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Benoît XVI sur les traces de Paul VI

Le 8 novembre 2009, le Saint-Père était en visite à Brescia, ville natale de Jean-baptiste Montini (16/10/2014)

Brescia est une grosse ville de Lombardie, pas très loin de Milan, le pays natal de Jean-Baptiste Montini, le Pape Paul VI.
Celui qui, en un jour lointain de 1977, a fait confiance au professeur de théologie Joseph Ratzinger, au point de le nommer à la tête du prestigieux archevêché de Munich-Freising. Et très peu de temps après, juste avant de mourir, lors d'un "mini-consistoire", il l'a fait cardinal.

Le Pape est donc en visite à Brescia, sous la pluie, mais accompagné de la ferveur joyeuse d'une grande foule.
J'ai suivi la messe sur la RAI. Elle était précédée d'un reportage formidable, qui nous a permis de voir Chiara Montini, une femme encore jeune, la nièce du Pape de Brescia, fille de son plus jeune frère, qui lui ressemble étonnamment (elle a dit en souriant "le sang n'est pas de l'eau"..). Elle a raconté plusieurs anecdotes très touchantes sur le "Zio Cardinale", devenu le "Zio Papa". Sa famille lui rendait visite deux fois par an, à Rome, pour la fête de la nativité de la Vierge, et pour Pâques. Et une fois, elle et sa soeur, petites filles, ont reçu en cadeau du "Zio Papa" un tout petit agneau vivant.

L'homélie - un grand hommage au prédécesseur - a été prononcée par un Saint-Père très enroué, comme cela lui arrive souvent en hiver. Rien de grave.
(benoit-et-moi, 8 novembre 2009)

* * *

En voici ma traduction d'alors:

Chers frères et sœurs!

Ma joie est grande, de pouvoir rompre avec vous le pain de la Parole de Dieu et de l'Eucharistie, ici, au cœur du diocèse de Brescia, où naquit et fut formé le serviteur de Dieu Jean-Baptiste Montini, le Pape Paul VI.
Je vous salue tous avec affection et je vous remercie pour votre accueil chaleureux! Je remercie en particulier l'évêque, Mgr Luciano Monari, pour les paroles qu'il m'a adressées au début de la célébration, et avec lui, je salue les Cardinaux, les Evêques, les prêtres et les diacres, les religieux et les religieuses, et autres personnes impliquées dans la pastorale . Je remercie le maire pour ses paroles, et son cadeau, et les autres autorités civiles et militaires. J'adresse une pensée particulière aux malades qui sont à l'intérieur du Dôme.

Au cœur de la liturgie de la Parole de ce dimanche - le 32ème du temps ordinaire - on trouve le personnage de la pauvre veuve, ou, plus précisément, on trouve le geste qu'elle fait de jeter dans le trésor du Temple, les dernières pièces qui lui restent. Un geste qui, grâce à l'œil vigilant de Jésus, est devenu proverbial: "l'obole de la veuve" en fait, est synonyme de la générosité de ceux qui donnent sans réserve le peu dont ils disposent .
Avant cela, cependant, permettez-moi de souligner l'importance de l'environnement dans lequel ce récit évangélique a lieu, à savoir le Temple de Jérusalem, le centre religieux du peuple israélite et le cœur de toute sa vie.
Le Temple est le lieu du culte public et solennel, mais aussi du pèlerinage, des rites traditionnels, et des controverses rabbiniques, telles que celles rapportées dans l'Evangile entre Jésus et les rabbins de l'époque, où toutefois, Jésus enseigne avec une autorité particulière, celle du Fils de Dieu: lui prononce des jugements sévères - comme nous l'avons entendu - contre les scribes, en raison de leur hypocrisie: eux, tout en faisant étalage d'une grande religiosité, exploitent les pauvres en imposant des obligations qu'ils ne respectent pas eux-mêmes. Jésus, en somme, se montre attaché au Temple, comme maison de prière, mais c'est justement pour cela qu'il veut le purifier d'usages innapropriés, et même en révéler le sens profond, lié à l'achèvement de son propre mystère, le mystère de sa mort et sa résurrection, dans lequel il devient lui-même le Temple nouveau et définitif, le lieu où l'on rencontre Dieu et l'homme, le Créateur et sa créature.

L'épisode de l'obole de la veuve s'inscrit dans ce contexte et nous conduit, à travers le regard de Jésus, à fixer l'attention sur un détail fugace mais décisif: le geste d'une veuve, très pauvre, qui jette dans le trésor de Temple deux pièces de monnaie.

A nous aussi, comme ce jour-là à ses disciples, Jésus dit: Prenez garde! Regardez bien ce que fait la veuve parce que son acte contient une grande leçon; en fait, il exprime la caractéristique fondamentale de ceux qui sont des «pierres vivantes» de ce nouveau temple, qui est le don total de soi à Dieu et du prochain; la veuve de l'Evangile, comme celle de l'Ancien Testament, donne tout, elle se donne elle-même, et elle se met dans les mains de Dieu, pour les autres.

