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Benoît XVI et Paul VI

Reprise: l'homélie funèbre prophétique prononcée par le cardinal Ratzinger dans la cathédrale de Münich en hommage à Paul VI le 10 août 1978 (13/10/2014)

Le 21 juin 1963, le cardinal Ratzinger, alors archevêque de Munich, prononçait cette homélie dans la cathédrale de la capitale bavaroise.

Le 21 juin 2013, l'OR la publiait dans son édition en italien, en conclusion de l'édition spéciale que le "journal du Pape" consacrait à Paul VI pour le cinquantième anniversaire de son élection.
Voici ma traduction, du jour-même.

J'écrivais alors, en commentaire:
Comment le jeune archevêque de Münich aurait-il pu deviner que le Seigneur avait "pensé à sa personne" pour, un jour, succéder au Pape Paul VI, et vivre à son tour la même passion?

     

La Transfiguration
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Depuis quinze ans, nous avons prononcé dans la prière eucharistique pendant la messe les mots: «Nous célébrons dans la communion avec Ton serviteur, notre Pape Paul».
Depuis le 7 Août, cette phrase reste vide. L'unité de l'Eglise en ce moment n'a pas de nom; son nom est désormais dans la mémoire de ceux qui nous ont précédés sous le signe de la foi et reposent dans la paix.
Le Pape Paul a été appelé à la maison du Père, le soir de la fête de la Transfiguration du Seigneur, peu de temps après avoir entendu la messe et reçu les sacrements. «Il est beau pour nous d'être ici» avait dit Pierre à Jésus sur le mont de la transfiguration. Il voulait rester. Ce qui en cet instant lui a été refusé, a été en revanche concédé à Paul VI en cette fête de la Transfiguration 1978: il n'a plus dû descendre dans le quotidien de l'histoire. Il a pu rester là où le Seigneur est assis à la table pour l'éternité avec Moïse, Elie, et tous ceux qui viennent de l'orient et de l'occident, du septentrion et du sud. Son parcours terrestre est terminé.
Dans l'Eglise d'Orient, que Paul VI a tant aimée, la fête de la Transfiguration occupe une place très spéciale. Elle n'est pas considérée comme un évènement parmi d'autres, un dogme parmi les dogmes, mais la synthèse de tout: la croix et la résurrection, le présent et le futur de la création sont rassemblés ici. La fête de la Transfiguration est la garantie que le Seigneur n'abandonne pas la création. Qu'il ne de débarrasse pas de son corps comme s'il s'agissait d'un vêtement et ne quitte pas l'histoire comme s'il s'agissait d'un rôle théâtral. Dans l'ombre de la croix, nous savons que c'est ainsi que la création va vers la transfiguration.
Ce que nous appelons la Transfiguration est appelé en grec dans le Nouveau Testament métamorphose («transformation»), et ceci fait ressortir un fait important: la transfiguration n'est pas quelque chose de très lointain, qui peut arriver en perspective.

Dans le Christ transfiguré se révèle beaucoup plus que ce qu'est la foi: transformation qui se produit chez l'homme au cours de toute une vie. Du point de vue biologique, la vie est une métamorphose, une transformation pérenne qui se termine par la mort. Vivre signifie mourir, signifie métamorphose vers la mort. Le récit de la Transfiguration du Seigneur y ajoute quelque chose de nouveau: mourir signifie ressusciter. La foi est une métamorphose, dans laquelle l'homme mûrit dans le définitif et devient mûr pour être définitif. C'est pourquoi l'évangéliste Jean définit la croix comme glorification, fusionnant la Transfiguration et la Croix: dans l'ultime libération de soi-même, la métamorphose de la vie atteint son objectif.

La transfiguration promise par la foi comme métamorphose de l'homme est avant tout chemin de purification, chemin de souffrance.

Paul VI a accepté son service pontifical de plus en plus comme la métamorphose de la foi dans la souffrance. Les dernières paroles du Seigneur ressuscité à Pierre, après l'avoir fait le pasteur de son troupeau, étaient: «Quand tu seras vieux, tu étendras les mains et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas» (Jean, 21, 18) .
C'était une allusion à la croix qui attendait Pierre à la fin de son voyage. C'était, en général, une référence à la nature de ce service. Paul VI s'est laissé porter de plus en plus là où, humainement, de lui-même, il ne voulait pas aller. De plus en plus, le pontificat a signifié pour lui se laisser ceindre par un autre, et être cloué sur la croix.

Nous savons qu'avant son soixante-quinzième anniversaire, et encore avant le quatre-vingtième, il a lutté intensément avec l'idée de se retirer. Et nous pouvons imaginer combien lourde devait être la pensée de ne plus pouvoir s'appartenir. Ne plus avoir un moment privé. Être enchaîné jusqu'à la fin, avec le corps qui cède, à une tâche qui exige, jour après jour, l'usage plein et vivant de toutes les forces d'un homme.

