se tiendra dans douze mois.
Mais il est aussi extraordinaire dans le sens plus courant du terme (c'est à dire qu'il est plutôt étrange).
Le discours du cardinal Kasper au Consistoire de Février en préparation du Synode avait établi l'agenda. Il avait été largement diffusé en plusieurs langues et activement promu avec des interviews et conversations de son auteur tout autour du monde. Il traduisait sa campagne de toujours afin de permettre aux divorcés et civilement remariés de recevoir la Sainte Communion à certaines conditions. Il n'a pas apporté une seule réponse à la critique théologique adressée à sa position essentiellement casuistique. Le cas des divorcés remariés est un véritable problème pastoral en Europe Occidentale et en Amérique du Nord, mais n'est pas le seul, ni le plus urgent. Et néanmoins il est devenu le centre d'un intense débat pré-synodal, distrayant l'attention de questions plus centrales comme la cohabitation généralisée, la protection des enfants, la pornographie en Occident, la polygamie en Afrique, ou les mariages interreligieux en Asie. Ce qui est plus curieux, c'est que tout le domaine de la procréation assistée (FIV ou fécondation in vitro, de la maternité de substitution, etc) n'est apparu dans aucune intervention.

Deuxièmement, le manque d'ouverture et de transparence au Synode est extraordinaire
. A la différence des Synodes précédents, où les résumés des documents de tous les contributeurs étaient disponibles, et le texte entier pouvait être demandé, un secret total a été imposé - en dehors des témoignages (en général impressionnants) des couples mariés en ouverture de chaque session. Les Evêques ont été informés que leurs contributions étaient propriété du Synode, et ne pouvaient ainsi être rendues publiques. Par contre, un "résumé" des travaux du jour était présenté par le porte-parole du Saint Siège, accompagné par des Cardinaux et des évêques sélectionnés. Dès le début, il était clair à l'observateur que nous n'écoutions qu'un côté des débats qui auraient pu avoir lieu.

Une confirmation que la voix des opposants à l'agenda proposé a été ignorée ou muselée est le vote secret pour élire les modérateurs des groupes de discussion linguistiques mineurs. La majorité des élus étaient des opposants notoires au programme de Kasper: le Cardinal Raymond Burke, par exemple, a été élu le premier. Leur élection a évidemment pris à contrepied les organisateurs, mais ils ont vite réagi. Les modérateurs ont normalement la tâche de rédiger les recommandations officielles. Mais, il y a quelques jours, le pape François a de manière inattendue nommé 5 autres Evêques (trois latino-américains) et un prêtre, le Supérieur Général Jésuite, afin de rédiger les recommandations finales, contournant ainsi les modérateurs.

L'aspect le plus extraordinaire, et alarmant, du Synode a jusqu'ici été le rapport sur les discussions de la première semaine, présenté par le Cardinal Erdö lundi dernier. A la conférence de presse de présentation du rapport, l'Archevêque Bruno Forte a souligné que ceux qui ont rédigé le rapport étaient "une équipe de héros". En d'autres termes, qu'ils avaient montré du vrai courage. Mais quel genre de courage? Il s'avère qu'il s'agissait du courage de dire ce que le monde veut entendre en opposition à l'opinion d'un nombre significatif d'évêques. Ce n'est guère le courage préconisé par Saint Paul. Comme Joseph Ratzinger l'a écrit une fois: "La franchise de l'apôtre consiste à dire la vérité dans un monde dominé par l'apparence, même s'il implique son conflit (avec le monde)".
Le contenu du rapport a suscité chez les fidèles catholiques un désarroi diffus, pour ne pas dire un profond sentiment de trahison.

"Ce qui a résonné clairement dans le Synode est le besoin de choix pastoraux courageux", affirme le rapport. Ces choix ont été présentés en termes de "loi de la gradualité", seule référence au riche enseignement du Saint Pape Jean-Paul II, par ailleurs ignoré par le Synode. Mais il est utilisé d'une façon qui contredit sa signification.