Telle est la signification durable de l'offrande de la pauvre veuve dont Jésus fait l'éloge, car elle a donné plus que les riches, qui offrent une partie de leur superflu, mais elle a donné tout ce qu'elle avait pour vivre (cf. Mc 12:44), et ainsi, elle s'est donnée elle-même.

Chers amis! A partir de cette image évangélique, je voudrais brièvement méditer sur le mystère de l'Eglise, du temple vivant de Dieu, et ainsi rendre hommage au grand Pape Paul VI, qui a consacré toute sa vie à l'Église.
L'Église est un organisme spirituel concret qui prolonge dans l'espace et dans le temps le sacrifice du Fils de Dieu, un sacrifice en apparence insignifiant par rapport aux dimensions du monde et de l'histoire, mais décisif au regard de Dieu.
Comme le dit la Lettre aux Hébreux - et aussi le texte que nous avons entendu - il a suffi à Dieu le sacrifice de Jésus, offert «une seule fois» pour sauver le monde (cf. He 9,26.28), parce que dans ce seul sacrifice est condensé tout l'amour du Fils de Dieu qui s'est fait homme, tout comme dans l'acte de la veuve est concentré tout l'amour de cette femme pour Dieu et pour son prochain: rien ne manque et il n'y a rien à ajouter. L'Eglise, qui naît sans cesse de l'Eucharistie, du don de Jésus, est la continuation de ce don, de cette surabondance exprimée dans la pauvreté, de ce tout qui est offert dans le fragment.
C'est le Corps du Christ qui se donne entièrement, corps brisé et partagé, dans l'adhésion constante à la volonté de son chef. Je me réjouis que vous approfondissiez la nature eucharistique de l'Eglise, guidé par la lettre pastorale de votre évêque.

Telle est l'Eglise que le serviteur de Dieu Paul VI a aimé d'un amour passionné et essayé de toutes ses forces de comprendre et d'aimer. Relisons son testament, là où, dans la dernière partie, il parle de l'Eglise.

"Je pourrais dire - écrit-il - que je l'ai toujours aimée ... et que pour elle, pour rien d'autre, il me semble avoir vécu. Mais je voudrais que l'Eglise le sache".

Ce sont les accents d'un cœur palpitant, qui poursuit:

"Je voudrais enfin la comprendre en totalité, dans son histoire, dans son plan divin, dans son destin final, dans sa composition complexe, complète et uniforme, dans sa texture humaine et imparfaite, ses drames et ses douleurs, les faiblesses et la pauvreté de tant de ses enfants, dans ses aspects les moins agréables, et dans son effort durable de fidélité, d'amour, de perfection et de charité. Corps mystique du Christ. Je voudrais - poursuit le pape - l'embrasser, la saluer, l'aimer, dans tout ce qui la compose, dans chaque évêque, chaque prêtre qui l'aide et la guide, dans chaque âme qui vit et qui l'illustre; la bénir".

Et ses derniers mots sont pour elle, comme à l'épouse de toute une vie:

"Et à l'Eglise, à laquelle je dois tout, et qui qui fut mienne, que dis-je? Que les bénédictions de Dieu soient sur toi: aie conscience de ta nature et de ta mission; aie le sens des besoins authentiques et profonds de l'humanité; et pauvre, c'est-à-dire libre, forte, et pleine d'amour, marche vers le Christ".

Que peut-on ajouter à des propos si élevés et si intenses?

Je voudrais seulement souligner la vision de l'Eglise "pauvre et libre", qui renvoie à la figure évangélique de la veuve. C'est ainsi que doit être la communauté ecclésiale, pour pouvoir parler à l'humanité contemporaine.
La rencontre et le dialogue entre l'Eglise et l'humanité de notre temps tenaient particulièrement à coeur à Jean-Baptiste Montini, dans toutes les saisons de sa vie, depuis les premières années de sacerdoce jusqu'au pontificat. Il a consacré toutes ses énergies à une Eglise le plus possible en accord avec le Christ Seigneur Jésus, afin qu'en la rencontrant, l'homme moderne puisse s'unir à lui, le Christ, parce qu'il a un besoin absolu de lui. Tel est le désir ardent de Vatican II, auquel correspond la réflexion du Pape Paul VI sur l'Eglise.
Il a voulu exposer quelques points saillants de son programme dans sa première Encyclique, Ecclesiam suam, du 6 août 1964, avant que ne voient le jour les constitutions conciliaires Lumen Gentium et Gaudium et spes.

Avec cette première encyclique, le Pontife se proposait d'expliquer à chacun l'importance de l'Église pour le salut de l'humanité et en même temps, l'exigence qu'entre l'Eglise et la société s'établisse une relation de compréhension mutuelle et l'amour.

"Conscience", "rénovation", "dialogue": tels sont les trois mots choisis par le Pape Paul VI pour exprimer ses "pensées" dominantes - comme il les appelle - au début de son ministère pétrinien, et toutes les trois concernent l'Eglise.

Avant tout, la nécessité pour elle d'approfondir la conscience d'elle-même: origine, nature, mission, destin final; en second lieu, son besoin de se renouveler et de se purifier en regardant le modèle qui est le Christ; et enfin, le problème de ses relations avec le monde moderne.

