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Considérations sur le mariage

Extraits du livre-entretien du cardinal Ratzinger avec Peter Seewald, en 2000 "Voici quel est notre Dieu" (9/10/2013)

>>> Voir aussi: Le magistère de Benoît XVI sur le mariage

Au moment où les évêques discutent de la famille, et prétendent adapter le langage de l'Eglise à ses nouvelles formes (comme si l'annonce de l'Evangile se réduisait à un problème de sémantique!), ce serait bien qu'au moins l'un d'entre eux leur rappelle ce que disait le cardinal Ratzinger cinq ans avant d'être élu Pape...

     

Le mariage

("Voici quel est notre Dieu", ed. Plon/Mame, pages 297 et suivantes)
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Une masse de jeunes gens, de nos jours, se demandent s'ils doivent vraiment se marier ou plutôt vivre en union libre. Du point de vue de l’État, il y a des tendances à mettre sur un pied d'égalité avec le mariage, les unions hors mariage et les partenariats homosexuels. D’où la question: pourquoi le mariage devrait-il être la seule forme acceptable de vie commune ?

Il y a d'abord le fait que seul un espace vraiment solide de fidélité est conforme à la dignité de cette communauté humaine. Et non seulement en ce qui concerne la responsabilité vis-à-vis de l'autre, mais encore face à l'avenir des enfants qui en naissent. C'est pourquoi le mariage n'est jamais une affaire purement privée, mais il a un caractère public et social. C'est de lui que dépend la forme de base qu'une société veut se donner.
Cela se vérifie au fait que même des formes de vie commune hors mariage sont dotées de certaines formes juridiques. Ce sont des formes mineures de liaison, mais elles ne peuvent tenir sans une responsabilité publique et sans être intégrées dans ce que la société possède en commun. Cela montre déjà qu'une forme réglée juridiquement et socialement est inévitable, même si on ne veut introduire que des degrés mineurs de cohabitation.
Un deuxième aspect est à prendre en compte : quand deux personnes se donnent l'une à l'autre et donnent ensemble la vie à des enfants, c'est le caractère sacré et mystérieux de ce qu'est un être humain qui est concerné, et qui dépasse le fait de simplement vouloir disposer de soi. Je ne m'appartiens pas à moi seul. En chaque homme est présent le mystère de Dieu. C'est pourquoi la communauté de l'homme et de la femme comporte quelque chose de religieux, de sacré, une responsabilité devant Dieu. Cette responsabilité devant Dieu est nécessaire et trouve son véritable fondement et son profond enracinement dans le sacrement.
Toutes les autres formes sont donc des échappatoires, où l'on vise à se soustraire à la responsabilité mutuelle aussi bien qu'au mystère de l'homme. On introduit par là une instabilité dans la société, ce qui ne va pas sans conséquences.
Une tout autre question est celle des partenariats homosexuels. Je pense que lorsque cela n'a plus aucune importance que dans un mariage ou dans une famille il y ait un homme et une femme, mais que la relation homosexuelle est mise sur le même pied, c'est la structure fondamentale de l'humain qui est blessée. Une société où il en est ainsi va au-devant de graves problèmes. Si nous écoutons la Parole de Dieu, elle devrait nous éclairer et nous apprendre que la communauté de l'homme, de la femme et de l'enfant est une réalité sacrée. Une authentique forme de société réussit lorsqu'elle considère la famille, et par là une forme de relation bénie par Dieu, comme la vraie forme de la pratique de la sexualité.

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La forme rituelle du mariage dit : « je te reçois comme époux / épouse pour nous aimer fidèlement dans le bonheur ou dans les épreuves et nous soutenir l'un l’autre tout au long de notre vie. » C'est très beau, mais pourquoi le mariage devrait-il durer toute une vie, « jusqu' ce que la mort les sépare » ?

Parce que cela découle du caractère définitif de l'amour humain et de la responsabilité qui en découle. Nous ne devrions pas essayer de le prouver rationnellement par a + b. La grande sagesse de la tradition nous parvient, qui se fonde finalement sur la Parole de Dieu. Ce qui correspond totalement à la dignité humaine, c'est de se donner totalement, et ne pas réserver une partie en vue d'une éventuelle révision ou démission. La vie humaine n'est pas une expérimentation. Ce n'est pas un contrat de location temporaire, mais le don d'un je à un toi. Et le don d'un être humain à un autre ne peut être adapté à la nature humaine que sous la forme d'un amour total et sans réserves.

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Nous avons déjà parlé de la sexualité à plusieurs reprises; l’Église y soupçonne un grand mystère. On ne peut expliquer autrement ses conceptions aussi rigoureuses, dans ce domaine, même dans le cadre du mariage. S agit-il d'une autre compréhension dans la façon de traiter la vie et les hommes qui amène l Église à interdire la contraception ?

En fait, l'Église voit dans la sexualité une réalité centrale de la création. Par elle l'homme est plus proche du créateur et plus responsable. Il participe de manière responsable aux sources mêmes de la vie. Chaque être humain est une créature de Dieu, et en même temps l'enfant de ses parents. Pour cette raison il existe comme une interpénétration de la création divine et de la fécondité humaine. La sexualité est quelque chose de puissant, car elle met en jeu la responsabilité pour un nouvel être humain, qui nous appartient et pourtant ne nous appartient pas, qui vient de nous et pourtant n'en vient pas. C'est à partir de ces considérations qu'on comprend, je pense, que c'est quelque chose de sacré que de pouvoir donner la vie et d'en assumer la responsabilité qui va au-delà de l'origine biologique. Pour ces multiples raisons l'Église fut amenée à développer ce qui vient d'être exposé et qui est déjà contenu fondamentalement dans les Dix Commandements. Elle ne cessera de le rappeler dans la vie humaine, car c'est sa responsabilité.