Selon un théologien américain, le Père Dominic Legge, OP (dominicain, ndt), plusieurs voix au dernier Synode sur la Famille (1980) avaient réclamé qu'en des cas difficiles, on pouvait s'engager à abandonner "graduellement" une pratique de péché grave (comme la contraception) et revenir immédiatement aux sacrements, même si on entendait continuer à commettre des péchés, [mais] dans une mesure moindre. Jean-Paul II avait clairement rejeté cet argument. Les couples mariés, écrivit-il, ne peuvent pas… considérer la loi simplement comme un idéal à accomplir dans le futur: elles doivent la considérer comme un commandement du Seigneur Jésus de surmonter les difficultés avec constance. Ce qui est connu comme la 'loi de la gradualité', ou progression par étapes, ne peut donc être identifié avec 'la gradualité dans la loi', comme s'il y avait différents degrés ou formes de préceptes dans la loi de Dieu pour les différents individus et situations." (Familiaris Consortio, n. 34). Mais le dernier (sens) est celui préconisé par le rapport du Cardinal Erdö.

Il n'y a rien de très courageux à offrir des recommandations "pastorales" qui ne défient pas un monde portant encore les marques de la révolution sexuelle des années 1960. Qu'y a-t-il de courageux à ne souligner que les aspects positifs de tant de situations pastorales tragiques aux dépens des aspects négatifs? Comment serait-il courageux de troubler profondément ces catholiques fidèles qui, pour citer un laïc, "s'accrochent fermement aux enseignements du Christ en matière de mariage et de chasteté"?
Aucune recommandation n'est comparable au vrai courage moral demandé à un prêtre qui, en accord avec l'enseignement du Christ, essaye de conduire les pécheurs vers la vérité et ainsi vers la miséricorde de Dieu et le pardon - ou prêche en ces termes.

Il est gravement irresponsable de la part du Synode d'accroître la confusion dans une situation pastorale qui, en l'absence d'authentiques instructions de la part d'évêques et prêtres pendant les dernières 40 ans, est en train de ravager la vie des gens. Ravage qui se reflète dans l'enquête conduite à travers le monde par le Vatican en préparation du Synode. A mon avis, ce ravage est le résultat direct du rejet de l'enseignement de l'Eglise en matière de sexualité, suite à Humanae Vitae, de la part du plus grand nombre des théologiens moraux et de plusieurs Conférences Episcopales.
A cet enseignement, il est fait référence (avec ambiguité) en conclusion du rapport du Cardinal Erdö, comme une réflexion après-coup, alors qu'il en est la principale pomme de discorde. Tous les problèmes pastoraux proviennent du rejet de cet enseignement. On espère que la béatification du Pape Paul VI dimanche prochain va provoquer une nouvelle appréciation de son enseignement courageux et prophétique.

Parmi les nombreuses omissions flagrantes du rapport (la chasteté par exemple n'est mentionnée qu'une fois) la plus remarquable est l'absence de toute référence à la sainteté comme mission de toute l'Eglise et de la pratique pastorale.
Le rapport du Cardinal Erdö ne mentionne la sainteté qu'une fois - quoique en passant - mais par ailleurs, il s'occupe exclusivement d'apaiser les sentiments des gens en montrant de la sympathie pour toute situation irrégulière. Cela pourrait aider à dépasser l'image négative de l'enseignement de l'Eglise en matière de sexualité, et en cela le rapport serait bienvenu, s'il n'était en réalité scandaleux, dans le strict sens qu'il conduit les gens loin de Dieu (voir Mt 18, 6).

Il est triste de dire que l'agenda du Synode (à présent plus tellement caché) alimente l'agenda plus large d'une société sécularisée qui menace la famille traditionnelle dans ses fondements. Et même cela est secondaire. Ce qui est en jeu finalement est la mission de l'Eglise de guider les gens vers l'union avec Dieu en Christ: la sainteté.

Le jour suivant la publication du rapport, le sujet choisi par l'archevêque péruvien Salvador Pineiro Garcia-Calderon pour son homélie du matin était, significativement, la sainteté. C'etait une intervention très opportune en ce qui est vraiment un Synode extraordinaire.

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