Chers amis - et je dis cela surtout pour les frères dans l'épiscopat et le sacerdoce - comment ne pas voir que la question de l'Eglise, de sa nécessité dans le plan de salut et de sa relation avec le monde, reste aujourd'hui encore, absolument centrale? Et même, que le développement de la sécularisation, et la mondialisation l'ont rendue encore plus radicale, concernant l'oubli de Dieu, d'une part, et les relations avec les religions non chrétiennes, de l'autre?

La réflexion de Papa Montini sur l'Eglise est plus que jamais actuelle; et plus précieux encore, l'exemple de son amour pour elle, inséparable de celui du Christ.
"Le mystère de l'Église - lit-on encore dans l'encyclique Ecclesiam suam - n'est pas simplement un objet de connaissance théologique, c'est un fait qui doit être vécu, dans lequel, avant même d'en avoir une notion claire, l'âme qui a la foi peut avoir une expérience comme un seconde nature. Cela suppose une forte vie intérieure, qui est - poursuit ainsi le Pape - "la grande source de la spiritualité de l'Eglise, façon de recevoir le rayonnement de l'Esprit du Christ, expression radicale, irremplaçable de son activité religieuse et sociale, défense inviolable et énergie résurgente dans ses contacts difficiles avec le monde laïc ".
Justement, le chrétien, l'Eglise ouverte sur le monde, ont besoin d'une vie intérieure forte.

Très chers, quel cadeau inestimable pour l'Eglise que la leçon du Serviteur de Dieu Paul VI! Et comme il est enthousiasmant, à chaque fois de se remettre à son école! C'est une leçon qui touche tout le monde et implique tout le monde, selon les divers dons et ministères dont le Peuple de Dieu est riche, par l'action du Saint-Esprit.

En cette année sacerdotale, il me plaît de souligner combien elle intéressait et impliquait de façon particulière les prêtres, auxquels Papa Montini réservait toujours une affection et une sollicitude particulières.

Dans l'encyclique sur le célibat sacerdotal (Sacerdotalis caelibatus), il écrit: "Saisi par le Christ Jésus (Ph 3,12) jusqu'à l'abandon de soi-même pour Lui, le prêtre se configure plus parfaitement au Christ, dans l'amour avec lequel le Prêtre éternel a aimé l'Église, son corps, s'offrant tout entier pour elle. La virginité consacrée des ministres du culte manifeste en effet l'amour virginal du Christ pour l'Eglise et la fécondité virginale et surnaturelle de cette union".
Je dédie ces paroles du grand Pape aux nombreux prêtres du diocèse de Brescia, bien représentés ici, ainsi qu'aux jeunes qui sont formés dans les séminaires.

Et je voudrais aussi rappeler ce que Paul VI a dit aux élèves du séminaire de Lombardie, le 7 Décembre 1968, alors que les difficultés de l'après-concile s'ajoutaient à l'effervescence juvénile:
"Beaucoup - dit-il - attendent des gestes spectaculaires du pape, des mesures énergiques et décisives. Le Pape ne croit pas qu'il doive obligatoirement suivre une autre ligne que celle de la confiance en Jésus-Christ, à qui son Eglise tient à coeur plus qu'à quiconque. C'est lui qui calmera la tempête ... Il ne s'agit pas d'attente stérile ou inerte, mais d'une attente vigilante dans la prière. C'est la condition que Jésus a choisie pour nous, afin qu'il puisse agir pleinement. Le Pape aussi a besoin d'être aidé par la prière".

Chers frères, que les exemples sacerdotaux du Serviteur de Dieu Jean-Baptiste Montini vous guident toujours, et que Saint Arcangelo Tadini, que je viens de vénérer lors d'une brève pause à Botticino, intercède pour vous.

Alors que je salue et encourage les prêtres, je ne peux oublier, surtout ici, à Brescia, les fidèles laïcs, qui sur cette terre ont fait preuve d'une extraordinaire vitalité de foi et d'œuvres, dans les différents domaines de l'engagement social, et des associations.
Dans les enseignements de Paul VI, chers amis de Brescia, vous pouvez toujours trouver des indications précieuses pour relever les défis du présent, comme, surtout, la crise économique, l'immigration, l'éducation de la jeunesse. Dans le même temps, Papa Montini ne perdait aucune occasion de souligner la primauté de la dimension contemplative, à savoir la primauté de Dieu dans l'expérience humaine. Et pour cela, il ne se lassait pas de promouvoir la vie consacrée, dans la variété de ses aspects. Il aimait intensément la beauté multiforme de l'Église, y reconnaissant le reflet de la beauté infinie de Dieu qui resplendit sur le visage du Christ.

Prions pour que l'éclat de la beauté divine resplendisse dans toutes nos communautés et que l'Église soit un signe lumineux d'espoir pour l'humanité du troisième millénaire.

Puisse Marie, que Paul VI, voulut proclamer Mère de l'Eglise à l'issue de Vatican II, nous obtenir cette grâce.

Amen

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