«Aucun de nous, en effet, ne vit pour lui-même, et aucun ne meurt pour lui-même, car si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur»(Romains 14: 7-8).
Ces paroles de la lecture d'aujourd'hui ont littéralement marqué sa vie. Il a donné une nouvelle valeur à l'autorité en tant que service, la portant comme une souffrance. Il n'éprouvait aucun plaisir dans le pouvoir, dans la position, dans la carrière réussie; et pour cette raison, l'autorité étant une charge supportée - «Je te mènerai là où tu ne veux pas» - est devenue grande et crédible.

Le Pape Paul VI a accompli son service par foi. De cela dérive à la fois sa fermeté et sa disponibilité au compromis. Pour les deux, il a dû accepter la critique, et même dans certains commentaires après sa mort, le mauvais goût n'était pas absent.

Mais un pape qui, aujourd'hui, ne subirait pas la critique manquerait à son devoir devant l'époque. Paul VI a résisté à la télécratie et à la démoscopie (ndt: en sociologie, science dont l’objet est de sonder l’opinion) les deux pouvoirs dictatoriaux d'aujourd'hui. Il a pu le faire parce qu'il ne prenait pas comme paramètre le succès et l'approbation, mais la conscience, qui se mesure sur la vérité, sur la foi.
Et c'est pourquoi dans de nombreuses occasions, il a cherché le compromis: la foi laisse beaucoup d'ouverture, elle offre un large spectre de décisions, elle impose comme paramètre l'amour qui se sent obligé envers le tout, et impose donc beaucoup de respect. C'est pourquoi il a pu être inflexible et décidé quand l’enjeu était la tradition essentielle de l'Eglise. En lui, cette dureté ne dérivait pas de l'insensibilité de celui dont le chemin est dicté par le plaisir de pouvoir et le mépris des gens, mais de la profondeur de la foi, qui l'a rendu capable de supporter les oppositions.

Le Pape Paul VI était, au fond, un Pape spirituel, un homme de foi. Un journal l'a décrit, non sans raison, comme un diplomate qui a laissé la diplomatie derrière lui. Au cours de sa carrière curiale, il avait appris à maîtriser en virtuose les outils de la diplomatie. Mais ceux-ci sont passés de plus en plus au second plan, dans la métamorphose de la foi à laquelle il s'est soumis.

Au fond de lui, il a de plus en plus trouvé son chemin simplement dans l'appel de la foi, dans la prière, dans la rencontre avec Jésus-Christ. Ce faisant, il est devenu de plus en plus un homme de bonté profonde, pure et mature. Ceux qui ont l'ont rencontré ces dernières années ont pu expérimenter directement l'extraordinaire métamorphose de la foi, sa force transfigurante.
On pouvait voir combien l'homme qui, par sa nature, était un intellectuel, se livrait jour après jour au Christ, comme il se laissait changer, transformer, purifier par lui, et comment cela le rendait de plus en plus libre, de plus en plus profond, de plus en plus bon, perspicace et simple.

La foi est une mort, mais elle est aussi une métamorphose pour entrer dans la vie authentique, vers la transfiguration. Chez le pape Paul, on pouvait observer tout cela. La foi lui a donné du courage. La foi lui a donné la bonté. Et en lui, il était également clair que la foi convaincue ne ferme pas, mais ouvre. En fin de compte, notre mémoire conserve l'image d'un homme qui tend les mains. Il a été le premier pape à se rendre sur tous les continents, fixant ainsi un itinéraire de l'Esprit, qui a commencé à Jérusalem, cœur de la rencontre et de la séparation des trois grandes religions monothéistes; puis le voyage à l'ONU, le chemin jusqu'à Genève, la rencontre avec la plus grande culture religieuse non-monothéiste de l'humanité, l'Inde et le pèlerinage vers les peuples qui souffrent de l'Amérique latine, l'Afrique, l'Asie. La foi tend les mains. Son signe n'est pas le poing, mais la main ouverte.
Dans la Lettre aux Romains de saint Ignace d'Antioche est écrite la phrase merveilleuse: «Il est beau de passer (décliner) au monde pour le Seigneur et de ressusciter en lui» (II, 2). L'évêque martyr l'a écrite lors d'un voyage de l'Orient, vers la terre où le soleil se couche, l'Occident. Là, dans le déclin (en italien, c'est traduit en "tramonto" qui veut dire aussi coucher du soleil) du martyre, il espérait recevoir la source de l'éternité. Le chemin de Paul VI est devenu, année après année, un voyage de plus en plus conscient de témoignage supporté, un voyage vers le soleil couchant de la mort, qui l'a appelé le jour de la Transfiguration du Seigneur.
Remettons son âme avec confiance entre les mains de l'éternelle miséricorde de Dieu, afin qu'il devienne pour lui l'aube de la vie éternelle. Que son exemple soit un appel et porte des fruits dans notre âme. Et prions pour que le Seigneur nous envoie un pape qui remplisse à nouveau la mission originelle du Seigneur à Pierre: «Confirme tes frères» (Lc 22, 32).


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