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Peut-on être un bon chrétien, même si, dans le domaine de la morale sexuelle, on prend quelques libertés avec les conceptions de l’Église ?

Qu'on soit toujours en retard par rapport à ce que 1'Église nous confie dans 1'interprétation de la Parole de Dieu est une autre affaire. Mais si on veut rester sur le chemin tracé, et qu'on garde cette acceptation fondamentale du caractère sacré qui affecte la création continuée avec le Christ, une faute ne nous ôte pas le caractère de catholique. On reste alors en recherche, ce qui s'appelle, si on veut parler ainsi, rester « un bon catholique ».

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Les évêques italiens ont demandé plus de courage pour mettre au monde des enfants. Car lorsqu’ une société recule devant la procréation, elle se déshumanise, a-t-on dit.

Là où s'éteint l'amour pour les enfants, la perte est vraiment très grande. Les Italiens furent célèbres autrefois pour leur amour de la famille et des enfants. Certaines contrées d'Italie ont actuellement le taux de natalité le plus bas du monde. Une nouvelle prospérité a fondamentalement modifié la situation. C'est d'ailleurs une grande tentation des sociétés occidentales de considérer les enfants comme des concurrents qui nous prennent de l'espace et handicapent notre avenir. On les considère dans tous les cas comme une possession ou somme des images de soi-même. On n'est finalement pas prêt à les accepter avec leurs propres exigences, avec tout ce qu'il faudrait leur donner de son temps et de sa propre vie.
Un évêque italien me disait un jour que les pauvres investissent dans la vie, et veulent voir leur avenir dans les enfants ; les riches investissent dans des choses. Je ne voudrais pas exagérer la portée de cette parole : mais certainement chez nous l'investissement dans des choses, dans l'assurance de soi par les valeurs, dans la multiplication de notre propre moi, est plus fort que la disponibilité de se mettre au servite de la vie, cela est évident. Même si nous respectons entièrement la problématique de la croissance des populations, il ne faut pas moins reconnaitre qu'il y a un problème du vieillissement de notre société, qui se prive elle-même de son avenir.

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Prenons la croissance des populations... On reproche à l’Église, avec sa politique rigoureuse de l'interdiction de la contraception, de provoquer dans certaines parties du tiers monde de graves problèmes et même une vraie misère.

C'est un parfait non-sens. La misère est provoquée par l'effondrement de la morale ; qui auparavant ordonnait la vie dans les sociétés tribales et dans les communautés chrétiennes, ce qui excluait la grande misère que nous voyons aujourd'hui. Réduire la parole de l'Église à l'interdiction de la contraception est une grossière bêtise, qui repose sur une conception du monde totalement renversée, comme je le montrerai plus loin.
L'Église enseigne donc avant tout la sainteté et la fidélité dans le mariage. C'est sa vraie voix. Et là où cette voix est entendue, les enfants ont un lieu où vivre, où ils apprennent l'amour et le renoncement, la discipline d'une vie correcte même au milieu de la pauvreté. Lorsque la famille fonctionne comme un lieu de la fidélité, la patience et le respect mutuels, conditions pour une planification familiale naturelle et efficace, ne manqueront pas. La misère ne vient pas des grandes familles, mais du fait qu'on engendre des enfants de manière irresponsable et indisciplinée ; des enfants qui ne connaissent pas leur père, et souvent pas leur mère, et qui sont dans la rue et doivent endurer la vraie misère d'un monde psychologiquement détruit. Par ailleurs, nous savons tous que, de nos jours en Afrique, l'extension vertigineuse du sida présente depuis longtemps le danger inverse : ce n'est pas l'explosion démographique qui nous guette, mais l'extinction de tribus entières et la désertification des paysages.
Si en plus je pense qu'en Europe on subventionne les agriculteurs qui tuent leurs animaux, qui détruisent des céréales, des raisins, et toutes sortes de fruits, parce qu'on ne maîtrise plus la surproduction, alors je trouve que ces savants managers, au lieu de détruire les dons de la création, devraient réfléchir comment on pourrait en faire profiter tout le monde.
La misère n'est pas produite par ceux qui éduquent les hommes à la fidélité et à l'amour, au respect de la vie et au renoncement, mais par ceux qui nous détournent de la morale et qui ont une conception purement mécanique de l'homme : le préservatif leur semble plus efficace que la morale, mais si l'on croit qu'on peut remplacer la dignité morale de l'homme par les préservatifs, en vue de rendre la liberté de l'homme non dangereuse, alors on a déjà fondamentalement déshonoré l'homme et on produit exactement ce qu'on dit vouloir éviter : une société égoïste où chacun veut vivre sa vie sana assumer aucune responsabilité. La misère a son origine dans la démoralisation de la société, et non dans sa moralisation : et la propagande du préservatif est un élément essentiel de cette démoralisation, expression d'une orientation vers le mépris de l'homme, qui n'augure rien de bon.

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